Invité Afrique, Radio France Internationale
Au Burkina Faso, la crise de ces derniers jours montre combien les militaires pèsent sur la vie politique de ce pays. Et cela ne date pas d’hier. L’analyste politique Gilles Yabi est à l’initiative de Wathi, un laboratoire d’idées pour l’Afrique de l’Ouest. En ligne de Dakar, le chercheur béninois répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Depuis quarante-neuf ans, le Burkina Faso est gouverné par des militaires. Pourquoi ont-ils tant de poids dans ce pays ?
Gilles Yabi : Je crois que le Burkina Faso n’a pas une histoire politique très différente de celle de la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest. Et dans beaucoup de pays, il y a eu une première phase juste après l’Indépendance en 1960. Ça a été le cas également au Burkina Faso, ancienne Haute-Volta. Il y a eu souvent des premiers présidents qui étaient des civils et ce fut le cas avec Maurice Yaméogo en Haute-Volta. Et donc il y a une première phase où généralement ces pouvoirs civils sont devenus autoritaires et ont fourni un prétexte à l’intrusion des militaires sur la scène politique. Et cette forme d’intrusion militaire, on l’a vue en Haute-Volta, l’actuel Burkina Faso, dès 1966, avec l’arrivée du général Sangoulé Lamizana au pouvoir.
Et quand le général Lamizana a pris le pouvoir il y a quarante-neuf ans, il était assez populaire, non ?
Il était assez populaire. Et d’ailleurs, son régime était plutôt conciliant avec une capacité de discussion avec les autres forces sociales et politiques du pays. C’est pour ça également qu’il faut toujours regarder de près les régimes militaires. Il y a des variations qui sont généralement très liées aux personnalités qui incarnent ces régimes. Cela étant dit, il y a eu plusieurs autres coups d’Etat. Et ensuite, le coup d’Etat qui a réellement marqué un changement important dans le pays c’est celui du 4 août 1983 avec l’arrivée au pouvoir de Sankara, mais également de Compaoré et d’ailleurs du général Diendéré qui est aujourd’hui au-devant de la scène. Et donc ce groupe-là est un peu particulier parce que c’est une génération de jeunes militaires influencés par les idées d’extrême gauche. Et donc c’est une rencontre entre d’une part des acteurs militaires, mais aussi un courant porté par des civils très influencés par les idées d’extrême gauche. Et c’est cela qui a abouti au coup d’Etat de 1983 et à la révolution sankariste.
Et est-ce que cette révolution sankariste n’était pas le faux-nez d’une caste de militaires qui voulaient garder le pouvoir à tout prix ?
Je pense que l’arrivée de Sankara au pouvoir a incarné une véritable volonté de rupture avec des années d’instabilité, des années également de corruption, notamment sous les éphémères régimes civils. Sankara a quand même incarné une volonté d’apporter des réponses aux besoins de la population. Mais en même temps, dans le groupe qui était avec lui, il n’y avait pas nécessairement les mêmes idées. Et je crois qu’il est important de voir que dans toute l’histoire du Burkina Faso, au niveau de l’armée, il y a toujours eu différents groupes et il n’y a jamais eu une sorte de bloc unique autour d’une personnalité. Et cela s’est vu évidemment sous la révolution Sankara qui s’est terminée très brutalement quelques années plus tard, le 15 octobre 1987, par l’assassinat de Thomas Sankara.
Ces dernières années a été créée une unité d’élite, le fameux Régiment de sécurité présidentielle RSP, véritable armée dans l’armée. Est-ce que Blaise Compaoré n’a pas créé une caste de quelque 1 300 hommes qui aujourd’hui veut garder le pouvoir coûte que coûte ?
Ça, c’est une certitude. Et c’est pour ça que ce qui se passe aujourd’hui au Burkina Faso est extrêmement important pour ce pays, mais également pour l’ensemble de la région et au-delà. Quel est le signal qu’on veut donner ? Est-ce qu’on veut donner le signal qu’un groupe comme le RSP a le droit de décider des termes de son propre avenir ? Est-ce qu’il a le droit aussi de décider des candidats à l’élection présidentielle ? Est-ce qu’on accepte qu’un groupe comme celui-là puisse interrompre une transition et en changer les termes ? Je crois que c’est cela l’enjeu aujourd’hui et c’est une question de principe. Donc je crois qu’il est important que les négociateurs régionaux et internationaux aient en tête le signal qui va être donné à la suite de ces négociations.
L’an dernier, le RSP a aidé la population à renverser Blaise Compaoré. Mais depuis mercredi dernier, au contraire, il affronte la rue et la population. Comment expliquez-vous ce changement d’attitude ?
Je ne sais pas si on peut dire que le RSP a aidé la population à changer de président. Ce qui est certain, c’est qu’effectivement le RSP n’avait pas tiré sur la foule, mais en même temps le RSP a sécurisé la sortie de Blaise Compaoré du Burkina Faso. Et il semble bien que le général Diendéré ait joué un rôle important pendant cette phase-là, comme garant, non seulement la sécurité de Blaise Compaoré, mais peut-être également comme garant de la protection des intérêts du RSP et d’un certain nombre peut-être aussi d’acteurs politiques qui étaient liés à l’ancien régime. Je crois que la situation a changé, probablement parce qu’il pensait pouvoir contrôler davantage la transition. Et ils ont peut-être été surpris par la tournure qu’ont pris les organes de transition, qui ont voulu traduire dans les textes, notamment des textes électoraux, des principes qui pour eux étaient importants. Ils n’ont pas exclu tous ceux qui ont soutenu Blaise Compaoré, ce que j’entends dans beaucoup d’analyses ces jours-ci. On a exclu des personnes qui ont soutenu un projet spécifique de révision de la Constitution, ce qui constituait pour des forces sociales burkinabè une violation de l’esprit de la démocratie et de ce que, eux, ils espéraient pour des millions de jeunes de ce pays. Donc, cette transition est issue d’un changement politique interne et d’une certaine manière je pense qu’il faut le respecter.
Source : Invité Afrique, Radio France Internationale
Par Christophe Boisbouvier