Il est de plus en plus difficile de vivre dans certains pays, aujourd’hui, quand on est défenseur des droits de l’homme. C’est ce que constate Amnesty International, qui vient d’enquêter dans 21 pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. François Patuel est l’un des auteurs de ce rapport, qui n’inclut pas le Congo Kinshasa, le Rwanda et le Burundi. En duplex de Dakar, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Les menaces sur les défenseurs des droits de l’homme sont-elles de plus en plus graves ?
François Patuel : Oui, les défenseurs des droits humains sont cibles d’une vague d’attaque sans précédent dans le monde, y compris en Afrique, et les Etats, y compris les Etats africains, mettent en place un arsenal d’outils de répression de plus en plus évolué et de plus en plus étendu.
Vous dites que les Etats développent une vaste gamme de tactiques, avec quelques fois beaucoup d’ingéniosité, de quoi s’agit-il ?
Il y a déjà les tactiques classiques, par exemple, il y a beaucoup d’assassinats, encore aujourd’hui, de défenseurs des droits humains. On pense en particulier, en Afrique, à Marcel Tengeneza, un défenseur des droits de l’homme congolais qui a été tué en décembre 2016 par deux hommes en tenue militaire. En République démocratique du Congo, c’est un défenseur qui travaillait avec les communautés locales dans le Kivu.
Et en plus, il y a maintenant d’autres formes d’outils de répression. Notamment l’utilisation des nouvelles technologies pour réprimer le travail des défenseurs. Il y a les coupures internet. On pense notamment au Cameroun, où internet a été coupé pendant plus de trois mois dans les régions anglophones, mais on pense également, pendant les périodes électorales ou pendant les référendums, aux coupures en Gambie, au Tchad, ou au Congo-Brazzaville.
Donc il y a les coupures internet et en plus il y a l’utilisation des réseaux sociaux pour traquer les défenseurs des droits humains. Au Tchad, par exemple, Mayadine Mahamat Babouri, qui est très actif sur les réseaux sociaux, est en détention depuis septembre 2016 pour avoir posté des vidéos sur Facebook dénonçant la corruption et le bilan économique du gouvernement tchadien. Il est toujours en détention aujourd’hui.
Voulez-vous dire que les Etats répressifs se servent des réseaux sociaux comme mouchards pour arrêter les défenseurs des droits de l’homme ?
Les réseaux sociaux sont un formidable outil d’expression et de dénonciation des violations des droits humains. La difficulté, c’est la manière dont ils sont utilisés par les Etats et on voit aujourd’hui qu’ils sont utilisés par les autorités pour identifier des personnalités à arrêter ou à réprimer.
Donc attention aux réseaux sociaux ?
Attention à l’utilisation que les Etats en font.
Vous dites que c’est surtout en période électorale que la répression s’abat sur les défenseurs des droits de l’homme. Dans quels pays par exemple ?
En Guinée-Conakry par exemple, où des journalistes ont été malmenés, ont subi des mauvais traitements pendant la présidentielle en 2015. C’est trois journalistes qui ont été battus pour avoir pris des images de violences policières lors de manifestations. On a recensé en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale plus de 271 morts lors de manifestations depuis 3 ans. Ça fait presque un mort tous les cinq jours et on pense en particulier au Nigeria, où il y a eu 150 militants pro-Biafra qui ont été tués entre 2015 et 2016 lors de manifestations pacifiques dans le sud-est du pays, dans la région du Biafra.
On a très peu parlé de la répression sanglante des manifestations pro-Biafra, pourquoi ce silence ?
Malheureusement, la répression contre les manifestants, c’est quelque chose qui est tellement commun que finalement on n’en parle plus. On ne parle plus non plus du fait qu’il y ait des morts lors de manifestations, par exemple au Togo, en Guinée… Il y a en a eu encore ce week-end en Côte d’Ivoire lors des manifestations contre la mutinerie. C’est quelque chose d’extrêmement fréquent, les gens ont peur, finalement, de revendiquer leurs droits dans la rue.
Sur ces trois dernières années, à la suite de manifestations, vous dénombrez 35 morts en Guinée-Conakry et 18 morts au Congo-Brazzaville.
Tout à fait. C’est malheureusement un chiffre qu’on doit mettre à jour très régulièrement. Les morts lors de manifestations en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest sont extrêmement fréquentes, on le voit encore en Côte d’Ivoire, à Bouaké ce week-end.
Vous parlez de la Côte d’Ivoire, l’an dernier, les manifestations anti-référendum ont été réprimées, mais sous une forme assez originale, ce que vous appelez la détention mobile, de quoi s’agit-il ?
C’est une pratique où les forces de police essaient d’empêcher un rassemblement en isolant les groupes de manifestants et en prenant certains des leaders pour les arrêter de manière temporaire, en les plaçant dans des fourgonnettes. Ils sont ensuite déplacés à plusieurs kilomètres du lieu de la manifestation, dans certains cas plusieurs centaines de kilomètres.
Depuis la montée du jihadisme au Sahel, de nombreux pays adoptent des lois antiterroristes, quelles en sont les répercussions pour les défenseurs des droits de l’homme ?
En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, on pense notamment au Niger, à Moussa Tchangari, qui a été détenu pendant plusieurs jours en 2015 pour atteinte à la défense nationale, après qu’il ait dénoncé les implications de l’état d’urgence dans l’Etat de Diffa. Au Cameroun, autre exemple, trois défenseurs des droits humains de la minorité anglophone ont été arrêtés en janvier 2017. Ils sont aujourd’hui sous le coup de la loi antiterroriste et toujours en détention.
Face à cette nouvelle phase répressive contre les défenseurs des droits de l’homme, qu’est-ce que vous proposez à Amnesty International ?
Il est important que les Etats prennent des mesures concrètes pour protéger les défenseurs des droits humains. Notamment en adoptant des lois qui visent à les protéger. C’est le cas de la Côte d’Ivoire, qui a adopté en 2014 une loi visant à protéger les défenseurs des droits de l’homme.
Donc on a aujourd’hui une loi qui rappelle, par exemple, que le domicile ou les bureaux d’un défenseur des droits humains sont inviolables, quand il doit y avoir une perquisition, il faut que le ministre des droits humains soit informé. On encourage aujourd’hui tous les Etats africains à passer des lois ou des directives visant à protéger les défenseurs des droits humains.
Par Christophe Boisbouvier – RFI