Pas un instant il n’a regretté son choix. Le vice-président de l’Union nationale explique que c’est le pragmatisme qui l’a fait se rallier à Jean Ping. Et qui, aujourd’hui encore, le pousse à prôner le dialogue avec un président dont il conteste la légitimité.
Ce sont deux désistements qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre mais qui l’ont profondément marqué. En août 2009, le jour précédant l’élection à la magistrature suprême, Casimir Oyé Mba se retire de la course. Sept ans plus tard, à la veille d’un autre scrutin présidentiel, il nous dira avoir subi des pressions et s’excusera d’avoir à ce point déçu les Gabonais, jurant qu’on ne l’y reprendrait plus.
En août 2016, pourtant, l’histoire se répète : l’ancien ministre et Premier ministre d’Omar Bongo Ondimba, devenu vice-président de l’Union nationale (UN), renonce à se présenter et appelle à voter pour Jean Ping – avec les résultats que l’on sait.
Depuis, les mois ont passé, mais Oyé Mba assure ne rien regretter. Il se dit même fier d’avoir contribué au fait que, pour la première fois de son histoire, l’opposition gabonaise ait réussi à s’unir derrière un seul et même candidat. Il explique « ne plus courir derrière tel ou tel poste », mais se dit incapable de rester en retrait : « On ne peut pas avoir exercé les mêmes responsabilités que moi et, un jour, tout arrêter pour se calfeutrer chez soi. »
De passage à Paris, il s’étonne de cette image parfois hautaine qui lui colle à la peau, à lui qui a gravi un à un les barreaux de l’échelle sociale. Mais il revendique le qualificatif d’« incurable optimiste » que JA lui avait un jour accolé : « Si vous pensez que tout est perdu d’avance, vous n’avez rien à faire en politique. » Surtout, à 75 ans, loin de la radicalité qu’affichent certains dans les couloirs du pouvoir comme de l’opposition, il milite pour le dialogue. « Je suis un Bantou. Chez moi, quand on a un problème, on palabre. »
Jeune Afrique : En août 2016, alors que vous étiez candidat à la présidentielle, vous vous êtes désisté en faveur de Jean Ping. Fut-ce une décision difficile ?
Casimir Oyé Mba : Bien sûr. J’étais le candidat de mon parti, l’UN. J’avais été investi de manière éclatante à l’issue de la primaire et j’étais déterminé à aller jusqu’au bout. Mais le plus important était d’obtenir l’alternance politique et de faire en sorte qu’Ali Bongo Ondimba ne soit plus le président du Gabon. Si Guy Nzouba-Ndama, Léon Ngoulakia et moi-même ne nous étions pas désistés, si nous avions été plusieurs face à Ali, nous l’aurions indirectement favorisé.
Avez-vous des regrets ?
Non. Ce fut un choix de raison. J’ai agi dans l’intérêt de mon pays.
Avez-vous subi des pressions ?
Cela n’a pas été nécessaire. Et puis, sans vouloir faire preuve de forfanterie, qui peut faire pression sur moi au Gabon, à l’âge que j’ai et avec l’expérience qui est la mienne ?
Pas même Zacharie Myboto, le président de votre parti ?
Non, nous avons parlé et nous étions d’accord. Zacharie Myboto est un ami. Nous avons coutume d’échanger nos points de vue. Je n’appelle pas cela des pressions. J’ajoute qu’il n’y avait nul besoin de me convaincre puisque j’étais déjà convaincu : nous voulions l’alternance, il fallait faire un sacrifice.
Le problème, c’est qu’une majorité de Gabonais a voté pour Jean Ping. C’est lui qui a gagné l’élection
Plus d’une année s’est écoulée. Vous ne reconnaissez toujours pas Ali Bongo Ondimba en tant que président ?
Le problème n’est pas que je le reconnaisse ou non – lui-même d’ailleurs n’en a cure. Le problème, c’est qu’une majorité de Gabonais a voté pour Jean Ping. C’est lui qui a gagné l’élection. La commission électorale, le ministère de l’Intérieur et la Cour constitutionnelle se sont livrés à de grossiers tripatouillages pour proclamer la victoire du président sortant, et il y a une divergence flagrante entre ce que les Gabonais ont voté et le résultat qui a été annoncé.
Peut-on négocier avec un président dont on conteste la légitimité ?
Je suis pragmatique. Si j’ai un problème avec quelqu’un, je dois parler avec lui. Et si c’est avec le diable que j’ai un problème, il faut que je parle avec le diable.
Vous n’êtes donc pas de ceux qui pensent que le dialogue proposé par le chef de l’État est une manœuvre destinée à asseoir sa légitimité ?
