Jean-Pierre Bat Blog Africa4 Libération 9 octobre 2016
Questions à… Mélanie Soiron, docteur en anthropologie de l’université de Lille, consultante au sein de Cassius International.
Qu’appelle-t-on le « système Bongo » ?
Les 42 années (1967-2009) qu’a duré la présidence d’El Hadj Omar Bongo Ondimba ont permis la mise en place et le perfectionnement de ce qui a pu être nommé le « système Bongo ». Ce n’était pas un bloc monolithique construit uniquement sur la base de la puissance détenue par les institutions sécuritaires étatiques mais bien un processus en rééquilibrage constant, qui a pu s’adapter, se renouveler, à des moments clés de l’histoire politique gabonaise.
Avant de devenir chef de l’Etat, Omar Bongo avait occupé de nombreuses fonctions au sein du gouvernement, jusqu’à cumuler les postes de Vice-Président, ministre de la Défense, de l’Information, de la Planification, de la Coordination et du Tourisme. Il s’était ainsi positionné comme le dauphin du premier Président Léon Mba et l’avait soutenu lors du coup d’Etat de 1964.
A cette époque, l’influence française sur le territoire est prégnante, et nous ne devons pas minimiser son importance quant aux circonstances d’accession à la tête de l’Etat de cet homme. Néanmoins, par la suite, (et à la différence d’autres chefs d’Etat arrivés au pouvoir dans des conditions similaires sur le continent), son parcours et sa longévité en ont fait un cas à part.
Cette longévité, ou ce système, s’est construit grâce à une redistribution stratégique d’une part de la rente pétrolière et d’autre part, des postes administratifs et politiques. Parallèlement, elle s’est perpétuée en raison de facteurs internes. Ainsi, par la domination symbolique ; la manipulation des représentations géographiques, ethniques, claniques et sorcellaires ; et la géopolitique des postes, un système s’est perfectionné, maintenu et a pu se recomposer et se renouveler comme, par exemple, au moment de l’instauration du multipartisme.
Les forces de ce mécanisme ont permis d’introduire dans un « système » l’ensemble des acteurs politiques. Par ailleurs, les conditions d’imposition de ce système ont pu être facilitées par le faible nombre de gabonais, dont la moitié vit à Libreville, la capitale.
Comment expliquer que le pouvoir d’Omar Bongo ait tant duré et soit parvenu à verrouiller la politique gabonaise ?
Nous pourrions dire que la véritable force de ce « système Bongo » résidait dans sa capacité à se renouveler lors d’échéances électorales, à maintenir la paix et la sécurité sur l’ensemble du territoire durant plusieurs décennies et à donner à chaque acteur la possibilité d’obtenir sa part de la rente, directement ou indirectement. Néanmoins, nous manquerions une importante dynamique sous-jacente : la capacité de l’Etat et de son chef à naturaliser son pouvoir et les institutions. Bongo s’est confondu avec l’Etat durant quatre décennies, les mécanismes d’attribution de sens à cette observation sont fondamentaux.
Appuyé sur un gouvernement, une assemblée nationale puis dans les années 1990 sur une seconde chambre représentative, le Sénat, Omar Bongo a pu verrouiller une scène politique, au départ plurielle et engagée.
L’assemblée nationale a consolidé son rôle en représentant l’autochtonie, la terre et les régions de l’intérieur du territoire, lorsqu’au Sénat les tenants de la séniorité donnaient corps à cette institution.
Le mécanisme opérant au sein du gouvernement était en outre une bonne illustration du système Bongo. A chaque élection (législative et présidentielle) il était possible d’observer un nouveau cycle avec le renouvellement d’une partie des ministres. Ces derniers étaient choisis en fonction d’un système de parrainage. Divers liens étaient à l’origine de ces parrainages : localité d’origine, confrérie, parti politique. De plus, ces parrainages étaient redoublés par des liens de parenté réels dans au moins quatre des plus puissants ministères durant quatre décennies.
Il était ainsi possible d’observer la succession d’oncles à neveux au ministère de l’économie et des finances, mais aussi à la fonction de Premier ministre ; ainsi que des liens d’alliance au ministère (extrêmement avantageux) des Travaux publics. Concernant ce dernier, il est particulièrement intéressant de noter la passation de pouvoir en 1990 entre J.-B. Assélé, frère de l’épouse du Président Bongo avec laquelle il venait de divorcer et Zacharie Myboto, père de la « maîtresse officielle » du chef de l’Etat avec laquelle il aura un enfant. Poste qu’il quitta un an après la rupture de sa fille avec le Président.
