Lettre ouverte à Monsieur le président de la République
Monsieur le président de la République,
Madame Christiane Soppo, qui fut mon assistante pendant plus de vingt (20) ans, a été retrouvée assassinée chez elle le 26 janvier 2014, portant la marque d’atroces tortures.
Je n’ai pas voulu m’exprimer immédiatement pour ne pas ajouter à l’émotion et laisser les enquêteurs faire leur travail; mais deux mois après, je suis obligé de constater que l’État reste d’un silence absolu. Je ne m’adresse pas à vous pour vous dire l’effroi, la peine et la colère que je ressens et que partagent tant de Camerounais – dont vous-même je veux le croire. Mes pensées pour Madame Soppo et pour sa famille resteront privées. Ce qu’en revanche je dois publiquement à la mémoire de Madame Soppo, c’est de mettre l’État face à sa responsabilité d’élucider cet assassinat politique et d’y répliquer par tous les moyens. Je dis bien assassinat politique, car Madame Soppo a été prise pour cible uniquement parce qu’elle m’était restée fidèle après mon emprisonnement.
Cette conviction, tous ceux dont elle a été l’interlocutrice fréquente et respectée la partagent : nombre de vos ministres, de membres de votre cabinet et de votre sécurité, de députés, de sénateurs, de responsables de partis politiques, mais aussi de diplomates étrangers et de dirigeants de grands groupes industriels internationaux. Tous, qui l’ont vue remplir à mes côtés sa mission au service de la nation avec une intégrité parfaite, savent que sa seule «faute» ne pouvait être que sa proximité avec moi et les visites qu’elle continuait à me rendre régulièrement. C’est justement parce qu’elle avait la conscience tranquille qu’elle avait choisi d’ignorer les menaces qui lui étaient relayées depuis des semaines et qui sont une preuve du caractère prémédité, planifié, de cet acte.
Je répète assassinat politique, car ne vous y trompez pas : après l’instrumentalisation des tribunaux, rendant des condamnations sans preuves, le martyre de Madame Soppo représente une étape supplémentaire, l’émergence d’une justice parallèle, extrajudiciaire, aux mains de groupes d’individus qui en fonction de leurs intérêts, prononcent des sentences de mort secrètes exécutées par des hommes de sac et de corde. Nos compatriotes en sont à se demander si le seul moyen de bénéficier de la protection de l’État contre les emprisonnements et les exécutions arbitraires est d’avoir un passeport étranger.
Je répète encore assassinat politique, car la mort de cette «simple» Camerounaise, qui non seulement n’avait rien à se reprocher mais incarnait les meilleures qualités de notre peuple, l’effort dans les études et le travail, l’attachement à l’éducation des enfants, la loyauté, représente un pas de plus vers l’ «ensauvagement» de notre société dont parle Achille Mbembé. Les commanditaires et les exécutants plongent notre nation dans un avenir de méfiance et de peur, comme l’y plonge l’État en ne disant rien de ce meurtre et en ne faisant rien pour combattre le système qui l’a piloté.
Monsieur le Président de la République,
Il est de notre devoir, il est du devoir de l’État, de prendre immédiatement les mesures suivantes:
- Mettre toutes les ressources publiques utiles à rechercher et punir les responsables de cet acte barbare, les commanditaires comme les exécutants, ainsi qu’à exposer leurs motifs.
- Assurer la protection de mes proches et particulièrement de mes avocats, et faire le nécessaire pour que l’action menée contre moi, toute injuste qu’elle est, continue à prendre place sur le terrain du droit et de la justice réguliers. De nouveaux innocents ne doivent pas tomber sous les coups de la machette. Ces gestes et ces signaux forts ne sont pas seulement dus à la mémoire d’une Camerounaise à la fois typique et exemplaire, ils sont indispensables pour que la nation ne sombre pas dans une crainte généralisée de tous envers tous, et en premier lieu envers un État de plus en plus otage d’intérêts privés et destructeurs.
Yaoundé le 24 mars 2014
Marafa Hamidou Yaya, prisonnier politique de Paul Biya