Il existe en effet des risques y compris pour la sécurité des participants à imposer de la sorte une compétition sportive et partant une Coupe d’Afrique des Nations (CAN) à un peuple meurtri par un coup d’État électoral.
Quand le Football devient de la sorte le meilleur alibi légitimiste donné par l’actuel président de la CAF Issa Hayatou à un dictateur sanguinaire, on ne peut exclure aucun scénario du pire.
C’est l’occasion de dire et redire que l’Afrique centrale doit sortir de la culture de la résignation aux Présidences à vie par la fraude électorale et la répression systématique.
La Résistance des Gabonais force le respect.
Joël Didier Engo, Président du CL2P
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Football : « La CAN 2017 ne fera pas oublier leurs conditions de vie aux Gabonais »
Ancien soutien du président Ali Bongo, l’opposante Laurence Ndong dresse un état des lieux sévère du pouvoir gabonais et regrette l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations dans son pays.
La 31e Coupe d’Afrique des nations (CAN) s’est ouverte au Gabon, samedi 14 janvier, avec le match d’ouverture à Libreville entre le pays hôte et la Guinée-Bissau (1-1). Dans un contexte politique tendu depuis la réélection controversée du président Ali Bongo, face à son adversaire Jean Ping, à l’issue d’une élection tenue à la fin d’août, alors que des appels au boycottage sont lancés, l’Afrique du football aura les yeux tournés vers son tournoi majeur.
Ancienne membre de l’union des femmes du Parti démocratique gabonais [le parti d’Ali Bongo] et du ministère de la famille, Laurence Ndong est désormais une vive opposante au régime. Autrice de Gabon, pourquoi j’accuse, aux éditions L’Harmattan, cette chercheuse en sciences de l’éducation condamne fermement l’instrumentalisation politique de la CAN.
Peut-on dire que la CAN arrive au bon moment pour le président Ali Bongo, après la contestation de sa réélection et la crise politique qui s’est ensuivie ?
Laurence Ndong. Dire que la compétition tombe bien pour Ali Bongo revient à dire que l’organisation de la CAN est un hasard du calendrier qui coïncide avec la situation de crise au Gabon. Or, Bongo avait planifié son coup d’Etat électoral lorsqu’il est allé chercher cette organisation. Son but était de se servir du football pour calmer les populations, car il savait à l’avance que son bilan était si contesté qu’il ne gagnerait pas l’élection et qu’il passerait en force.
En 2012, le Gabon avait déjà coorganisé la CAN avec la Guinée équatoriale. En 2015, cette dernière, dirigée d’une main de fer par Teodoro Obiang, l’avait organisée seule. Le football est-il plus que jamais un instrument de propagande politique ?
Aujourd’hui, les Gabonais reprochent directement à Ali Bongo d’utiliser le football pour légitimer son pouvoir frauduleux. Nous n’avons rien contre le foot en tant que tel, ni rien contre la CAN en tant que telle, mais cette compétition est très mal venue. A titre d’exemple, lundi 9 janvier, on a demandé aux chefs d’établissement d’envoyer des élèves pour garnir les tribunes du stade d’Oyem lors de son inauguration, dans le nord du pays. On leur avait donné des tee-shirts avec l’inscription « CAN 2017, merci Ali ». D’ailleurs l’un des bus ayant servi au transport d’une vingtaine d’adolescents a été victime d’un accident et des blessés ont été dénombrés. On est clairement dans l’instrumentalisation politique.
Certains opposants gabonais appellent au boycottage de la compétition sur place. Croyez-vous à un tel mouvement ?
La colère du peuple est telle qu’elle va à mon avis s’exprimer. Les Gabonais veulent que devant le monde entier le pouvoir fasse démonstration de sa répression. Il y a un tel contraste entre la situation politique, économique et sociale du pays et l’organisation d’une telle compétition, que les Gabonais, en grande majorité, ne veulent pas de cette CAN. A Port-Gentil, à Libreville, partout et comme ils le pourront, ils vont manifester. Le contexte social est tellement dur que les élèves gabonais s’assoient par terre dans des salles de classe surchargées et les malades n’ont pas de médicaments à l’hôpital. Chaque peuple a son seuil de tolérance, on a atteint le nôtre. Les conditions de vie n’ont jamais été aussi exécrables.