Il y a une différence entre aller à la pêche aux individus, leur proposer d’entrer au gouvernement et dialoguer véritablement. J’ai pour ma part participé au dialogue proposé par Jean Ping. Cela a été un succès, bien qu’il nous faille encore inscrire nos bonnes idées dans la réalité politique, juridique et administrative de notre pays.
Mais il est dommage que chacun ait discuté dans son coin. Des choses intéressantes ont été formulées des deux côtés – même s’il y a des gens dans l’opposition qui n’aiment pas que je le dise. Ali Bongo Ondimba a usurpé le pouvoir, mais c’est lui qui dispose de la légalité.
Je suis toujours avec Jean Ping, même si nous ne sommes pas toujours sur la même longueur d’onde
Êtes-vous contesté dans votre propre camp lorsque vous prônez le dialogue ?
Il y a des faucons des deux côtés.
Diriez-vous que votre relation avec Jean Ping s’en trouve affaiblie ?
Je suis toujours avec Jean Ping, même si nous ne sommes pas toujours sur la même longueur d’onde. Nous nous voyons toutes les semaines. Je lui reconnais la clarté et la constance de sa position : il demande que l’on rétablisse la vérité des urnes, et la seule chose dont il accepterait de discuter serait les conditions dans lesquelles Ali Bongo Ondimba quitterait le pouvoir. Il est disposé à lui accorder toutes les garanties qu’il voudra ainsi que la liberté d’aller et venir au Gabon.
Personnellement, j’aimerais bien que les choses se passent ainsi, mais cela fait presque un an et demi qu’il est au Palais et je ne décèle aucun signe qui me laisse penser qu’il envisagerait de céder. Le temps qui passe joue en sa faveur, pas en la nôtre.
L’opposition doit-elle aller aux législatives ?
Oui, et de manière unie : c’est une question de bon sens. Aucun de nos partis pris individuellement n’a les moyens du PDG [le Parti démocratique gabonais, au pouvoir] ou l’implantation suffisante pour être présent partout sur le territoire. L’UN a beau être l’une des principales formations d’opposition au Gabon, elle ne peut pas aligner 120 candidats à la députation.
Nos systèmes politiques – au Gabon en particulier – ne sont pas conçus pour faire émerger des alternatives
Serez-vous candidat ?
Je n’ai pas encore pris ma décision, mais j’ai déjà été élu à quatre reprises dans ma circonscription. Le moment est peut-être venu d’impulser un renouvellement des cadres politiques dans notre pays. Il serait bien qu’au sein de l’UN des gens plus jeunes que moi se mettent sur les rangs pour tenter d’enlever un siège de député ici ou là.
Ce que vous dites ne vaut-il pas aussi pour le PDG ?
Injecter du sang neuf, c’est toujours souhaitable.
On ne voit pourtant pas poindre la relève…
Il y a des hommes et des femmes tout à fait capables, dans les rangs de l’opposition comme dans les allées du pouvoir. Mais nos systèmes politiques – en Afrique en général et au Gabon en particulier – ne sont pas conçus pour faire émerger des alternatives. Aujourd’hui, un membre du PDG a presque intérêt à ne pas se faire remarquer. Les gens qui manifestent des capacités, on leur coupe la tête.
Ces derniers mois n’ont-ils pas usé l’UN ?
L’UN doit effectuer un travail d’explication et de réimplantation, c’est sûr. Tous les partis gabonais ont été créés par et autour d’un individu. Pas le nôtre. En 2010, nous avons été quatre ou cinq à discuter et à décider de créer ensemble un mouvement new look. L’UN n’a jamais porté la marque d’une seule personne. Cela a fait sa force et peut-être aussi sa faiblesse.
Malgré tout, la disparition de Mba Obame en 2015 n’a-t‑elle pas laissé un grand vide ?
Il a été l’un des fondateurs du parti. Il était devenu une sorte d’icône, c’est incontestable. À cet égard, cela a été une grande perte pour l’UN. Mais il ne faut pas baisser les bras. Nous devons consolider cette maison que nous avons commencé à bâtir avec lui.
Les problèmes du Gabon ne se régleront pas en catimini
Est-il vrai qu’Ali Bongo Ondimba vous a plusieurs fois proposé de vous asseoir autour d’une table et de discuter ?
Ce sont des on-dit. Les problèmes du Gabon ne se régleront pas en catimini. Imaginons que demain je devienne ministre. Cela ne changerait rien. J’ajoute que j’ai déjà passé dix-neuf ans au gouvernement… Je ne suis plus à la recherche d’un maroquin ministériel.
