Pascal Lissouba est né en 1931, dans un petit village de la forêt équatoriale de ce qui s’appelait encore le Moyen-Congo, à l’extrémité sud du massif du Chaillu. Ses deux grands-pères – hommes libres et rebelles – sont activement impliqués dans l’opposition au nouveau pouvoir colonial : son grand-père paternel, Kounda, a été assassiné par un milicien devant son fils, Albert Lissouba, ou « papa Albert », le futur père de Pascal Lissouba.
Son grand-père maternel, Mouboungoulou, refuse tout contact, toute interaction avec l’envahisseur, y compris et surtout dans l’éducation de ses enfants. Mon grand-père, « papa Albert », comprend lui l’importance de l’éducation dans ce nouveau monde. Afin d’envoyer mon père à l’école, il s’oppose aux Anciens et il quitte le village de Tsinguidi pour gagner le chef-lieu de la région, Dolisie.
C’est grâce à ce premier acte que son fils, Pascal, est devenu « le professeur Pascal Lissouba ». D’abord bachelier à Nice, puis ingénieur agronome à Tunis et, enfin, à Paris-Sorbonne, Docteur es sciences naturelles et diplômé en génétique – une toute nouvelle science à l’époque.
Le plus loin possible
Devenu un universitaire studieux et consciencieux, il ne fréquentait pas aussi souvent qu’il aurait voulu les réunions politiques des associations d’étudiants africains en France. Son objectif était clair : réussir et aller le plus loin possible dans ses études pour se mettre au service de son pays.
Avec sa première épouse, Annette et leurs trois premières filles, Pascal Lissouba rentre au Congo en 1961, un an après la déclaration d’indépendance. Il est aussitôt nommé à la direction des services agricoles. Il a trente ans.
Il est exigeant, il déteste la médiocrité. On l’accuse d’arrogance et d’élitisme
Oui, Pascal Lissouba est fier du chemin parcouru ! Il est l’un des premiers docteur es sciences de l’Afrique, il est exigeant, il déteste la médiocrité. Il déplore l’engagement de la jeunesse congolaise dans l’armée. À la politisation croissante des jeunes, il aurait préféré qu’ils s’impliquent, tout comme lui, dans des études techniques et scientifiques. On l’accuse d’arrogance et d’élitisme.
Alors qu’il fait un séjour en Europe, la révolution de 1963 éclate. Frustré de n’avoir pu être présent, plus jamais il ne repartira pendant les vacances universitaires. Dorénavant, il passera ses congés, à sillonner les régions du sud-Congo, dialoguant aussi bien avec les paysans qu’avec les anciens mais aussi avec les quelques propriétaires français restés au Congo.
Rude époque
Ces échanges sont pour lui fondamentaux, ils enrichiront et compléteront son programme politique. Cette même année, Pascal Lissouba est d’abord nommé ministre de l’Agriculture et des Eaux et Forêts puis Premier ministre du nouveau gouvernement de Massemba-Débat.
Quel bilan peut-on faire de ces quelques années de prise de contact avec le pouvoir ? Permettez-moi de vous donner quelques mots sur le contexte : la moitié de l’Afrique est encore colonisée ; l’Afrique du Sud est mise sous apartheid ; et qui se souvient même de ces pays : l’Oubangui-Chari (devenue la Centrafrique en 1958), le Nyassaland (le Malawi depuis 1964) ou la Rhodésie du nord (qui adoptera le nom de Zambie cette même année) ?
L’Afrique était le principal terrain de jeu de la guerre froide. On se souvient des assassinats de personnalités trop puissantes comme Patrice Lumumba de l’ancien Congo belge, Moumié du Cameroun, Olympio au Togo et tant d’autres.
L’époque était rude, surtout pour un petit pays marxisant, entouré de voisins souvent hostiles. C’est la raison pour laquelle, sans doute, la bataille du développement est passée à l’arrière-plan. La sécurité et la survie, d’abord. C’était une époque violente, les tueries et les guérillas étaient fréquentes.
L’émancipation politique était acquise, il fallait maintenant parvenir à l’émancipation économique.
Créations d’usines et mangues Lissouba
Tout restait à faire : au nord comme au sud, en agriculture comme en industrie. Les jeunes gestionnaires de l’équipe de Pascal Lissouba ont mis au point, sous sa direction, un programme de production, de transformation et de commercialisation de produits agricoles.
Je pourrais vous citer l’aide à la production du cacao, du café ou encore la création de la palmeraie de Mokeko-Sangha. Dans le domaine industriel, l’implantation des usines de ciment, de textile, la création de maisons-témoins en matériaux locaux et des ranchs comme celui de la Dihessé.
Il faudrait évoquer encore l’Office d’habitation, celui des pêches et des forêts. Et saviez-vous qu’au niveau administratif, Pascal Lissouba est à l’origine de la rédaction de tous les textes sur le statut des fonctionnaires et sur les règlements administratifs ? Vous l’avez compris, à cette époque déjà, les réalisations de mon père et de son équipe sont multiples.
