Source: François Willmann, Journal du Dimanche , le 11 avril 2018,
Les principaux syndicats d’avocats, magistrats et greffiers se sont mobilisés mercredi contre le projet de réforme de la justice du gouvernement. Ils ont appelé à une journée “justice morte” à travers toute la France.
Voici leurs revendications:
1 – Un manque de “concertation”
Les membres du corps judiciaire déplorent de ne pas avoir été écoutés et de subir une réforme au pas de charge sur laquelle ils n’ont pas la main. Marie-Pierre Ogel, bâtonnière de Dieppe, déplore ainsi qu’”il n’y ait eu aucune concertation” : “Nous n’avons pas pu discuter de cette réforme alors que nous aurions pu être force de proposition. Il y a un flou artistique concernant un certain nombre de mesures puisqu’elles seront appliquées par décret et par ordonnances. Nous sommes contre une réforme qu’on nous impose et qui s’est faite sans concertation avec des professionnels du droit.”
2 – Le risque de créer des “déserts judiciaires”
Pointant du doigt une des mesures permettant de confier par décret à certaines juridictions la totalité du contentieux du département ou de la région, certains professionnels déplorent le risque de créer des espaces où le droit ne serait plus du tout présent. Olivier Delvincourt, bâtonnier de l’ordre des avocats de Reims affirme que “le gouvernement veut faire des spécialisations en fonction des différentes juridictions” et que “certaines seraient donc plus compétentes que d’autres”. “Il faudra donc aller devant une autre juridiction dans le département ou même dans la grande région, déplore-t-il.
Il n’y aura plus de justice donc plus de juge pour certaines populations
Pour Stéphane Dhonte, bâtonnier de Lille, “le tribunal pourra se retrouver à 100, 200 kilomètres du justiciable” à cause de cette mesure. “Il n’y aura plus de justice donc plus de juge pour certaines populations”. La fusion des tribunaux de grande instance avec les tribunaux d’instance inquiète aussi une partie des professionnels de justice. “Les tribunaux d’instance vont être vidés de leur substance et c’est donc toute la justice de proximité, celle qui juge des petites affaires des gens, qui va disparaître, craint l’avocat Olivier Delvincourt. On va demander de tout faire par informatique, mais un bon nombre de Français rencontrent des problèmes avec l’informatique et la justice ne sera plus accessible aux justiciables”.
3 – Vers une “privatisation de la justice”
La mobilisation est aussi vouée à éviter une “privatisation de la justice” qui inquiète les professionnels, à l’image d’un avocat du barreau de Châlons-en-Champagne : “Le gouvernement veut donner la possibilité aux organismes de la CAF de rendre des décisions de justice concernant les pensions alimentaires notamment. La justice ne sera donc pas rendue par un magistrat professionnel. Le gouvernement veut également obliger les justiciables à s’adresser à des médiateurs et conciliateurs avant tout procès. Ces derniers ne sont pas des professionnels du droit ce qui pose de véritables difficultés”.
L’idée, c’est de réduire la justice à peau de chagrin dans l’objectif de rester dans les clous budgétaires
Un sujet sur lequel Benjamin Gayet, avocat au barreau de Béthune, est du même avis : “Des sociétés privées interviendraient au stade de la médiation et ce n’est pas ça la justice! De plus, certaines personnes ne pourraient pas se permettre de payer un médiateur ce qui les couperaient de la justice”.
Le bâtonnier de l’ordre des avocats de Reims Olivier Delvincourt estime que ces mesures sont une manière de supprimer des juges : “L’idée, c’est de réduire la justice à peau de chagrin dans l’objectif de rester dans les clous budgétaires.” Jean-Jacques Prugnot, avocat au barreau de l’Aube, abonde en ce sens en affirmant que “le gouvernement souhaite externaliser certaines procédures en les privatisant pour retirer de la matière aux tribunaux au risque de mener à une justice de moins bonne qualité”.
4 – Le risque de “déshumaniser” les procédures
La numérisation inquiète également. Stéphane Donthe estime que “si la réforme passe, ce sera la fin de l’accès du justiciable à son juge. Tout est fait pour qu’on ne voie pas le juge. Par numérique, on peut avoir une décision sans rencontrer son juge, mais il ne peut pas rendre une bonne décision sans vous avoir rencontré.”
“La saisine se fera en ligne par algorithme, ce sera une justice déshumanisée. Un juge connaît la vie. Une justice rendue par une machine ce n’est pas de la justice”, déplore aussi Marie Pierre Ogel. Même constat pour un avocat du barreau de Paris : “Il n’y aura plus d’audience, on va utiliser le big data pour déterminer la décision la plus appropriée à la demande du justiciable. On veut mettre en place une justice de masse.”
Notre organisation est évidemment solidaire avec cette mobilisation, et retrouve travers l’engagement de Me Lydienne Yen Eyoum Loyse, tout le sens que nous attachons à nos missions: perpétuer la chaîne de l’espoir chez les prisonniers politiques, en se montrant particulièrement digne de savoir redonner, et apprécier à sa juste valeur la liberté retrouvée”.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)