“Quinze jours que ça dure !” Les Gabonais sont privés d’Internet depuis le 28 août, au lendemain du scrutin électoral. Cette coupure se remarque par une bande passante ralentie qui atteint péniblement un quart de sa capacité totale. Une coupure totale de cinq jours avait suivi l’annonce de la réélection du président sortant Ali Bongo Ondimba d’une très courte avance sur son rival Jean Ping, qui revendique lui aussi la victoire et a saisi la Cour constitutionnelle. La connexion est désormais partiellement rétablie de 6 heures (5 heures GMT) à 18 heures, avant d’être coupée de nouveau dès la nuit tombée. En revanche, les réseaux sociaux comme Twitter, Facebook ou WhatsApp restent inaccessibles. Aucune explication officielle n’a été fournie sur les raisons de cette coupure, ni par des opérateurs téléphoniques, ni par les autorités. Seuls quelques membres du cercle présidentiel évoquent « la propagation de rumeurs et l’organisation des pilleurs sur ces réseaux ». Mais peu avant la proclamation des résultats, des rumeurs persistantes affirmaient déjà qu’internet allait être coupé, comme ce fut le cas au Congo-Brazzaville au moment de la présidentielle ou encore plus récemment au Tchad. Depuis le 6 septembre, Internet n’est disponible qu’à partir de l’aube, jusqu’à 18 heures. Le soir, aucune connexion n’est possible, même par VPN. Julie Owono est avocate et responsable du bureau Afrique de l’ONG-Internet sans frontières, elle détaille au Point Afrique comment cette mesure radicale produit l’effet inverse de ce qui était craint.
Le Point Afrique : Couper Internet est devenu une marque de fabrique pour les régimes qui chutent, pourquoi ?
Julie Owono : couper les télécommunications, à l’ère du numérique et de l’économie de l’information, signifie tout simplement qu’on ne veut pas que l’information circule, et qu’on prend inutilement le risque de paralyser l’économie. Et cela montre aussi et surtout que l’on ne comprend pas le XXIe siècle.
En décidant de priver les Gabonais d’Internet, le gouvernement a voulu contenir la circulation des informations en provenance du Gabon, sans doute pour que le monde ne voit pas d’une part les irrégularités qui ont émaillé le vote, puisque les premières perturbations du réseau interviennent dès le 28 août, soit un jour après la tenue du scrutin ; d’autre part, la violente répression qui a eu cours dans le pays dès l’annonce des résultats.
Mais comme je le disais, faire cela, c’est ignorer l’époque dans laquelle on vit. Plus vous voudrez cacher des informations sur Internet, plus celles-ci circuleront. Dans le cas du Gabon, ce principe s’est vérifié : aussi bien l’ONU que la France ont appelé le gouvernement à mettre fin à cette censure, les vidéos et photos de la répression qui ont pu filtrer et ont fait le tour du monde. Le monde entier parle du Gabon et de ce qui s’y passe. Bref, le contraire de ce qui avait été voulu en coupant Internet.
Du point de vue du droit, est-ce que tout cela est légal ?
Non, le Gabon, comme le Tchad, comme la République du Congo et tous ces États qui censurent Internet, ils ont tous signé la Déclaration universelle des droits de l’homme, notamment son article 19 qui protège la liberté d’expression, ainsi que l’article 33 de la Constitution de l’Union internationale des Télécommunications.
Par ailleurs, le 1er juillet 2016, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté une résolution affirmant que l’État de droit doit s’appliquer en ligne et hors ligne. Dans ce même texte, l’ONU condamne fermement les coupures et perturbations du réseau.
Comment les États peuvent-ils se justifier ?
Les États qui pratiquent ces coupures de réseau se cachent derrière l’argument de l’ordre public. Cette justification ne tient pas : tous les textes internationaux qui engagent les États sur les libertés d’expression et de communication admettent que des restrictions soient apportées à ces libertés, mais à condition que les mesures de restriction soient nécessaire et proportionnées, et que la décision soit prise par un juge. Or dans tous les cas connus de coupure totale ou partielle du réseau internet, la décision est prise par le gouvernement, à aucun moment un juge n’est saisi.
Il y a là une violation de l’État de droit, que se permettent les gouvernements, parce que c’est Internet et qu’ils ne risquent aucune sanction. C’est ce que les membres de la coalition Keepiton, dont Internet sans frontières fait partie aux côtés d’une centaine d’organisations de la société civile, essaient d’obtenir : si l’ONU considère que les droits et libertés doivent être protégés en ligne et hors ligne, alors il faut prévoir des sanctions contre ceux qui violent l’État de droit en ligne, comme ils seraient sanctionnés si cette situation arrivait dans le monde non virtuel.
Et concernant les coupures sur les réseaux sociaux, quelle est la procédure ?
Il y a plusieurs techniques de censure sur Internet. Pour ce qui est de bloquer l’accès à certains sites, souvent des réseaux sociaux, le gouvernement peut demander que les adresses IP des serveurs hébergeant les sites dont on ne veut pas sur son territoire soient bloqués.
Dans ce cas, quelle est l’implication des opérateurs télécoms ?
Elle est très importante : bon gré et très souvent mal gré, ils deviennent complices de ces cas de censure : dans un communiqué du mois de juillet, deux des principales associations regroupant les opérateurs télécoms ont publié un communiqué conjoint dans lequel elles disent que les ordres de couper ou limiter le service internet qu’elles recoivent des gouvernement ont des effet disproportionnés et ne sont pas nécessaires dans la très grande majorité des cas : http://
Confirmez-vous que le gouvernement est seul décisionnaire dans cet acte ?
Oui. Quand il s’agit d’Internet, la censure du réseau est un des domaines où beaucoup d’États font jouer leur souveraineté.
Combien de temps peuvent durer les coupures ?
De quelques heures à plus d’un mois, comme c’est actuellement le cas au Cachemire, en Inde.
Que dit la législation internationale sur ce point, il n’y a pas de règle ?
Les textes existant que j’ai cités plus tôt peuvent être et doivent être appliqués à la question de coupure ou perturbation du réseau internet. Mais comme tout en droit international, tout est une question de contrainte. Internet sans frontières, en tant que membre de la coalition Keepiton, espère contribuer à la mise en place de sanctions internationales contre les pays qui violent les libertés en ligne de leurs citoyens.
Peut-on se dire démocrate et couper les réseaux de communication ?
C’est absolulent antinomique : si on est pour l’État de droit dans le monde non virtuel, on ne peut pas violer ce même État de droit dans l’espace cybernétique.
Comment les populations peuvent-elles contourner ces blocages ?
Elles peuvent utiliser des logiciels de contournement, comme TOR, psiphon (tous deux sont des logiciels libres) ou encore des VPN, en gardant à l’esprit que certains vpn peuvent violer la vie privée de leurs utilisateurs. Le mieux est d’installer ces outils en amont de toute coupure quand c’est possible, en ayant bien veillé à lire les politiques d’utilisation du service que vous allez télécharger. Tous ceux qui souhaitent en savoir plus peuvent nous contacter contact@
Source : Le Point Afrique