La désignation de Kofi Annan au poste de secrétaire général des Nations unies en 1997 avait constitué un événement symbolique d’importance, d’une portée comparable à la remise, dix ans auparavant (en 1986), du prix Nobel de Littérature à Wole Soyinka. Pour la première fois, une personnalité issue d’Afrique subsaharienne accédait à la plus haute fonction internationale. Une longue route semée d’embûches l’attendait…
Quand il entre aux Nations unies en 1962, Kofi Annan a 24 ans. Originaire de Kumasi, dans l’actuel Ghana, il a étudié l’économie aux Etats-Unis et en Suisse. De Genève, où il va rencontrer son épouse, Nana Wallenberg, fille d’un diplomate suédois qui sauva d’innombrables victimes des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, il est affecté à Addis-Abeba puis à Ismaïlia. Cet humaniste discret et pragmatique intègre le siège de l’ONU à New York en 1987.
Fin diplomate, il négocie le rapatriement de neuf cents fonctionnaires internationaux et ressortissants occidentaux pris dans les griffes de Saddam Hussein en 1990, ainsi que les premières modalités de la vente du pétrole irakien, destinée à financer l’aide humanitaire. Secrétaire général adjoint des Opérations de maintien de la paix de 1993 à 1996, «Annan est un être affable, à la voix douce, un chic type jusqu’au bout des ongles […], infatigable dans ses efforts pour sauver l’organisation de ses propres démons», rapportait Roméo Dallaire, commandant de la mission des Nations unies au Rwanda, après l’avoir rencontré en 1993, au trente-sixième étage de la maison de verre.
Quelques mois après, face au déclenchement du génocide, M. Annan lui rappelle toutefois les limites de son action, qui exclut tout usage de la force (chap.VI de la Charte des Nations unies). Homme du sérail, il fait appliquer la décision du Conseil de sécurité la plus contestée des dernières années. La « prudence » alors observée résulte en partie de la débâcle américaine en Somalie. Représentant spécial pour l’ex-Yougoslavie, Kofi Annan assume aussi les atrocités commises contre la population musulmane de Bosnie en 1995, dans la zone de sécurité de Srebrenica, dans un rapport qu’il présente à l’Assemblée générale en 1999. L’organisation enregistre des succès, comme au Timor-Oriental, en Namibie, en Afrique du Sud ou au Mozambique, mais « il est temps de tirer les leçons de ses échecs», estime-t-il alors.
Aider le continent africain
Secrétaire général de l’ONU en janvier 1997, Kofi Annan succède à l’Egyptien Boutros Boutros-Ghali qui a retiré sa candidature face à l’opposition des Etats-Unis. Il cherche d’emblée à mobiliser les appuis internationaux pour aider le continent africain. En 1998, il publie un rapport sur Les causes des conflits et la promotion d’une paix et d’un développement durable en Afrique, qui contient une série de mesures «réalistes et réalisables» pour réduire les tensions politiques et la violence, aux niveaux internes ou inter-Etats, et pour relever les grands défis que sont la dette, la gouvernance et la propagation des maladies comme le sida.
Premier Secrétaire général à sortir des rangs du personnel onusien, il tente de ramener le budget à une croissance zéro. Il est apprécié des fonctionnaires de New York, qui lui réservent une ovation en février 1998 à son retour de Bagdad où il était parti sauver la paix : l’accord qu’il signe avec Tarek Aziz autorise les experts à visiter les « sites présidentiels » en échange d’une levée éventuelle de l’embargo. Kofi Annan s’inscrit alors dans la lignée du troisième secrétaire général U Thant (1962-1971), qui s’était rendu à La Havane pour éviter un conflit américano-soviétique. Depuis la fin de la guerre froide, «on ne nous demande plus seulement de ‘maintenir la paix’ en aidant à faire appliquer des cessez-le-feu, explique-t-il, [mais] de participer au règlement des conflits. Cela suppose de s’attaquer aux problèmes à la racine.» En 2000, il fixe les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), pour réduire de moitié l’extrême pauvreté d’ici à 2015. En partage avec l’ONU, il reçoit le prix Nobel de la paix en 2001. Mais l’après-11 Septembre va marquer son second mandat, entamé en janvier 2002.
