Quand et comment avez-vous été informé du putsch?
J’ai appris la nouvelle à la fin du Conseil des ministres, le mercredi 16 septembre vers 14h30. J’ai alors reçu à quelques minutes d’intervalle deux SMS : l’un de l’aide de camp du Premier ministre Zida, qui avait conservé son téléphone avec lui, et l’autre du directeur de cabinet du Président Kafando. Ces deux messages me signalaient que les militaires avaient interrompu la réunion, qu’ils avaient regroupé les différents participants et qu’ils étaient maintenant pris en otages.
Quelles sont les premières mesures que vous avez prises lorsque vous avez eu connaissance de cette nouvelle?
J’ai d’abord tenté d’obtenir des informations supplémentaires, en contactant des acteurs que je supposais pouvoir jouer un rôle important dans la crise. J’ai notamment appelé le général Gilbert Diendéré et le général Pingrenoma Zagré, pour comprendre avec eux ce qui était en cours, condamner la prise d’otages et exiger la libération immédiate des personnes détenues. Je me suis ensuite entretenu avec Chérif Sy (président du Conseil National de la Transition (CNT), ndlr) et Hervé Kam (porte-parole du Balai Citoyen, principale Organisation de la Société Civile (OSC), ndlr), afin de souligner la nécessité d’être très prudents quant aux réactions qui pourraient venir de la rue, et veiller à ce que le sang ne coule pas.
Y avait-il des signes annonciateurs qu’un coup d’Etat pouvait survenir à ce moment-là?
Oui et non. Oui, parce que nous sommes dans un pays où les journalistes, la société civile, les politiques et la communauté internationale sont très bien informés. Tous ceux qui suivent de près la situation au Burkina Faso étaient donc extrêmement vigilants, suite aux différentes alertes qui ont perturbé le processus de transition -notamment fin décembre, début février, et à nouveau le 28 juin lorsque la rumeur d’un projet d’arrestation par le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP) du Premier ministre Zida a circulé. Je nuancera cependant ma réponse, puisque la veille du coup d’État, le Groupe International de Soutien et d’Accompagnement de la Transition (GISAT) constatait que, en dépit des menaces que l’on voyait toujours planer sur la transition, nous cheminions vers des élections apaisées.
Quelle a été votre réaction?
Le jeudi 17, l’ambassadeur américain, le représentant de l’Union européenne et moi-même avons tenu une réunion avec les membres du GISAT toujours sur place, notamment Mohamed Ibn Chambas, le représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest, et Kadré Désiré Ouédraogo, le président de la Commission de la CEDEAO. Avec eux, nous avons ensuite rencontré les officiers putschistes. J’ai pu alors, compte tenu de ma personnalité et peut-être de ma double carrière (avant de devenir ambassadeur il y a 16 ans, M. Gilles Thibault était officier, ndlr), leur tenir des propos très forts pour condamner le coup d’État.
Avez-vous senti que ce langage leur faisait de l’effet?
J’ai senti que quelques-uns avaient compris qu’ils étaient effectivement allés beaucoup trop loin et qu’ils avaient définitivement sali leur honneur personnel et celui de leur régiment.
Les jours suivants, quel rôle avez-vous joué?
Des jours et des nuits se sont enchaînés! J’ai pu continuer à dialoguer avec tous les acteurs clés de cette crise, notamment la société civile et les partis politiques de l’ex-opposition, avec lesquels j’avais tissé des liens forts dès ma prise de fonction en 2013 et après l’insurrection populaire d’octobre dernier. Nous avons également échangé avec les médiateurs importants qu’ont été Monseigneur Paul Ouédraogo, le Président Jean-Baptiste Ouédraogo et le chef d’état-major général des Armées, le général Pingrenoma Zagré, que je connais bien puisque saint-cyrien comme moi (du nom des élèves de l’école militaire de Saint-Cyr, située dans l’Ouest de la France, ndlr).
Avez-vous revu par la suite les putschistes, et notamment le général Diendéré?
Je n’ai eu aucun contact physique avec le général Diendéré entre la réunion avec le GISAT du jeudi 17 septembre et la deuxième partie de la cérémonie de réinstallation des autorités de la Transition, le mercredi 23. Le général Diendéré a alors rejoint le salon d’honneur dans lequel les acteurs de la crise s’étaient réunis pour s’entretenir avec les présidents de la CEDEAO. Nous avons échangé des regards, mais nous ne nous sommes évidemment pas serré la main.
Pourquoi « évidemment »? On a pourtant vu l’ambassadeur américain s’entretenir avec lui…
Nous avons eu et nous avons encore, l’Union européenne, les États-Unis et la France, des positions extrêmement claires, fortes et alignées. Mais nous avons un rapport aux personnes différent. Mon collègue a fait ce qu’il jugeait bon de faire. Pour ma part, je ne pouvais pas m’entretenir ni serrer la main d’un officier félon.
Jamais, à aucun moment, il n’a été envisagé de conduire la moindre opération militaire
Y a-t-il eu, lors de cette crise, un moment pendant lequel vous avez craint que les événements ne dégénèrent ?
Je n’ai jamais cessé d’être optimiste et d’avoir espoir dans les Burkinabè, dans leur intelligence collective et leur capacité à trouver des solutions pacifiques, y compris aux heures les plus sombres. Ce sont des qualités dont ils avaient déjà fait preuve lors de la première insurrection, et je suis resté confiant tout au long de ces événements dramatiques.
Une intervention militaire française n’a-t-elle jamais été envisagée?