Son travail de généticien renforce sa notoriété, au Congo et en Afrique
En 1968, Pascal Lissouba quitte l’arène politique et se recentre sur le professorat, au Centre d’études supérieures de Brazzaville. Sa notoriété, au Congo et sur le continent africain, se forge également à partir de son travail de généticien en collaboration avec l’ORSTOM (aujourd’hui l’Institut de recherche pour le développement).
C’est par le croisement de différentes espèces de mangues, à Boko et à Loudima, qu’il crée les mangues greffées que les Congolais baptiseront « la mangue Lissouba ». Alain Huart, agronome belge, m’a même dit considérer la station fruitière de Loudima comme « un trésor national ». Il m’a appris que des plants de mangues greffées avaient été généreusement distribués dans tous les pays d’Afrique.
Ce sont ces réalisations dont, nous, les enfants, moi, Binéka, Tessa, Mitsoko, Malika, Marie, Pascale, Laurent, Nicolas, Christophe et Jérémy, sommes particulièrement fiers.
N’est-ce pas ce qu’on devrait aussi retenir de mon père ? Ce n’était pas uniquement un politicien mais aussi un homme de science, engagé dans le développement non seulement de son peuple, mais de tout son continent.
De la prison à la présidence
En 1967, il rencontre Jocelyne, sa deuxième épouse. Elle sera sa compagne dévouée jusqu’à la fin, dans les bons comme dans les mauvais moments. Pascal Lissouba n’est plus au pouvoir mais il est régulièrement associé, malgré lui, aux différents soubresauts politico-militaires du Congo.
Étudiante en Russie, je me souviens avoir appris la condamnation à mort de mon père en lisant le journal La Pravda par-dessus l’épaule d’un anonyme. Il y était écrit que sa peine avait été commuée en travaux forcés à perpétuité. « каторжного труда ». Je n’ai pas oublié cette expression.
Les Congolais n’ont jamais douté des responsabilités cachées derrière les assassinats des présidents Ngouabi et Massemba-Debat et du cardinal Biayenda, en 1977. C’est d’ailleurs deux ans plus tard, que Pascal Lissouba est libéré. Il sera définitivement innocenté lors de la conférence nationale de 1991.
De 1985 à 1991, il est fonctionnaire international à l’Unesco, à Paris, puis directeur régional de l’institution pour la science et la technologie, à Nairobi, au Kenya. Il prend sa retraite en 1991 et se présente aux élections présidentielles de 1992. Pascal Lissouba est le premier président de la république du Congo à avoir été élu démocratiquement.
Il a choisi de quitter son pays pour ne pas augmenter les souffrances de son peuple
Le monde a alors bien changé : depuis 1989, le bloc socialiste n’existe plus, l’Afrique est entièrement décolonisée, Mandela s’apprête à devenir président de l’Afrique du Sud et le pétrole joue un rôle essentiel, affectant l’économie congolaise et causant sa dette vertigineuse… Le développement du pays dépend maintenant de l’argent du pétrole.
Élu pour un mandat de cinq ans, il passe les deux premières années à gérer des crises : une guerre civile, la vive hostilité du grand patron de la compagnie pétrolière nationale, et s’y ajoutent la faillite des banques, les retards dans la paiement des salaires des années précédentes, la colère liée aux retraités spoliés, le mécontentement de l’armée, les difficiles négociations avec la Banque Mondiale et le FMI, le parti pris de certains médias français, etc.
Brisé par l’exil
Les trois dernières années de son mandat auraient elles pu suffire à redresser un pays, privatiser des secteurs entiers de l’économie, rechercher des investisseurs, redresser le système financier et préparer des élections ? Pascal Lissouba ne pouvait pas faire de miracles. Le coup final a été asséné par le coup de force machiavélique de 1997 qui a été universellement imputé à tort à mon père.
Il a choisi de quitter son pays pour ne pas augmenter les souffrances de son peuple. C’est peu à peu que la vérité s’est imposée, au bout de longues années d’insultes et de mise à mort médiatique.
Il se mure alors dans le silence, brisé par l’exil, dépossédé de son rêve de développement et meurtri par la perte de son fils Laurent.
Le dernier message de mon père à son peuple a été un message d’unité et de paix.
Nous, les enfants, nous faisons partie de son héritage. Nous prônons l’unité et la concertation dans l’harmonie : nous sommes reconnaissants ; papa reposera, pour un temps, au sein de la terre française, cette terre qui l’a accueilli à de nombreuses reprises, qui lui a donné – et qui nous a donné – l’éducation, la sécurité et les soins de santé.
Un jour, il repartira chez lui.
Texte lu lors des funérailles de Pascal Lissouba, célébrées le 31 août, à Perpignan, en France.