Dans cette Afrique où tant de dirigeants s’accrochent frénétiquement au pouvoir, les grands hommes, nos héros, sont ceux qui savent admettre la défaite.
Anthony Lattier : Au Gabon, le pouvoir d’Ali Bongo croyait avoir fait sa part de concession en rendant la liberté à la vingtaine de leaders de l’opposition retenus depuis quarante-huit heures au quartier général du candidat Jean Ping. Seulement, voilà, Jean Ping a décidé de se proclamer président élu du Gabon. Ne faut-il pas craindre que la situation s’envenime et dégénère ?
Jean-Baptiste Placca : Il n’est pas judicieux de présenter comme une concession, le simple fait de rétablir dans leur droit, des citoyens à qui la justice n’avait, à l’évidence, rien à reprocher. Après tout, dans un Etat de droit, la liberté est le minimum que l’on doive à des personnalités qui n’ont été entendues par aucun officier de police judiciaire, aucun magistrat, et à qui aucune charge n’a été notifiée, en quarante-huit heures de ce qu’il faut bien appeler une séquestration. D’un point de vue purement judiciaire, ce serait une forfaiture que d’engager contre elles une procédure, a postériori. Leur séquestration était, à l’évidence, une maladresse, la preuve d’une certaine nervosité.
Le pouvoir d’Ali Bongo est pourtant réputé très outillé, en matière de communication…
Là est tout le problème ! La communication ne vous sert à rien, si vous n’avez pas des actes politiques pertinents à faire valoir. La meilleure communication ne peut pas rattraper toutes les erreurs et les maladresses d’une politique mal pensée. Ce qui se passe au Gabon rappelle étrangement le début de la tragique crise post-électorale, en Côte d’Ivoire, il y a six ans : le challenger, pour le moment, demande le recomptage des votes, et le pouvoir, persuadé sans doute que le mouvement finira par s’essouffler, refuse, résiste, exactement comme Laurent Gbagbo, en décembre 2010. Mais, lorsque, sentant l’étau se resserrer, il s’est enfin résolu à accepter que l’on recompte les votes, l’autre camp n’en voulait plus. La suite est connue de tous…
Au-delà de ce que pourrait révéler ou pas un nouveau décompte, il est attristant, pour l’héritier d’un régime totalisant un demi-siècle au pouvoir, d’en être réduit à justifier son maintien à la magistrature suprême par une malheureuse et contestable avance de… 6 000 voix ! Attristant et humiliant d’offrir ce spectacle d’hélicoptères traquant les manifestants avec des bombes lacrymogènes.
Les diplomates et autres observateurs étrangers n’affirment pas pour autant que Ali Bongo a perdu l’élection…
Ce sont justement ces contorsions diplomatiques qui tuent la démocratie en Afrique. Pourquoi donc est-ce si difficile de dire les choses clairement, pour que ce continent avance enfin ? Cette fois-ci, les diplomates et autres observateurs européens ont été suffisamment explicites, pour que ceux qui savent lire entre les lignes comprennent qu’il se passait quelque chose de peu reluisant dans le processus électoral, au pays d’Ali Bongo.
Ali Bongo n’est tout de même pas le premier à s’accrocher de la sorte. Après tout, ce n’est guère que son premier mandat : seulement sept ans, pourrait-on dire, même si son père en a accumulé quarante-deux, auparavant…
La question de fond est de savoir partir, lorsque le vote du peuple ne vous est pas clairement favorable. Peu importe le temps que l’on a passé aux affaires. En 1996, au Bénin, Nicéphore Soglo achevait un premier mandat de cinq ans, au cours duquel il avait travaillé pour son peuple, comme jamais aucun autre dirigeant de ce pays ne l’avait fait avant lui, et même après. Mais, probablement à cause des relations difficiles que sa famille entretenait avec les Béninois, il a été battu. En dépit du sentiment d’injustice, il a tout de même cédé le pouvoir à Mathieu Kérékou, sans chercher à ruser ni à tricher. Vingt ans après, le Bénin est aujourd’hui une démocratie parmi les plus respectables du continent, et cette nation le doit, en partie, à Nicéphore Soglo, et pour toujours.
Abdou Diouf, en l’an 2000, a pris, à jamais, une dimension… transcontinentale, pour avoir accepté sa défaite face à Abdoulaye Wade, alors même que ses propres partisans s’apprêtaient à… « ajuster » les chiffres, pour lui assurer une réélection.
Dans cette Afrique où tant de gens s’accrochent frénétiquement au pouvoir envers et contre la volonté de leurs peuples, les grands hommes, nos héros, ce sont ceux qui savent accepter la défaite, lorsque la victoire n’est pas plausible.
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A Paris, des centaines de Gabonais réclament le départ d’Ali Bongo
Par RFI
Près d’un millier de ressortissants gabonais résidant en France ont manifesté ce samedi à Paris suite à la réélection contestée d’Ali Bongo. Après un rassemblement sur le parvis des droits de l’homme au Trocadéro, les manifestants se sont dirigés vers l’ambassade du Gabon à Paris (16e arrondissement). Sous escorte policière, ils ont manifesté leur opposition aux résultats du vote de mercredi dernier et réclamé la « reconnaissance de l’élection démocratique » de l’opposant Jean Ping.
C’est en chanson que les manifestants ont exprimé leur opposition à la réélection d’Ali Bongo. La majorité sont des jeunes, mais parmi eux, il ya cette Gabonaise d’un certain âge qui tient à manifester. « Je suis obligée de sortir avec la canne à la main, c’est pour l’avenir de mes petits-enfants. Il y a trop d’injustice, trop de dictature. Nous ne voulons plus de ça. Il faut qu’il libère la place. »
Même son de cloche de cette trentenaire, en colère, qui ne veut même pas entendre parler de recomptage des votes : « Nous voulons purement et simplement le départ d’Ali Bongo. Nous n’en sommes plus au comptage des voix. Nous disons : “Ali Bongo, dégage !” Nous avons été clairs dans les urnes, il a triché, il nous a volés. Nous ne voulons plus de Bongo ! »
Juste à côté, des étudiantes portent des pancartes sur lesquelles on lire : #Liberté, #FreeGabon. « On veut se faire entendre, on veut faire savoir que les Gabonais sont fatigués, et on ne veut pas que ça reprenne pour ces sept prochaines années », dit l’une, quand sa copine renchérit : « On ne voit pas notre avenir avec Ali. Nous ne serions pas aussi nombreux ici. On est fatigué de voir le même nom : Bongo, Bongo, Bongo. On en a marre. »
Alors qu’aucune sortie de crise ne semble poindre pour le moment, la France continue de réclamer l’apaisement. La communauté internationale presse toujours pour un recomptage des voix. Pour Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères, « ceux qui contestent l’élection doivent déposer un recours devant la Cour constitutionnelle ».