TÉMOIGNAGE. Depuis le mois d’octobre, le pays est le théâtre de manifestations violemment réprimées. Qu’en est-il sur le terrain ? Éléments de réponse.
Depuis le mois d’octobre, la Guinée est le théâtre d’un mouvement de protestation qui récuse la révision constitutionnelle promise par le président, Alpha Condé, 81 ans, auquel l’opposition prête la volonté de briguer, cette année, un troisième mandat.
© CELLOU BINANI / AFP
« En tuant mon fils, ils m’ont aussi tuée. J’aurais préféré qu’ils le laissent vivre, et me tuent, moi… Dieu nous appelle à pardonner, mais je ne peux pas pardonner à ces gens-là. » Les yeux secs, un bébé sur les genoux, menue et tout en noir, Adama Awa Diallo parle lentement. Elle raconte les derniers moments de son fils, Alpha Souleymane Diallo, qui, selon un témoin oculaire, a été tué par balle le 14 novembre 2019 par un membre des forces de sécurité guinéennes.
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La répression des manifestations
Diallo s’ajoute à la vingtaine de Guinéens récemment tués lors des manifestations contre un référendum constitutionnel, une réforme fortement contestée par une opposition qui craint qu’elle ne soit un moyen pour le président Alpha Condé de briguer un troisième mandat. Diallo et ses amis chantaient des slogans contre une nouvelle Constitution quand, à la vue d’un pick-up noir appartenant à la police, ils se sont enfuis et engouffrés dans une cour. Un policier en uniforme les aurait suivis et aurait tiré, laissant Alpha mortellement blessé. Le lendemain, le gouvernement a affirmé que Diallo avait été « touché au niveau de la poitrine au quartier Concasseur par un projectile ».
Depuis le 14 octobre, des manifestations contre une nouvelle Constitution sont organisées à travers tout le pays. Les forces de sécurité les ont violemment réprimées et ont emprisonné des activistes. Des manifestants s’en sont pour leur part pris aux forces de sécurité avec des pierres et d’autres projectiles, tuant un gendarme et en blessant des dizaines d’autres. « C’est un référendum de la mort », me raconte un activiste, « tous ces morts ne feront que s’accumuler et si le gouvernement ne fait rien, notre pays risque de tout perdre ».
La révision constitutionnelle rejetée
Le président Condé apparaît pourtant prêt à entériner une nouvelle Constitution à tout prix. Après avoir pendant plusieurs mois refusé de se prononcer sur le sujet, il a, le 19 décembre, annoncé son soutien au projet et a même publié la proposition du nouveau texte fondamental.
Les partenaires régionaux, notamment la Commission des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) ont tiré la sonnette d’alarme sur la crise, appelant au respect des droits fondamentaux des manifestants et à une meilleure gestion des manifestations par les forces de l’ordre.
Depuis, les forces de sécurité font preuve de plus de retenue pendant les manifestations. Les autorités locales ont autorisé plusieurs grandes manifestations à Conakry du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), la coalition à l’origine du mouvement de protestation contre une nouvelle Constitution. La cour d’appel de Conakry a aussi relâché temporairement six leaders du FNDC le 28 novembre.
Entre la position de Condé maintenant clairement établie et une opposition inflexible dans sa volonté de la contester, la crise guinéenne prend une tournure dangereuse. Mais une évidence s’impose : les droits humains doivent figurer au cœur de toute solution politique à la crise, quelle qu’elle soit.
Faire avancer les droits de l’homme
Le gouvernement devrait reconnaître et assurer sans équivoque le respect du droit fondamental à la liberté de réunion et d’expression de tout Guinéen. Il devrait sanctionner les membres des forces de sécurité et autres responsables d’abus. Pour cela, les autorités guinéennes devraient mettre en place une cellule judiciaire spéciale, dont la mission serait de surveiller, signaler et enquêter spécifiquement sur les violations des droits humains commises dans le cadre de processus référendaires et électoraux.
Le Bureau des droits de l’homme des Nations unies, présent en Guinée, le représentant spécial du secrétaire général pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, la Cedeao et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples devraient pour leur part placer la protection des droits humains au centre d’un agenda régional commun pour la résolution de la crise. Le gouvernement devrait quant à lui faire appel à l’assistance de ses partenaires régionaux et internationaux pour des enquêtes nécessitant des analyses criminalistiques particulières.
En l’absence de la mise en œuvre d’un processus judiciaire crédible par le gouvernement guinéen et compte tenu des tensions politico-ethniques qui sous-tendent la crise actuelle, la Cedeao devrait collaborer avec la CADHP pour mettre en place une mission d’établissement des faits sur les violations commises lors des manifestations. Cette mission serait suivie d’une commission d’enquête à même de garantir l’indépendance et la transparence des investigations.
Depuis plus d’une décennie, l’histoire électorale de la Guinée est jalonnée d’épisodes violents qui ont coûté la vie à plusieurs centaines de personnes comme Alpha. Grâce à une réputation solidement acquise lors de sa gestion de situations similaires dans la région, la Cedeao est un acteur clé pour agir et prévenir une escalade supplémentaire de la violence et l’aggravation d’une crise qui n’a que trop duré.
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Par Carine Kaneza Nantulya* – Modifié le 07/01/2020 | Le Point.fr
* Carine Kaneza Nantulya est directrice du plaidoyer au sein de la division Afrique de Human Rights Watch.