«La guerre d’Irak était illégale», déclare Kofi Annan à la BBC en septembre 2003. Selon Hans Blix, le chef des inspecteurs de l’ONU en Irak, le secrétaire général ne s’opposait pas à une intervention préventive, mais prônait une approche multilatérale qui seule aurait permis d’endiguer la prolifération des armes de destruction massive et des nouvelles formes de terrorisme. Une position qui devait lui valoir le ressentiment des conservateurs américains, qui réclamèrent sa démission, faisant éclater en 2004 divers scandales qui ont terni l’image de l’organisation (notamment le scandale de l’opération pétrole contre nourriture). Un an avant la fin de son mandat, c’est un homme affaibli qui proposait, en septembre 2005, à l’occasion des commémorations du soixantième anniversaire de l’institution, un vaste plan de réforme du système des Nations unies qui, une nouvelle fois, n’a pu aboutir…
In Les 100 Clés de l’Afrique (pp. 50 à 52), un ouvrage dirigé par Thierry Perret et Philippe Leymarie. Paris, RFI et Hachette Littérature, 2006.
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Kofi Annan ( 8 avril 1938- 18 août 2018) .
Par Jean-Pierre Du Pont
Les Ghanéens, ont porté aujourd’hui en sa dernière démeure, l’un de leurs fils les plus brillants et méritants, depuis Kwamé Nkrumah.
Le 18 août dernier, le monde entier apprenait avec beaucoup d’émotion la disparition de celui qui avait guidé l’Organisation des Nations Unies avec un certain doigté. Le jour de sa disparition, un journal égyptien apportait une voix dissonante au concert unanime d’hommages arrivés des quartre coins de la planète, en titrant en Arabe: ” Mort d’un traitre à la solde des Yankees ” .
Tout n’avait en effet pas commencé sur du velours , pour le futur prix Nobel de la Paix . Adjoint de l’Égyptien Boutros- Boutros Ghali, qui avait succédé au Péruvien Javier Pérez de Cueillar à la tête de l’ONU, dès le lendemain de la première guerre du Golf, santionnant l’invasion du Koweit ( 2 août 1990) , Kofi Annan devait se trouver au centre d’une controverse indépendante de son propre fait .
La fin de l’année 1996, correspondant la fin du premier mandat de Broutros -Broutros Ghali à la tête de l’organisation mondiale, le président américain Bill Clinton, prit prétexte de sa francophonie et donc de sa francopholie pour l’évincer… En réalité, ce qui était reproché à l’Égyptien, était sa trop grande proximité avec le Maréchal Mobutu , que les dirigeants du FPR ( Front patriote rwandais) de Paul Kagamé, estimaient être un verrou à leur projet de prise de pouvoir. Avis que partageait également le président ougandais Yoweri Museveni, que les américains préssentaient pour prendre la place du nouvel homme fort d’Afrique Centrale. Mobutu dont le président rwandais, Juvenal Habyrima qui retrouvera la mort de façon atroce dans un attentat contre son avion, était le protégé devait partir pour trouver la voix libre. Non seulement il avait une première fois fait dérailler une tentative de putsch venue d’Ouganda en 1990, mais il comptait sur Broutros Broutros Ghali pour obtenir l’envoi d’une mission onusienne au pays des mille collines. Ce qui contrevenait au plan des américains, qui avaient déjà fait une avance de 250 millions de dollars au rebelle Laurent Désiré Kabila, qui leur servirait de prétexte au renversement du Maréchal Mobutu.