Il faut savoir que les autorités en sont à distribuer gratuitement des billets. C’est une mascarade qui va tourner au fiasco, car en plus du manque d’adhésion populaire, il y a un manque criant d’infrastructures. Les routes ne sont pas prêtes, il n’y a pas d’hôtels décents. Chaque projet est une occasion de détourner des fonds. Comment expliquer que le coût d’organisation de la CAN 2017 a été estimé à 463 milliards de francs CFA [environ 706 millions d’euros] alors qu’en 2012, il avait été estimé à 400 milliards de francs CFA.
Même si l’édition 2012 avait été coorganisée, on devrait normalement avoir suffisamment d’infrastructures pour que la deuxième coûte moins cher. Autre fait troublant, le stade Omar-Bongo, qui devait être prêt en 2012, ne l’est toujours pas en 2017 [il a été recalé par le comité d’organisation de la compétition en octobre 2016].
Qu’en est-il de la responsabilité de la Confédération africaine de football (CAF), qui a choisi le Gabon ?
A mon sens, la responsabilité de la CAF est engagée. J’ai d’ailleurs lu dans les journaux que le dossier de l’Algérie [autre candidat à la CAN 2017] était le meilleur. Il y a une certaine opacité dans le choix. De manière objective, lorsque l’on regarde la situation du pays, que l’on relève les infrastructures déficientes, que même les critères sportifs, comme l’état de notre championnat national, sont négatifs, on peut s’interroger.
Avec cette décision, la CAF s’est tiré une balle dans le pied, d’autant que la contestation et les appels au boycottage ne sont pas récents. De plus, dès septembre, des pays comme le Maroc et l’Algérie se sont également proposés pour récupérer l’organisation. Mais Issa Hayatou [président de la CAF] a décidé de maintenir le tournoi au Gabon lors d’une visite à Ali Bongo. Maintenant, les deux devront assumer le fait d’avoir la CAN la plus nulle de l’histoire.
Qu’attendez-vous des joueurs de l’équipe nationale, en particulier du capitaine Pierre-Emerick Aubameyang ?
Lorsque l’on porte le maillot d’une équipe nationale, que l’on est une figure publique, lorsque l’on est le capitaine comme Pierre-Emerick Aubameyang [né à Laval et qui joue à Dortmund], on doit être impliqué dans le sort de son pays même si on n’y a pas grandi. Si certains sont aussi déconnectés, comment peuvent-ils être assez patriotes pour représenter leur pays ?
Aubameyang sait très bien que tout est politisé au Gabon et que le football n’y fait pas exception. Pourquoi, lorsqu’il est désigné meilleur joueur africain l’an passé, remercie-t-il Ali Bongo et son épouse ? Comment des sportifs peuvent-ils rester silencieux devant l’injustice ? Des Gabonais ont été tués pendant les émeutes postélectorales. Lors du premier match après les émeutes, à Franceville, ils n’ont pas observé de minute de silence, ni porté de brassard noir.
[Pierre-Emerick Aubameyang s’est exprimé le 1er septembre au lendemain des premiers troubles sur son compte twitter, lire en dessous]
Avez-vous peur qu’un bon parcours de l’équipe nationale passe sous silence la situation au Gabon ?
Tout d’abord je n’ai pas à souhaiter que le Gabon n’aille pas loin. Peu importe le résultat, les Gabonais n’oublieront pas. Cependant, il serait surprenant que la sélection fasse un bon parcours, car je vous assure qu’il n’y a eu aucune préparation. A une semaine du match d’ouverture, l’équipe s’est inclinée 2-1 contre un club du championnat national, le FC Mounana. Le nouveau sélectionneur espagnol [José Antonio Camacho] est déjà en conflit avec sa Fédération. Tout naturellement la mauvaise gestion des autorités se reflète au sein de la sélection.
Et puis la réalité est là. Le peuple ne va pas oublier ses conditions de vie. Rien ne va changer sous le prétexte improbable que le Gabon devienne champion d’Afrique. Bongo se trompe lourdement s’il pense que le peuple oubliera. Il risque même de se fâcher avec la CAF et avec les autres délégations à cause de sa mauvaise organisation. Ça sera une honte pour lui, pas pour les Gabonais qui ne se sentiront pas concernés : ils ne voulaient pas de cette CAN.
Anthony Hernandez – Journaliste au Monde
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Afrique – Lobbying: Comment Total (groupe pétrolier français) utilise le football pour se refaire une santé en Afrique
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Les risques inhérents d’une compétition sportive et partant d’une Coupe d’Afrique des Nations (CAN) qui devient l’alibi légitimiste des dictatures.
