Georges Weah: L’espoir des damnés de la terre
La victoire de Georges Weah au Liberia est l’aboutissement d’une histoire extraordinaire, touchante et inspirante pour une génération d’Africains: Weah a grandi à Clara Town, une banlieue pauvre de Monrovia avant de devenir le footballeur Africain le plus célèbre de sa génération et un point d’orgueil pour toute l’Afrique comme l’avait affirmé Nelson Mandela. Nombreux sont les Africains qui se sont appropriés ce conte de fées qui leur donne espoir. En effet Weah a brisé toutes les barrières entre l’élite pathologique et incompétente de l’Afrique et le reste des sociétés Africaines. Cependant, aussi inspirant soient-ils, les rêves d’égalité et de justice sociale de l’Africain moyen ne seront guère accomplis simplement parce que Weah a été élu, même si il restera comme un instrument puissant dans la réalisation de l’égalité juridique contre une longue histoire de préjugés et d’abus incompréhensibles, il n’en reste pas moins que son accession à la magistrature suprême aujourd’hui n’est en rien une petite réussite.
En fait, la victoire de Weah coïncide avec la puissante contribution d’Achille Mbembe dans Le Monde intitulé «Le lumpen-radicalisme et autres maladies de la tyrannie» http://www.lemonde.fr/afrique/
Dans cet article, Mbembe définit le type d’éducation politique que les Africains doivent posséder avant de s’engager sur la voie d’une véritable société des égaux. Ce faisant, il complique la notion des damnés de la Terre de Frantz Fanon en commençant par s’attaquer à un grand tabou de la gauche qui est la romantisation condescendante des pauvres. Au lieu de cela, Mbembe souligne que même les pauvres sont sujet à l’auto-illusion, au cynisme, et à la perversité humaine. Par conséquent, les pauvres peuvent être aussi superficiels, matérialistes, culturellement insipides et historiquement ignorants que leurs propres élites. Ainsi le «lumpen radicalisme» se lit comme le coût énorme que les Africains ordinaires doivent payer pour la faillite spectaculaire des politiques de développement, de la modernité importée, d’ajustement structurel du FMI et de la banque mondiale sur le continent. Pire encore, la privatisation de l’État et des machines de guerre puis l’institutionnalisation de la «nécropolitique» où seuls les sociopathes et les psychopathes atteignent le sommet de la pyramide sociale et où aucune forme de compassion n’existe.
De même, les sociétés nécropolitiques sont contrôlées et dominées par une classe de sociopathes et de psychopathes qui croient qu’ils sont supérieurs et les imprègnent de leur idéologie réactionnaire, identitaire, et inhumaine Ce faisant, ces sociétés sont essentiellement basées sur la servitude et l’exploitation qui dictent des identités binaires tels que l’opposition et le pouvoir (voulu ici éternel), l’oppresseur et l’opprimé, l’anglophone et le francophone etc…
De plus, la manipulation du désir où la puissance phallique est emblématique de la privatisation du pouvoir et d’une culture de la brutalité, puis de la banalisation de l’humiliation. Mbembe soutient que « typique de cette approche est aussi la conviction que le vainqueur a toujours raison et que dans toute lutte ou confrontation, peu importe les moyens, seul le résultat compte». À tout cela s’ajoute: une conception anti-égalitaire (un grand n’est pas un petit), un virilisme, et un hypermasculinisme exacerbés, dont les références constantes aux organes génitaux masculins et le dénigrement des attributs féminins supposés constituent la lame de fond, avec une identification systématique de la femme à la prostituée. »
Mbembe d’ajouter “Il s’agit donc d’une violence sans projet politique, que l’on a vu à l’œuvre lors des guerres en Sierra Leone et au Liberia, et auparavant en Ethiopie. Elle est à l’œuvre dans le couloir qui s’étend du Sahel et du Sahara à la mer Rouge. Sous sa forme prédatrice, elle est également à l’œuvre dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC).
Mbembe continue en citant son mentor Jean-Marc Ela pour compliquer encore plus la notion chrétienne de «Aime ton prochain comme toi-même». En effet, cet amour et ce désir du prochain ne doivent pas être tenus pour acquis. Aimer votre prochain ne signifie pas que vous ne devez pas être critique quand le besoin se font sentir. En pratique, cela signifie ne pas laisser le plus petit dénominateur commun devenir la nouvelle norme pour toute la communauté. C’est le genre de bon sens qui doit résister à toutes les formes de romantisation.
Mister George Président!
Tout ceci nous invite d’urgence à ne pas nous arrêter uniquement à la carrière footballistique exceptionnelle de cet ancien attaquant de talent qu’est Georges Weah.
En effet tout joueur de football qu’il était dans les clubs les plus prestigieux du monde, George Weah ne s’est jamais réellement coupé de ses racines populaires de Monrovia, et a su entretenir la flamme d’une reconstruction et réconciliation possibles au sein d’un peuple plongé des décennies durant dans une guerre civile d’une rare violence.