Par ailleurs, les nouvelles autorités rwandaises, ainsi que leurs alliés et sponsors américains, reprochaient à l’Égyptien de s’être frontalemment opposé au souhait des autorités belges, à évacuer les casques bleus du Rwanda, pour ainsi contribuer à offrir un prétexte au départ de leurs propres troupes du pays des mille collines . Et pour finir, le président américain semble imputer la responsabilité de la débâcle de GIAS en Somalie, à l’Égyptien qui n’y était pour rien .
Sur le plan diplomatique, l’administration de Clinton disposait de plusieurs léviers. Rappelant à toute fin utile , à en croire les indiscrétions d’ Édouard Snowden, au président camerounais Paul Biya, qui cette année-là exerçait la présidence tournante de l’OUA ( l’ancêtre de l’UA) , que ses services detenaient en leur possession les vraies résultats de l’élection présidentielle de 1992, on lui fit parvenir un projet de lettre, qu’il n’avait plus qu’à faire sien et faire parvenir au secrétaire général sortant. Dans la lettre, le président camerounais disait en substance remercier Broutros- Broutros Ghali pour son oeuvre à la tête de l’ONU, mais l’invitait à rendre le tablier, et ne pas s’entêter histoire de laisser une chance à un autre candidat africain…
Le président français de l’époque, Jacques Chirac avait tout tenté pour sauver la tête de l’Égyptien, mais devant l’évidence, il dût jeter l’éponge et créer en guise de lot de consolation, le poste de secrétaire général de la Francophonie, dont Boutros- Boutros Ghali séra le tout premier occupant.
Marié à la ville en secondes noces, avec la suédoise Nane Lagergen, Kofi Anan laisse deux enfants , Ama et Kojo , issus de son premier mariage avec la Nigérianne Titi Alaka dont il divorça en 1981 . Père poule, il avait lui-même élever ses enfants , avant de les inscrire dans un internat Suisse. La seconde épouse de Kofi Annan, est la nièce de Dag Hjalmar Agne Carl Hammerskjôld, devenu à 47 ans, le deuxième secrétaire général de l’ONU, qui trouva la mort dans un ” accident ” d’avion le 18 septembre 2018 dans la localité de Ndola en Rhodésie du Nord, c’est-à-dire l’actuelle Zambie. En route pour le Katanga ( Shaba) à la rencontre du sécessionniste Moïse Tshombé, son avion , à en croire le rapport rendu par le juge tanzanien missionné par l’ONU en fevrier 2017, son avion avait été volontairement été touché par un missile, tiré depuis une zone sous contrôles des forces belges, américaines et britanniques. Or , le rapport initial de 1962, avait classé ce dossier sans suite…
C’est sur le dossier de la crise politique ivoirienne, que Kofi Annan , lauréat du prix Nobel de la paix depuis 2001, va donc l’impression de vaciller et de jouer un rôle trouble , au point de susciter incompréhension chez l’ancien président Sud-Africain.
Au lendemain de l’arrestation du président Gbagbo, et de son transfèrement à Korogho dans le Nord du pays , ce dernier y reçoit la visite des ” elders ” qu’on peut litteralement traduire par ” aînés” , mais une connotation de ” sages ” . Outre Kofi Annan, la délégation compte l’archevêque Sud-Africain Desmond Tutu, et l’ancienne première d’Irlande à la tête d’une organisation des droits de l’homme.
Kofi Annan, au terme de cette visite, va donner une interview au journal français ” Le Parisien ” , dans laquelle il prend quelques libertés avec la vérité. Il affirme par exemple , que Laurent Gbagbo lui aurait dit reconnaitre la ” victoire ” d’Alassane Ouattara, alors que l’ancien président , même face à ses juges à La Haye a toujours fit que : ” La vraie question est ‘re savoir qui a gagné l’élection présidentielle de 2010. Car, c’est celui qui n’a pas gagné qui pose problème. “
Comme on dit chez nous, la mort éfface tout. Elle n’est ni une sanction, ni le verdict d’un procès. L’ issue de toute vie, est la mort . Que l’âme de monsieur Kofi Annan repose en paix, et que la terre de ses ancêtres lui soit infiniment légère et douce.