Au Gabon, boycotter la CAN c’est boycotter Ali Bongo
L’édition 2017 de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) s’ouvre aujourd’hui à Libreville (Gabon). Ce n’est pas la première fois que le Gabon est l’hôte de la compétition. En 2012, il l’avait déjà conjointement organisé avec sa voisine la Guinée équatoriale. Cette édition de la CAN est cependant singulière. Une campagne de boycott de la CAN 2017 est organisée depuis plusieurs mois par des acteurs de la société civile et sur les réseaux sociaux. Face à l’ampleur du phénomène, des membres du gouvernement gabonais sont montés au créneau pour menacer quiconque ferait un boycott actif de la CAN. Pourquoi des Gabonais s’opposent-ils à l’organisation à la CAN 2017 dans leur pays ?
L’argument financier : 863 milliards FCFA pour 2 CAN en 5 ans
« La CAN est peut-être la fête du football, mais les finances publiques du Gabon ne sont pas à la fête ». C’est ainsi que l’activiste gabonais Marceau Malékou, résume l’impact de l’organisation de la CAN 2017 sur la situation économique du pays. En effet, la CAN 2012 co-organisée par le Gabon aurait coûté 400 milliards FCFA selon le gouvernement et le budget prévisionnel établi par le Haut-commissariat à l’organisation de la CAN 2017, que nous avons pu consulter, arrête les dépenses liées à l’organisation de la CAN 2017 à 463 milliards, dont 160 milliards d’emprunts.
En 5 ans, le Gabon aura donc dépensé 863 milliards FCFA pour deux Coupes d’Afrique des Nations alors que son budget annuel sur un exercice est d’environ 2 000 milliards FCFA. En outre, l’organisation de la CAN 2017 intervient dans un contexte économique particulièrement morose marqué par une baisse des recettes publiques, la mise en place prévue d’un plan d’austérité sous l’égide du FMI et la menace d’une dévaluation de 50% du FCFA, la monnaie locale.
Dans une communication vidéo, Laurence Ndong, porte-parole de l’opposant Jean Ping en France, faisait part de ses soupçons d’enrichissement illicite et de corruption autour de l’organisation de cette compétition. En effet, le budget prévisionnel de la CAN 2017 fait ressortir quelques lignes de dépenses atypiques. C’est le cas notamment du budget prévu pour Samba, la mascotte de la compétition. « Comment pouvez-vous comprendre que l’on consacre près de 2 milliards FCFA pour un ours en peluche ? » peste un fonctionnaire rattaché du ministère gabonais des Finances qui a souhaité garder l’anonymat. « Si vous me citez, je perdrais mon emploi » dit-il craintif avant de lâcher « Cette CAN est un véritable scandale ».
Sur Twitter les partisans du boycott s’organisent autour des hashtag #CAN17WECANNOT et #PasDeCanAuGabon. A travers différentes publications et infographies, les twittos expliquent pourquoi ils considèrent l’organisation de cette CAN comme du gaspillage d’argent public dans un pays en crise. Dans une infographie devenue virale, ils indiquent à Ali Bongo, ce qu’il aurait mieux fait de faire, selon eux, avec les 863 milliards FCFA qu’il a consacré à l’organisation de deux CAN. On peut y lire qu’avec 863 milliards FCFA il aurait pu construire :
- 1726 écoles ;
- 22 universités ;
- 863 kilomètres de routes bitumées ;
- 1726 centres de santés ;
- 86 casernes pour améliorer le cadre de vie des militaires.
D’autres citoyens Gabonais ont choisi de faire des vidéos pour rappeler comment les deux CAN organisées par le Gabon ont augmenté la dette publique du pays et étaient inopportunes dans le contexte économique actuel. Pour l’un des vidéastes amateurs, consacrer 863 milliards pour le football c’est juste indécent.
L’argument politique : L’élection contestée d’Ali Bongo et la répression post-électorale
L’autre principal argument souvent évoqué par les Gabonais qui appellent au boycott de la CAN 2017 est politique. « Ali Bongo ne peut pas avoir assassiné nos frères en septembre pour conserver le pouvoir et nous demander d’aller faire la fête du football avec lui en janvier. Cette CAN est imbibée de sang », les propos de Christian D. sur son mur Facebook sont durs, mais ils traduisent l’opinion de plusieurs opposants à Ali Bongo qui ne cessent de réclamer la victoire de son challenger Jean Ping lors du scrutin présidentiel du mois d’aout 2016.