Le bruit court aussi que l’on vous a proposé la vice-présidence…
Je l’ai entendu dire, mais ce n’est pas vrai. Ce sont des rumeurs, des kongossa.
Avez-vous récemment rencontré le chef de l’État ?
Non, mais s’il souhaite me voir, je le rencontrerai.
Le PDG, ce parti auquel vous avez longtemps appartenu, s’apprête à fêter ses cinquante ans. Il n’a pas brillé lors de la dernière présidentielle… Doit-il se réformer ou disparaître ?
Le PDG exerce le pouvoir sans discontinuer depuis sa création, en 1968. Cinquante ans, c’est long. Cela use et sclérose. Donc oui, le moment est venu pour les membres du PDG de se poser des questions sur l’avenir de leur parti.
Je dirais même que l’argent a pourri mon pays
Comprenez-vous que, pour beaucoup de Gabonais, la politique se résume à une querelle d’ego ?
Oui, et nous avons, nous les acteurs politiques de ce pays, une vraie responsabilité. Les gens ne se reconnaissent pas en nous. Beaucoup donnent le sentiment qu’une fois au pouvoir ils ne se préoccupent plus que de leurs affaires et de celles de leur famille.
On dit parfois que le problème d’un pays comme le Gabon, c’est le culte de l’argent facile…
Je dirais même que l’argent a pourri mon pays. Ce que les Occidentaux ont appelé « choc pétrolier », au début des années 1970, a été pour nous un afflux brutal d’argent. Nous n’y étions pas préparés. À partir de là, beaucoup de gens ont pensé que gagner de l’argent était chose facile, et cela a laissé des traces. Mais il faut que la gouvernance change, que les Gabonais apprennent à gérer et à compter. Qu’ils comprennent qu’un sou est un sou, et ce jusque dans la gestion de l’État.
Je regrette que l’on ait mis dans la tête des Gabonais que leur pays était gorgé de ressources naturelles.
Le Gabon connaît aujourd’hui des difficultés économiques. Que pensez-vous du plan de relance du gouvernement ?
Je regrette que l’on ait mis dans la tête des Gabonais que leur pays était gorgé de ressources naturelles. Tant mieux si nous avons du pétrole, du manganèse et du bois. Mais il faut dès maintenant commencer à nous diversifier parce que cela prendra du temps, et le gouvernement n’a pas suffisamment pris la mesure de ce qui était en jeu.
Et le plan du FMI ?
Le FMI ne vient pas si vous ne l’appelez pas. Il ne vient pas si vous êtes en bonne santé. Il vient parce que le pays va mal et que ses affaires ont été mal gérées.
La chute des cours du pétrole n’explique-t‑elle pas les difficultés du Gabon ?
La chute des cours a frappé tous les pays producteurs. Même l’Arabie saoudite, qui n’est pourtant pas dans la même situation que nous… Nos gouvernants auraient dû anticiper. C’est une faute de ne pas l’avoir fait.
D’une manière générale, les pays de la zone Cemac sont à la peine. Cela vous inquiète-t‑il ?
Bien sûr. Quand il n’y a plus de foin dans l’étable, les chevaux se battent. Il faut qu’il y en ait pour que les pays de la sous-région se remettent économiquement. Et qu’il y en ait avant que le malaise ne trouve à s’exprimer sur le champ politique.
Je suis convaincu de la nécessité de bâtir, en Afrique centrale, un vrai espace économique commun
Le Gabon peut-il s’en sortir seul ?
Le problème que vous posez est celui de la construction de la Cemac. Je suis convaincu de la nécessité de bâtir, en Afrique centrale, un vrai espace économique commun. Il faut plus d’intégration. Toutefois, pour s’en sortir, un pays doit d’abord se retrouver seul avec lui-même et comprendre qu’il ne sortira pas de l’impasse sans fournir de gros efforts.
Les Gabonais ne manifestent-ils pas une certaine méfiance à l’égard des pays de la zone ?
C’est vrai. Il n’y a qu’à voir les réticences à mettre en œuvre la libre circulation décrétée par la conférence des chefs d’État de la Cemac il y a déjà plusieurs années. Mais il y a une raison quasi historique à cela : le Gabon est un pays de sous-population. Nous avons vécu l’AEF [l’Afrique-Équatoriale française] et nous n’y étions pas les mieux lotis. Cela a laissé des traces. Il faut expliquer aux Gabonais qu’il y a des choses que l’on ne pourra pas entreprendre seuls chez nous. On leur a présenté le pays comme étant un gâteau. Ils ont peur d’en avoir moins s’ils doivent partager. Ce qu’il faut leur expliquer, c’est qu’ils pourront en fabriquer un plus gros s’ils sont plus nombreux.