Au Cameroun, le principal parti d’opposition, le MRC de Maurice Kamto, se mobilise pour ses 36 militants condamnés le 27 décembre dernier à de lourdes peines de prison. Parmi ces prisonniers, Olivier Bibou Nissack, le porte-parole du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun. Ce 17 janvier, pour la libération de son mari, Madame Bibou Nissack a créé un nouveau mouvement, « Free Bibou Nissack ». En ligne de Yaoundé, elle répond à nos questions.
RFI : Je crois que votre mari est à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé, est-ce qu’il a une cellule individuelle ?
Jeanne Édith Bibou Nissack : Non, dans les locaux, il y a des couchettes superposées à une place. Lui, il est particulièrement dans un local où ils sont au nombre de treize.
Est-ce qu’il a accès à des livres, voire à la télévision, pour regarder les matchs de football ?
Oui, à la prison de Kondengui, il y a droit.
Les ennuis judiciaires de votre mari ont démarré à la suite de la manifestation du parti MRC, du 22 septembre 2020, qui était organisée pour protester contre les fraudes qui avaient entaché la présidentielle, aux yeux du MRC. Qu’est-ce qui s’est passé après ?
Mon mari a été enlevé chez nous, à notre domicile, devant moi, sans mandat. Ça, il faut le préciser, sans mandat. Il faut souligner que j’étais enceinte. Il a été transféré au Secrétariat d’État à la Défense (SED), là où il a séjourné pendant quarante jours. Il était à l’isolement complet.
Mon mari a été condamné par un tribunal militaire. Ce qui est formellement hors-la-loi.
Le 27 décembre 2021, avec trente-cinq autres militants du parti MRC, votre mari a été condamné par le tribunal militaire de Yaoundé, pour rébellion et tentative d’insurrection. De fait, la manifestation du 22 septembre 2020 était interdite, disent les autorités camerounaises.
Oh ! Vous savez… Exprimer une opinion pacifiquement n’est, en aucun cas, une tentative de rébellion. Si tous les adversaires politiques de M. Macron, en France, qui demandent chaque jour sa démission, étaient taxés de tentative de rébellion, toute la classe politique française serait en ce moment dans les geôles des prisons de France ! Et mon mari a été condamné par un tribunal militaire. Ce qui est formellement hors-la-loi, vu la jurisprudence de la Cour suprême camerounaise, qui interdit formellement que des civils soient jugés par un tribunal militaire.
Avec Olivier Bibou Nissack il y a Alain Fogué, le trésorier du MRC, et Djoufo Ngabo, une autre figure du parti, qui ont été condamnés, eux aussi, à sept ans de prison. Quelle est leur stratégie, maintenant ?
Mon mari et ses compagnons ont fait appel. Mais, chose curieuse, le tribunal militaire qui a prononcé la décision, ne l’a jamais rédigée. Dans le droit, il est dit que, chaque juge, avant de prononcer un verdict, doit rédiger sa décision de justice et la motiver. Or, dans le cas de mon mari Olivier Bibou Nissack et de ses compagnons, cette condamnation, jusqu’à nos jours, n’a jamais été rédigée par le juge qui les a condamnés. La condamnation est illégale.
Le MRC affirme qu’au moins 124 de ses militants sont toujours en prison. Combien y a-t-il au total de prisonniers de conscience, à votre connaissance, au Cameroun ?
Au Cameroun, il y a des centaines de prisonniers de conscience. Et le chiffre a augmenté avec les prisonniers de conscience du Nord-ouest et du Sud-ouest.
On se souvient de la mobilisation internationale et notamment française, pour la libération de Maurice Kamto, le président du MRC. C’était en 2019. Qu’en est-il pour votre mari et pour ses compagnons de prison ?
Oh ! Pour la France, il importe quand même de reconnaître que l’ensemble de ces abus évoqués, sont faits par des services bénéficiant d’un partenariat français connu et affiché. C’est le cas notamment du Secrétariat d’État à la Défense, où mon mari a été détenu de façon extrajudiciaire pendant quarante jours ! Je m’interroge donc sur le signal que la France par ce soutien aux services camerounais de répression envoie au peuple camerounais. C’est de la seule responsabilité de la France à lever cette ambiguïté-là.
Et est-ce qu’après l’appel de Jean-Yves Le Drian en faveur de la libération de Maurice Kamto en 2019, vous attendez le même appel en faveur de votre mari et de ses compagnons de détention ?
Pour être honnête avec vous, je n’attends pas qu’un appel. J’attends, cette fois-ci, des actes concrets. Parce que, de par les différents partenariats, ils peuvent faire mieux qu’un appel.