Cellou Dalein Diallo dirige le premier parti d’opposition, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), au président Alpha Condé qui l’a battu aux présidentielles de 2010 et 2015 à l’issue de scrutins controversés.
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L’UFDG a également rejoint le Front de défense de la Constitution (FNDC), large mouvement regroupant des organisations politiques et de la société civile qui appelle au boycottage des élections législatives et du référendum sur une nouvelle Constitution qui doivent se dérouler dimanche 1er mars dans un climat très tendu.
Pourquoi avoir décidé de boycotter les législatives ?
Cellou Dalein Diallo : A cause, notamment, du fichier électoral. Nous avons exigé qu’il soit assaini, nous avons obtenu aux forceps qu’il soit audité en 2018. Cela a révélé que, pour préparer « le coup KO » de 2015 [soit l’élection d’Alpha Condé dès premier tour de la présidentielle], ils ont bourré le fichier dans les fiefs du président. Il y avait déjà une anomalie statistique puisque 54 % de la population était inscrite contre seulement 39 % en 2010. Comme par hasard, cette forte augmentation était due à la Haute-Guinée [fief présidentiel] dans la région de Kankan.
L’audit nous a appris que 3,3 millions de personnes étaient inscrites deux fois, les fameux doublons. Et 1,6 million d’autres n’avaient pas de données biométriques. Il était recommandé que tous les électeurs reviennent se faire recenser correctement avec les données biométriques pour prouver que tout le monde existe. Ce rapport a été validé par le gouvernement qui a accepté d’appliquer les modifications. L’Organisation internationale de la Francophonie [OIF] est venue et a obtenu difficilement une circulaire demandant que les électeurs viennent se faire enrôler sous peine de radiation temporaire.
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A l’issue du nouvel enrôlement, on découvre que le corps électoral est de 8,3 millions d’électeurs. C’est trop ! Davantage de mineurs qu’en 2015 ont été enrôlés dans les fiefs du pouvoir en profitant des faiblesses de l’état civil. Dans les nôtres, certains n’ont jamais vu les équipes d’enrôlement. Selon l’Institut national de la statistique, la population guinéenne est de 12,2 millions de personnes. Autrement dit, 68 % de la population serait apte à voter ! Nulle part dans la sous-région ce ratio ne dépasse 41 %.
On arrive à cette situation parce que les recommandations fortes de l’audit n’ont pas été appliquées alors que le président s’y était engagé. Ils font ça parce qu’avec un fichier nettoyé il leur serait difficile de gagner aux législatives. Mais le vrai danger, nous avons fait des simulations, c’est qu’avec ce fichier, le candidat du RPG [le parti au pouvoir] serait élu au premier tour de la présidentielle [théoriquement prévue en octobre 2020].
Ce boycottage ne comporte-t-il pas pour vous le risque de disparaître de la scène politique ?
Il y a des risques. Mais nous avons 120 maires et 2 500 conseillers locaux, donc nous continuerons d’exister à travers eux. Mais je ne peux pas aller aux législatives, cette mascarade électorale, parce que cela reviendrait à valider ce fichier qui leur assure une victoire dès le premier tour de la présidentielle.
Donc le débat politique va se déplacer dans la rue ?
Nous n’avons pas le choix. On va protester jusqu’à effacer cette injustice et ce fichier faux fabriqué sur mesure pour compenser une perte de crédibilité et de popularité du président. Nous voulons amener le chef de l’Etat à renoncer à son projet conflictuel et illégal de troisième mandat [l’actuelle Constitution limite à deux le nombre de mandats successifs]. Nous sommes engagés dans une entreprise de contestation contre un recul de la démocratie et de l’Etat de droit dans notre pays.
Au risque d’assumer une répression meurtrière ?
La responsabilité revient à ceux qui tuent des manifestants. Nous sommes aujourd’hui à 140 morts depuis 2014 sans que jamais une enquête ne soit diligentée.
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Au-dela de la question du troisième mandat, vous contestez également la nouvelle Constitution ?
Elle consacre une monarchisation de la fonction présidentielle en rognant, notamment, les prérogatives du premier ministre. Tout ce qui est présenté comme une innovation – la lutte contre le réchauffement climatique, l’égalité des femmes, les mutilations génitales – est soit déjà prévu par le Code pénal ou relève de simples lois organiques ou ordinaires. L’unique objectif de ce texte est de permettre au président de se représenter en mettant les compteurs à zéro à huit mois de la fin de sa deuxième présidence. Tout le monde sait qu’il s’agit d’un coup d’Etat constitutionnel : Alpha Condé veut mourir au pouvoir.
Propos recueillis par Christophe Châtelot