Invité Afrique, Radio France Internationale
Notre invité ce matin est le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, de retour de Centrafrique, où il a assisté hier, mercredi 30 mars, à l’investiture du nouveau président Faustin-Archange Touadéra. Le chef de la diplomatie française répond aux questions d’Anne Cantener.
RFI : Vous venez d’assister à l’investiture du nouveau président en Centrafrique. Faustin-Archange Touadéra a exprimé ses priorités. Pour cela, il va falloir de l’argent, un soutien financier. Dans quelle mesure la France peut s’engager aux côtés de la Centrafrique ?
Jean-Marc Ayrault : La France fait confiance à la Centrafrique et ce qui vient de se passer est un signe majeur : les Centrafricains veulent tourner la page et construire un nouvel avenir. Donc il faut continuer à les aider. Il faut à la fois aider les autorités à installer une force de sécurité, qu’elles puissent contrôler, [éviter] tout affrontement, donc il faut désarmer les milices. Puis il faut aider ce pays à mettre en place les institutions et surtout à mettre en œuvre des projets de développement économique. Il est évident que nous n’avons pas le droit de laisser tomber la République centrafricaine
Une fois que les milices seront désarmées, il faut que les forces de sécurité centrafricaines soient capables d’assurer la sécurité justement sur le territoire centrafricain. Quelles sont les mesures que peuvent prendre la France et l’Union européenne pour soutenir cette armée en reconstruction ?
La France et l’Union européenne vont d’ici l’été mettre en place une action de formation des forces de Centrafrique, non pas seulement à Bangui dans la capitale, mais sur l’ensemble du pays, dans les provinces. Ce qui veut dire aider à l’installation de cantonnements, même simples. Donc tout ce travail, nous voulons le faire avec les Centrafricains. Et l’Union européenne est prête. La décision est prise et le calendrier fixé : avant l’été.
De nombreuses autres élections sont prévues cette année en Afrique, notamment au Tchad la semaine prochaine. Certains militants de la société civile doivent comparaître ce jeudi devant la justice. Ils avaient été arrêtés alors qu’ils s’apprêtaient à manifester contre la candidature du président Idriss Déby. Comment s’annoncent ces élections, selon vous ?
Ce qui est important au Tchad, c’est d’observer si l’opposition participe à ces élections. Si elles boycottaient les élections, ça serait un signe très inquiétant. Ce n’est pas le cas puisque l’opposition a décidé de participer aux élections qui auront lieu le 10 avril. Le souhait que nous pouvons exprimer, c’est que ces élections se passent dans le calme. Chaque fois qu’une élection a lieu et qu’elle se déroule normalement, démocratiquement dans la transparence et le débat, c’est un plus pour le pays.
Il y a eu une élection aussi récemment au Congo-Brazzaville. La France a parlé de climat préoccupant. La France en revanche n’a pas parlé ouvertement d’irrégularités lors du scrutin, ce qu’ont fait par exemple les Etats-Unis. Comment expliquer cette différence de ton ?
Chaque pays s’exprime à sa façon. En tout cas, ce qui est sûr c’est que la France n’est pas favorable à ces modifications constitutionnelles permanentes qui ont pour objet de maintenir au pouvoir un chef d’Etat qui est là depuis des dizaines et des dizaines d’années. Ce n’est pas bon pour aucun pays. Alors il y a des pays – je pense au Burundi, à la République démocratique du Congo -, qui sont tentés par des réformes constitutionnelles de même nature. Et là on voit bien que ça crée des troubles et ça créé de la tension et des dangers. Il faut vraiment que dans tous ces pays, la raison démocratique l’emporte.
Je reviens sur la République démocratique du Congo. Des élections sont prévues cette année, une présidentielle en principe avant la fin de l’année 2016. Est-ce que vous avez l’espoir de voir se tenir ce scrutin dans les délais constitutionnels ?
Il faut le souhaiter, mais à condition qu’aucun obstacle n’y soit mis. Et encore une fois, l’objet de ces élections, ce n’est pas de modifier les règles et de maintenir au pouvoir telle ou telle personnalité, mais c’est de donner la parole au peuple. C’est ça la priorité.
Vous vous êtes rendu récemment en Côte d’Ivoire après l’attentat à Grand-Bassam. Vous aviez promis un soutien de la France dans la lutte contre le terrorisme. Quelle forme peut prendre ce soutien français ?
D’abord, il y a énormément d’engagements pris en matière de renseignements et d’échanges de renseignements, des aides techniques aussi. Il faut poursuivre dans cette direction et en même temps, il ne faut pas oublier que ces terroristes circulent. Ils venaient du nord du Mali, ils peuvent venir aussi de Libye. Donc il faut continuer à régler les conflits qui génèrent du terrorisme. Les Accords d’Alger qui sont des accords qui visent à la réconciliation entre le nord et le reste du Mali, il faut maintenant les mettre en œuvre. C’est un facteur de stabilité pour ce pays.
Et puis il y a la Libye, qui est un sujet central de préoccupation, et sans gouvernement légal, et sans gouvernement d’union nationale rien n’est possible. Mais aujourd’hui, c’est le chaos d’abord pour le peuple libyen, et ensuite c’est Daech qui en profite. Et Daech menace, menace la Tunisie, menace le Niger, menace l’Egypte, menace l’Algérie. Et avec tous ces pays-là, nous avons déjà discuté. Puisque ça ne bouge pas assez, nous allons prendre encore de nouvelles initiatives parce qu’il y a urgence, parce que les choses avancent en Libye.
De nouvelles initiatives, ça signifie des sanctions par exemple ?
Les sanctions font partie du dispositif. Maintenant, ça y est, l’Union européenne est d’accord et il faut passer à l’acte.
On a beaucoup parlé de politique, je voulais vous parler d’économie. Votre prédécesseur comptait miser sur l’Afrique. Est-ce que vous comptez poursuivre dans cette voie ? Et est-ce que vous avez déjà quelques projets identifiés ?
En matière de transition énergétique, c’est vrai que le continent africain, pour ses propres besoins et aussi en s’inscrivant avec un temps d’avance par rapport à de nouvelles donnes mondiales climatiques, fait partie des chantiers prioritaires. Mais il y en a d’autres : les communications ; vous avez le numérique. Mais nous avons aussi à avoir une approche globale de l’Afrique, pas seulement l’Afrique de l’Ouest. Je pense au Nigeria, je pense à l’Afrique du Sud, je pense à l’Angola, l’Ethiopie, le Kenya, la Tanzanie. D’ailleurs concrètement, nos entreprises y sont déjà.