“S’il y a un désir au Cameroun que l’Allemagne assume un rôle spécifique, alors nous y réfléchirons. Je crois que nous avons une responsabilité à cet égard.”
Ces propos de Günter Nooke illustrent la volonté de l’Allemagne de s’impliquer davantage dans la résolution de la crise anglophone qui sévit depuis trois ans au Cameroun.
Le rôle de l’Allemagne est important pour les Camerounais puisque le pays fut sous protectorat allemand à partir de 1884, avant d’être partagé entre la France et le Royaume-Uni à la fin de la Première guerre mondiale.
A l’issue de son voyage, le conseiller Afrique de la chancelière Angela Merkel a rappelé toutefois qu’il ne fallait pas trop attendre de Berlin :
“L’Allemagne ne sera probablement pas en mesure de remplir le rôle que l’on attend d’elle. Mais nous ne pourrons pas complètement ignorer les attentes que nous avons envers nous-mêmes. J’ai l’impression que nous essayons toujours de nous en tenir plus ou moins à l’écart. Mon voyage contribue également à exercer une certaine pression sur nous pour que nous nous impliquions davantage ici.”
L’aide au développement conditionnée par la sortie de crise
Dans le cadre de la coopération bilatérale technique, l’Allemagne dispose d’un fonds de développement destiné au Cameroun. Mais cette aide risque d’être suspendue si le Cameroun ne parvient pas à maîtriser la crise, a prévenu Günter Nooke :
“Personnellement, je suis également convaincu que nous devons poursuivre notre coopération au développement. Mais il y a aussi un intérêt, en particulier au ministère fédéral des Affaires étrangères, à ce que nous ne fassions pas comme si de rien n’était car il y a des terribles atrocités.”
Le conseiller Afrique de la chancelière est clair : “de l’argent vient d’Allemagne mais on s’attend aussi à ce que ce conflit soit résolu et à ce qu’il y ait au moins un cessez-le-feu. Tous ceux qui luttent pour l’indépendance doivent rendre leurs armes et le gouvernement doit libérer les prisonniers.”
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Le grand dialogue national tourne court au Cameroun
Une série de leaders politiques ont claqué la porte en dénonçant l’absence de débat sur les vraies raisons de la crise.
Ecoutez le sujet de notre correspondante à Yaoundé…
Pour ceux qui ont décidé de quitter le dialogue national lancé ce lundi 30 septembre à Yaoundé, seul l’agenda du régime serait pris en compte. La question sur la forme de l’État – et donc celle du fédéralisme – ainsi que le sort des prisonniers politiques ont été écartés des discussions.
Pour Alice Sadio, présidente de l’Alliance des forces progressistes, ce dialogue est un “monologue hypocrite” :
“Nous souhaitons que l’opinion nationale et internationale voit en notre acte une œuvre de patriotisme. Nous avons voulu par notre départ lancer l’alerte pour que le gouvernement comprenne que nous avons très bien saisi son jeu et que nous ne comptons pas tromper l’intérêt général et le peuple camerounais en jouant cette comédie.”
L’homme politique d’opposition Akere Muna a été le premier à claquer la porte. Il estime que la libération des prisonniers politiques, ainsi que la révision de la forme de l’État, sont des sujets à mettre sur la table. Mais le Premier ministre Joseph Dion Ngute, qui dirige ce dialogue, a refusé d’évoquer ces points.
Les questions essentielles absentes du débat
Célestin Bedzigui, le président du Parti pour l’alliance libérale (PAL), qui a lui aussi quitté la discussion, ne voit pas comment ce dialogue sous contrôle pourrait résoudre la crise anglophone.
“Nous sommes dans un contexte où le nombre de personnes ayant accès à la parole a été limité par le Premier ministre. Nous sommes quatre cent participants et il n’en a choisi que dix pour prendre la parole. Ensuite les thèmes de débats ont été unilatéralement choisis par lui, la plupart n’ayant aucune pertinence. Excusez mon pessimisme mais j’ai quelques peines à penser que l’issue de ces travaux ramènera la paix dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest.”
Cabral Libii, le président du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN), qui participe au dialogue, dénonce pour sa part la nomination unilatérale des membres des commissions :
“On n’a pas du tout le sentiment qu’on a été écouté. Je fais partie de la commission de réinsertion qui s’occupe des déplacés et des réfugiés. J’ai cru entendre mon nom, autant vous dire que je n’ai pas été consulté avant. Si on m’avait consulté avant, je ne suis pas sûr que c’est cette commission que j’aurais choisie.”
Le grand dialogue national s’achève le 4 octobre mais les désistements actuels, auxquels s’ajoutent la non représentation des séparatistes anglophones, fait redouter que ce dialogue qui n’en est pas un ne fasse qu’empirer la situation au Cameroun.
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Cameroun: Biya peut-il désamorcer la crise anglophone par le dialogue?
Grand dialogue national au Cameroun : pour la première fois, depuis le début du conflit qui touche les régions anglophones du pays, le gouvernement propose de discuter avec les différentes parties prenantes. Les débats ont commencé hier (30 septembre 2019) et ils doivent durer toute la semaine. Le Premier ministre à l’ouverture des débats hier. Il appelle donc à des résultats, mais l’issue de cette semaine de discussions reste extrêmement incertaine car les groupes armés qui réclament la sécession des deux régions anglophones ne sont pas là, et le gouvernement n’a pas du tout l’intention d’évoquer la mise en place d’un État fédéral, comme le demandent pourtant de nombreux anglophones. Que peut-on attendre de ce dialogue ?
Avec :
– Marie-Emmanuelle Pommerolle, maîtresse de conférences en Science politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.