Officiellement la dernière élection présidentielle a été remportée par Ali Bongo d’une courte tête. Cependant sa victoire a été vivement contestée dans la rue par ses opposants. La riposte d’Ali Bongo a été particulièrement violente. Plus de 1000 personnes ont été arrêtées selon le ministère gabonais de l’Intérieur, le quartier général de l’opposant Jean Ping a été attaqué nuitamment par l’armée, des partisans de l’opposant y ont été tués, des leaders de l’opposition ont été séquestrés plusieurs jours et l’opposant Bertrand Zibi, très populaire auprès des jeunes est toujours emprisonné.
Des centaines d’impacts de balles sont encore visibles au quartier général de l’opposant Jean Ping. « Ce sont les stigmates de la lutte pour la libération de notre pays » clame un de ses proches, lui aussi partisan du boycott de la CAN 2017. Pour de nombreux opposants, boycotter le CAN c’est boycotter Ali Bongo qu’ils jugent illégitime.
Les joueurs de l’équipe nationale du Gabon, appelés les panthères, sont aussi boudés par une partie de leur public. Il leur est reproché de n’avoir manifesté aucune compassion au moment des violences post-électorales. La cible souvent désignée est Pierre-Emerick Aubameyang, la star de l’équipe, qui se serait montré condescendant quand certains l’interpellaient en septembre qu’il montre sa compassion envers les victimes de la répression post-électorale mais qui s’est empressé de dire sa douleur après le crash d’un avion transportant des joueurs brésiliens 3 mois plus tard.
Comme pour se venger de son comportement, plusieurs Gabonais ont publié des vidéos sur YouTube pour célébrer le fait qu’Aubameyang n’ait pas remporté le ballon d’or africain cette année. La cérémonie se déroulait le 5 janvier à Abuja (Nigéria).
D’autres dénoncent la politisation de l’équipe nationale pour qu’elle serve l’image du président Ali Bongo. James M. pourtant partisan de la CAN et fervent supporteur des Panthères, regrette que la gestion de l’équipe nationale relève plus de la présidence de la République que de la Fédération gabonaise de football (Fégafoot). « Comment voulez-vous qu’on fasse de bons résultats sportifs quand le sélectionneur national est choisi par la présidence ? À quoi sert donc la Fégafoot » dit-il.
L’argument social : Les grèves, encore et encore
La CAN 2017 au Gabon va s’ouvrir sur un volcan social. On ne compte plus le nombre de grèves enregistrées chaque jour. Dans l’administration publique, les enseignants sont en grève, les personnels de santé également. Les employés des agences de l’État spécialisés dans le cadastre (ANUTTC) et les infrastructures numériques (ANIF) sont eux aussi en grève. Gabon Poste est en grève et les employés de la filiale locale de Shell Gabon sont en grève générale illimitée, etc.
Le climat social est explosif. « On nous promet des baisses de salaires mais on peut dépenser des milliards pour organiser la CAN. » s’insurge un syndicaliste. Avant de renchérir, « ils prennent des enfants dans des salles de classes et les font parcourir des centaines de kilomètres juste pour faire le nombre quand Ali Bongo se déplace à un endroit et lui donner une apparence de popularité. Maintenant qu’un bus transportant des enfants a fait un accident grave, ils s’exonèrent de toute responsabilité ». En effet, le 10 janvier, un bus transportant des élèves mineurs de la ville de Mitzic vers la ville d’Oyem distantes de 130 km a fait un accident. Plusieurs élèves ont été gravement blessés comme on peut le voir dans la vidéo ci-dessous. Ces élèves qu’on avait exceptionnellement privés de cours étaient conduits à Oyem pour assister à l’inauguration par Ali Bongo de l’un des stades devant accueillir les matchs de la CAN 2017.
Enfin d’autres partisans du boycott disent vouloir rester en marge de la CAN 2017 pour ne pas participer à ce qu’ils considèrent comme du racket étatisé. En effet, de nombreuses lettres publiées dans la presse locale permettent de constater que le comité d’organisation sollicite des entreprises privées pour qu’elles achètent massivement des billets d’accès au stade, lesquels seront distribués gratuitement.
Dans ces lettres, le comité d’organisation de la CAN explique aux chefs d’entreprises qu’en achetant des billets pour la CAN, elles démontreraient leur attachement aux plus hautes autorités du pays et donc à contrario ne pas le faire serait démontrer son opposition. La CAN 2017 au Gabon, ne sera décidément pas une CAN comme les autres.