La tache c’est vrai – au regard notamment des attentes placées en lui depuis toutes ces années d’action politique – est immense. Elle mériterait néanmoins d’être aidée, ne serait-ce que pour soutenir le triomphe de la légitimité par les urnes transparentes, sur un continent en proie à toutes les formes diverses et variées de confiscations du pouvoir.
Le CL2P voit dans la victoire de Weah, une victoire pour la bataille sur l’égalité légale formelle, d’une manière qui rend les préjugés et abus qui prévalaient il y a juste une génération presque incompréhensibles aujourd’hui. De plus, une victoire contre la mentalité de la plupart des dirigeants africains qui se cramponnent au pouvoir en affichant leur immortalité obscène sans aucune soit-disante magnanimité, même après des décennies au pouvoir sans partage.
Olivier Tchouaffe, PhD, Porte-parole du CL2P
English version
Georges Weah: Hope of the Wretched of Africa
Georges Weah’s victory at the poll in Liberia is the apex of an extraordinary deft, moving and inspirational story to a generation of Africans: Weah grew up in Clara Town, a poor suburb of Monrovia, and played football across the river in West Point, Liberia’s biggest informal settlement, where he still has a large fan base. Many Africans his becoming president as a fitting next chapter in the rags-to-riches fairytale and one that gives them hope for the ways that Weah broke the barriers between African’s pathological and incompetent elite and the rest of society. However, as inspirational as he is, African’s dreams of equality and social justice cannot be seen to have been achieved just because Weah was elected and, even though, he will remain as a powerful instrument in the achievement of legal equality in ways that it makes a history of prejudices incomprehensible today which is in no way a small achievement.
As a matter of fact, Weah’s victory coincides with Achille Mbembe’s powerful contribution in Le Monde titled «Le lumpen-radicalism et autres maladies de la tyrannie»
http://www.lemonde.fr/afrique/
In it, Mbembe defines the kind of political education serious Africans have to own before walking the path to a real society of equals successfully. In doing so, he complicates Frantz Fanon’s notion of the wretched of the Earth beginning by attacking a big taboo of the left which is the patronizing and condescending romanticization of the poor. Instead, Mbembe emphasizes that even the poor are subjected to self-deception and human perversity, therefore, can be as shallow, materialistic, culturally vapid and historically ignorant as their own elite. Accordingly, “Lumpen radicalism” reads as the huge cost ordinary Africans have to pay for the collapse of politics of development, modernity, the world bank and the IMF’s policies of structural adjustment programs which have in fact cemented the privatization of power and war machines in many countries on the continent. Worse, the institutionalization of “necropolitics” where only sociopaths and psychopaths rise to the top and no forms of compassion exist.
Likewise, Necropolitical societies are controlled and dominated by a class of sociopaths and psychopaths that believes they are superior and they imbue society with the dog eat dog belief for their own ends. In so doing, these societies are based on servitude and exploitation that dictate drastic binaries to survive such as power-opposition, oppressed-oppressor, Anglophone-Francophone.
More, the manipulation of desire where phallic power is emblematic of the privatization of power and a culture of brutality and the banalization of humiliation. Mbembe to argue that “Typical of this approach is also the belief that the winner is always right and that in any struggle or confrontation, no matter the means, only the result counts. To all this is added: an anti-egalitarian conception (a big one is not a small one); a virilism and hypermasculinism exacerbated, hence constant references to the male genitals and the denigration of supposed feminine attributes, or even the identification of any woman to a prostitute.”
Mbembe adds « It is therefore a violence without political project, that we saw at work during the wars in Sierra Leone and Liberia, and previously in Ethiopia. More, at work in the corridor stretching from the Sahel and Sahara to the Red Sea. In its predatory form, it is also at work in eastern Democratic Republic of Congo.
Mbembe goes on to cite his mentor Jean-Marc Ela to complicate even further the Christian’s notion of “Love thy Neighbor as you love thyself” Indeed, that love and that desire must not be taken for granted. To love your neighbor does not mean that you do not have to be critical when needs be. In practice, it means not letting the lowest common denominator to become the new norms for the whole community. This is the kind of common sense that must resist all forms of romanticization.
Mr. President Weah
The CL2P, however claims that let’s not stop at the exceptional football career of this former talented striker. Indeed, every football player that he was in the most prestigious clubs of the world, George Weah never really cut off his popular roots of Monrovia, and knew how to maintain the flame of a possible reconstruction and reconciliation within of a people plunged for decades in a civil war of rare violence.
The task is true – especially in view of the expectations placed on him since all these years of political action – is immense. He nevertheless deserves to be helped, if only to support the triumph of legitimacy through transparent ballot boxes, on a continent plagued by all various forms of power confiscation.
The CL2P see in Weah’s win, a victory for the battle over formal legal equality, in a way that makes the prejudices that held sway just a generation ago almost incomprehensible today. More, a victory against the sit-tight mentality of most African leaders who cling onto office to display their so-called obscene immortality and no magnanimity, whatsoever, even after decades in power.
By Olivier Tchouaffe, PhD, Spokesman of the CL2P