Jamais, à aucun moment, il n’a été envisagé de conduire la moindre opération dans un Etat souverain qui a déjà démontré ses capacités à régler par lui-même la crise dans laquelle il était plongé. Ma préoccupation en terme de mobilisation de moyens militaires a porté sur une seule chose : être en mesure, en cas d’embrasement de la situation, d’évacuer les 3 500 Français et les ressortissants des pays partenaires avec lesquels nous avons des accords. J’ai donc pré-alerté le dispositif, puisqu’il y avait un risque que la situation dégénère. Je rappelle que le sang des enfants de la patrie des hommes et des femmes intègres coulait, et qu’il y a eu des morts et des blessés, devant lesquels je m’incline.
Un des points d’orgue du rôle de la France dans cette crise a été l’exfiltration du Président Kafando de sa résidence surveillée, au soir du lundi 21 septembre. Pouvez-vous nous raconter la façon dont cette opération a été décidée?
Deux heures avant l’intervention, des messages très clairs nous sont parvenus de l’entourage immédiat du Président Kafando, pour nous dire que sa vie était menacée. Il était alors en résidence surveillée, à proximité de la Direction Générale du Trésor, près du palais présidentiel autour duquel l’armée loyaliste resserrait son étau. Il était donc à craindre que les insurgés ne se contentent plus de faire du président un simple otage, mais mettent directement sa vie dans la balance.
Comment l’intervention a-t-elle été menée?
De ce qu’il s’est passé entre le moment où j’ai quitté l’ambassade, vers 20h, et celui où nous sommes rentrés à la résidence de France, je ne dirai rien. La mission a été conduite exactement comme il le fallait, en souplesse, sans la moindre difficulté. Tout ce que je peux affirmer, c’est que le Président Michel Kafando était effectivement libre le lundi 21 au soir, et que la première personne avec laquelle il a pu s’entretenir a été le Président Hollande.
Vous êtes-vous concertés avec vos collègues de la communauté internationale pour savoir qui devait aller chercher le Président?
Non, parce que tout ceci est allé très vite, et parce que les autres n’ont pas la capacité de mobiliser les moyens nécessaires à la réalisation en toute sécurité d’une telle opération. Nous savons tous qu’il y a à Ouagadougou un détachement de forces françaises, dont la mission principale est de lutter contre le terrorisme au Nord-Mali.
Une deuxième rumeur a également beaucoup couru : le président François Hollande a-t-il vu Blaise Compaoré lors de sa visite officielle au Maroc?
Non, jamais.
Notre priorité, c’était de remettre en capacité le Président du Faso et les institutions de la Transition
L’accord de sortie de crise en 12 points que les médiateurs de la CEDEAO ont présenté le dimanche 20 septembre a déclenché la colère des partis politiques et de la société civile. Qu’aviez-vous proposé, lors de ces négociations, notamment concernant l’inclusion des partis de l’ex-majorité aux élections et l’amnistie des soldats putschistes, les deux dispositions les plus critiquées du texte?
La France n’a pas à se prononcer sur un débat interne aussi sensible. Nous avons tous encouragé les efforts de médiation de la CEDEAO, de l’Union africaine et des Nations unies, et n’avons cessé, l’Union européenne, les Etats-Unis et moi-même, de prôner la voie du dialogue, de la modération et de l’apaisement, dans le but de trouver des solutions pacifiques. Notre priorité, c’était de remettre en capacité le Président du Faso et les institutions de la Transition.
La rapidité avec laquelle s’est déroulée la cérémonie de « ré-investiture » des institutions de la Transition a pu surprendre. Comment s’est-elle organisée?
Cela s’est passé de la façon la plus simple qui soit. Ce sont les Burkinabè eux-mêmes qui, en dialoguant avec les chefs d’État de la CEDEAO, en ont arrêté le protocole. Pour notre part, les Européens ont fait valoir avec la plus grande fermeté que nous ne pourrions participer à une cérémonie à laquelle assisterait également le général Diendéré. C’est un point très important, puisque l’Union européenne a fait bloc, et évidemment a été suivie par le reste de la communauté diplomatique au Burkina Faso.
Il y a toutes les raisons d’être optimiste pour l’avenir
Regardons maintenant l’avenir. Vous appeliez, dans votre discours du 14 juillet dernier, à des élections « loyales, transparentes, aux résultats incontestables ». Est-ce que vous êtes toujours optimiste quant à la bonne tenue de ces scrutins?
Je suis très optimiste. C’est réellement aux Burkinabè qu’il revient, seuls, de décider de la conduite de ces élections. Ce que je peux dire, c’est que je n’ai pas de doute sur la qualité de leur organisation, ni sur le fait qu’elles seront loyales et conduiront à des résultats incontestables.
Avez-vous des informations sur la date de ces différentes échéances électorales?
J’entends, comme vous, que la question est sur la table. C’est un point central. Il est vraisemblable, et sans doute souhaitable, que ces élections se tiennent dans le courant du mois de novembre, de préférence pas trop tard.
Quelle est la position de la France sur le sort du général Diendéré?
Il appartient à la justice burkinabè d’en décider.
Depuis l’insurrection populaire et la mise en place de la Transition, le Burkina Faso était perçu comme le fer de lance du combat pour la démocratie en Afrique. Selon vous, le pays a-t-il perdu ce rôle?
C’est tout le contraire! Les opérations de désarmement qui ont commencé ces derniers jours montrent que les Burkinabè veulent en finir avec les coups d’État. Ils marchent d’un pas toujours plus ferme vers la démocratie et le Burkina reste un exemple pour toute l’Afrique. Il y a toutes les raisons d’être optimiste pour l’avenir, et je formule à tous les Burkinabè mes meilleurs vœux pour les jours à venir.
Propos recueillis par Thibault Bluy
Source : bayiri.com
Lire également : l’observateur paalga