Extraits du Livre: “Le Secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités”
Écrit par Jean-Marie Atangana Mebara, prisonnier politique camerounais
Paru le 20 janvier 2016 aux Éditions l’Harmattan, Paris
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QUELLES ÉTAIENT VOS RELATIONS AVEC LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA PRESIDENCE MARAFA QUAND VOUS ÉTIEZ MINISTRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR?
Réponse : Nous avions des relations que je qualifierais d’amicales. À tout le moins, je pense que nous nous appréciions professionnellement et humainement. Le Ministre MARAFA m’honorera de cette amitié à deux occasions de ma vie : il a assisté à la cérémonie de mon mariage civil à la mairie de Yaoundé en 2000. Puis, en 2001, il a été présent aux obsèques de ma mère dans mon village, NKOMEKOUI, à une vingtaine de kilomètres de Yaoundé, sur l’ancienne route Yaoundé-Douala. Ce sont des choses que l’on n’oublie pas!
C’EST POUR CELA QUE VOUS AVEZ REFUSE D’ALLER TÉMOIGNER CONTRE LUI LORS DE SON PROCÈS EN 2002 AU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DU MFOUNDI?
Réponse: Tout d’abord, par principe, je ne me voyais pas en train d’aller témoigner contre mon prédécesseur dans une affaire comme celle-là. Il y a là quelque chose de malsain. L’ État s’édifie et se gère avec des hommes et femmes dont chacun, à part quelques âmes perturbées, essaie de donner le meilleur de lui-même. Il y a quelque chose d’indécent et de dérisoire à aller témoigner que tel, qui a occupé un poste avant vous, a été un piètre serviteur de l’État. Ceux qui ont servi l’État, surtout à ce niveau de responsabilités, méritent d’être traités autrement, eu égard à ce qu’aura été leur contribution. Ils devraient bénéficier, pour le moins, d’une espèce de doute positif. Ils devraient a priori, bénéficier d’un crédit de bonne foi. C’est ainsi que j’ai toujours pensé le service de l’État. Par ailleurs, au plan du droit, les textes de loi disent que ne peut être recevable que le témoignage de celui qui a vu ce qui pouvait être vu, ou celui qui a entendu ce qui pouvait être entendu, ou celui qui a perçu ce qui pouvait être perçu.
S’agissant du détournement des 31 millions de dollars pour lequel il était poursuivi, je ne pouvais pas avoir vu, entendu ou perçu quoi que ce soit, de là où je me trouvais au moment des faits présumés, c’est-à-dire au Ministère de l’Enseignement Supérieur. Du point de vue du droit, mon témoignage ne pouvait pas être recevable. Il n’aurait même pas dû être sollicité.
Enfin, sachant comment fonctionne l’administration de la Présidence, j’aurais certainement été amené, d’une manière ou d’une autre, d’apporter des précisions sur les possibilités d’action réelles d’un Secrétaire général de la Présidence. Je pensais alors, et je pense toujours, que le fonctionnement de la Présidence de la République, donc de l’Exécutif, n’a pas à être soumis au pouvoir judiciaire. Je ne pouvais donc, pour toutes ces raisons, être le témoin de l’accusation contre le Ministre MARAFA.
POURTANT IL SEMBLE QU’IL NE SE SOIT PAS GÈNE DE VOUS ACCABLER À L’ENQUÊTE PRÉLIMINAIRE À LA POLICE JUDICIAIRE…
Réponse : Oui ; il a en effet émis des affirmations qui m’ont surpris, tellement elles étaient loin de la vérité que, je crois, il connaissait. Il essayait sans doute de se défendre avec les éléments qui lui avaient été remis.
VOUS ÊTES TOUJOURS INDULGENT À SON ENDROIT?
Réponse : J’éprouve toujours une sympathie réelle pour lui, d’autant que ce qu’il vit en ce moment, je puis en parler avec un minimum d’objectivité, est difficile et pénible. Il n’y a aucune raison pour moi de l’accabler.
VOUS VOULEZ PRÉSERVER L’AVENIR… AU CAS OÙ IL ACCÉDERAIT DEMAIN AU POUVOIR ?
Réponse: Je comprends que vous avez exclu d’office l’hypothèse inverse…
VOULEZ-VOUS DIRE L’HYPOTHÈSE OU C’EST VOUS QUI ACCÉDERIEZ AU POUVOIR ?
Réponse: Évidemment c’est une boutade. J’espère que cet entretien ne vous a pas fait perdre le sens de l’humour. Sérieusement, ce que je veux dire, est que, sauf à lire dans les boules de cristal, on doit toujours parler de l’avenir avec circonspection, s’agissant surtout des charges publiques électives. Il ne faut ni brusquer les choses, ni tenter de briser ou détourner les destins. Dieu seul sait qui sera ou fera quoi demain.
Sur le fond, j’ai, pour ma part, tout mis en œuvre pour prouver mon innocence dans ces affaires. Pour le reste, je pense que c’est aux autorités judiciaires qu’il revenait de réunir les preuves de la culpabilité du Ministre MARAFA. Au niveau du Juge d’Instruction de cette affaire, M. MAGNAGUEUMABE, je ne peux pas dire que j’ai été traité comme un justiciable ordinaire : ce juge aurait dû me délivrer un non-lieu dès l’instant où il avait disposé des éléments permettant de conclure que le détournement présumé de l’argent de l’avion présidentiel devait être imputé à d’autres individus que moi. Mais il s’est acharné à me poursuivre d’avoir tenté de détourner une somme d’argent qu’il disait lui-même avoir été détourné, deux ans avant, par d’autres.
QUE SONT DEVENUES LES RELATIONS AVEC LE MINISTRE MARAFA QUAND VOUS ÊTES DEVENU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL À SA PLACE?
Réponse: Nous avons eu des rapports très corrects de mon point de vue. Vous vous doutez bien que certains, dans nos entourages respectifs, auraient aimé que les choses fussent différentes, voire que nous en arrivions à ne plus nous saluer. Certains disaient même qu’entre moi et MARAFA, quelqu’un devra éliminer l’autre (politiquement j’entends), qu’il n’y a pas de place pour deux calibres comme nous dans l’arène. J’en ai parlé à MARAFA un jour et nous en avons ri ; il me souvient qu’il a ajouté « qui dit à ces gens que nous ne pourrions pas nous entendre pour travailler ensemble ? ». Un signe simple de ces relations de respect et d’estime mutuels : le Ministre MARAFA n’a jamais refusé de me prendre au téléphone, et j’ai toujours répondu à ses appels téléphoniques.
DONC AUCUNE RANCŒUR, AUCUNE COLÈRE CONTRE MARAFA?
Réponse: Non, aucune rancœur ! Je garde plutôt présent dans mon esprit tout ce qu’il m’a apporté de positif et les relations que nous avons entretenues, avant toutes ces affaires. Et puis, je n’ai pas besoin de vous dire que j’ai plus de choses à partager avec quelqu’un comme le Ministre MARAFA qu’avec d’autres.
Livre: “Le Secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités”
Écrit par Jean-Marie Atangana Mebara, prisonnier politique camerounais
Paru le 20 janvier 2016 aux Éditions l’Harmattan, Paris