Au ministère de la Défense, après avoir tenu lui-même les rênes, Omar Bongo fut remplacé par deux de ses neveux (que l’on peut considérer comme ses fils au regard des règles matrimoniales) puis par son fils, Ali.
Enfin, au ministère des Affaires étrangères, se sont succédés durant la période du monopartisme un « frère » du Président puis, lorsqu’apparurent les signes d’avènement du multipartisme, ce furent le fils, la fille puis, le fils par alliance (le gendre) Jean Ping, qui prirent la direction de ce portefeuille.
Tout se passant comme s’il avait fallu, en cette nouvelle période politique, renouveler la génération sans renouveler les fondements et le principe de parenté.
Que reste-t-il chez Ali du système bâti par son père?
Lors de son accession à la tête de l’Etat, Ali s’est appuyé sur les structures de l’ancien parti unique et parti au pouvoir, le PDG ; sur certains de ses caciques ; et sur les mots d’ordre développés par son père et avant lui par Léon Mba, de paix et de stabilité.
Puis, durant l’exercice de son premier mandat, Ali a déployé un discours d’ouverture et de libéralisation, tentant de faire bouger les lignes idéologiques, ce qui a pu, durant un moment, aviver l’espoir d’une frange de la population, avide de changements.
Des transformations eurent en effet lieu, mais pas celles attendues.
En effet, la baisse des revenus tirés du pétrole a engendré une moindre circulation de l’argent et la machine de redistribution s’est grippée.
Par ailleurs, là où Omar Bongo s’appuyait sur sa parentèle pour se maintenir au pouvoir, Ali s’en est isolé. De manière exemplaire, sa sœur Pascaline qui tenait un rôle de premier plan au sein du cabinet présidentiel a été mise à l’écart ; les conflits relatifs à la répartition de l’héritage familiale ont mis en exergue des problèmes internes débouchant sur une mise en accusation formelle des origines d’Ali. Ce dernier est en effet accusé de ne pas être le fils naturel d’Omar Bongo mais d’avoir été adopté au moment de la crise du Biafra.
Il en a été de même au sujet des dynamiques qui ont régis la vie politique gabonaise. De manière exemplaire, là où M. E. Rahandi Chambrier, personnage central avant l’indépendance puis durant le monopartisme avait ouvert la voie à son fils, devenu à sa suite un cacique soutenant, au sein du PDG, le Président. Ce dernier a fini par démissionner avec fracas du parti, avant de créer un mouvement pour l’alternance. De même, s’agissant de la famille Myboto, le père et sa fille ont rejoint le camp de Jean Ping et ont été arrêtés à la suite des élections au QG de ce dernier.
Enfin, cas ultime, Jean-Ping, son ex-beau-frère (qui a eu des enfants avec sa sœur), un parent, se retrouve être son principal rival lors des élections présidentielles.
En outre, nous pourrions aussi remarquer qu’Ali n’incarne pas, en tant que chef de l’Etat, les mêmes attributs vernaculaires du pouvoir (notamment en tant que représentant du Bwiti ou du Ndjobi comme son père), ceux de la puissance fondée sur des représentations sorcellaires.
Enfin, les principaux candidats lors des dernières élections présidentielles et représentants du système Bongo ont disparus (Pierre Mamboundou et André Mba Obame), tandis que ses plus proches collaborateurs ont été choisis à l’extérieur du territoire.
Ainsi, les deux piliers qui ont perduré et sur lesquels s’est appuyé Ali pour ces élections sont d’une part, celui du contrôle des forces de sécurité (armée, police, gendarmerie) et d’autre part, l’institution de la Cour constitutionnelle, comme lors de toutes les élections précédentes.
Néanmoins, cette victoire, sans légitimité ni contrôle des représentations et des signifiants n’est pas gage de réussite. L’appel au dialogue, comme l’a toujours fait son père, sera-t-elle la solution ? Nous pouvons en douter. *
Série «Africa4» sur les élections au Gabon
– La première gorgée de bière… le système REGAB
– La longue marche de l’opposition gabonaise
– Les Gabonais ont conscience que le pays amorce un tournant historique pour son avenir
– Les élections au Gabon en cartes
– Par-delà Omar et la Françafrique
– Gabon : élections présidentielles, élections et répression depuis 1990