Directeur général de Greenpeace International de 2009 à 2017, le Sud-Africain Kumi Naidoo a pris en août ses nouvelles fonctions de secrétaire général d’Amnesty International, à Londres. Il devient ainsi l’une des voix les plus influentes sur les droits de l’homme. Militant dans l’âme, cet ancien activiste anti-apartheid doit donner à l’ONG une nouvelle impulsion.
Parti en exil à Londres en 1987, à 22 ans, pour échapper à une arrestation certaine et des séances de torture non moins prévisibles parce qu’il organisait des manifestations anti-apartheid, le jeune Kumi Naidoo n’avait alors qu’une envie : rentrer chez lui. Ce qu’il a fait dès 1990, trois semaines après la libération de Nelson Mandela. « Le plus beau jour de ma vie », dit-il, tout en précisant qu’il ne souhaite pas alimenter une « vision romantique » de son passé militant. En 1994, il se trouve aux avant-postes d’une difficile transition démocratique, en tant que porte-parole de la Commission électorale indépendante. Il dirige ensuite un programme national d’alphabétisation et fonde la Coalition des ONG sud-africaines (Sangoco), un groupe de pression qui joue depuis un rôle de contre-pouvoir important.
Né à Durban, où est concentrée la minorité indienne d’Afrique du Sud, il vient d’un groupe qui représente 2,5 % de la population, des descendants d’esclaves indiens importés par le colon britannique dans les plantations de sucre du Kwazulu Natal, suivis par une vague de migrants venus pour la plupart du Tamil Nadu, un Etat du Sud de l’Inde. Mais loin d’un Gandhi, qui ne défendait que sa communauté à la tête de l’Indian Natal Congress (INC) dans l’Afrique du Sud des années 1920, Kumi Naidoo fait partie d’une génération qui a fait tomber les barrières identitaires.
Agitateur professionnel
Il se définit comme « Noir » par choix politique, au sens très large où l’entendait le Mouvement de la conscience noire (BCM) de Steve Biko. Il s’agissait alors de miner de l’intérieur les catégories raciales, en résistant mentalement au racisme institutionnel. L’agitateur professionnel commence en 1998 une longue carrière de redresseur de torts. De 1998 à 2005, il préside l’ONG Civicus, une alliance mondiale pour la participation des citoyens, avant de passer à la direction du groupe de pression britannique Tck Tck Tck, bruyamment opposé au changement climatique. Ce qui lui a valu d’être repéré par Greenpeace International, la plus grande ONG de défense de l’environnement du monde, implantée dans 55 pays par le biais de 26 antennes, avec 2 500 employés, 47 000 volontaires et 3 millions d’adhérents ayant contribué financièrement en 2017 à un budget de 83 millions d’euros.
C’est encore pour rentrer en Afrique du Sud qu’il a quitté cette ONG globale, fin 2017, après avoir renforcé ses liens avec des partenaires à travers le monde et intensifié ses campagnes. Il a expliqué dans un communiqué vouloir se battre contre les projets de centrales nucléaires impulsés par le président Jacob Zuma. Entretemps, il est rattrapé par l’offre d’Amnesty International.
Il succède donc à l’Indien Salil Chetty à la tête de cette organisation, en quête d’un nouveau souffle après une vaste restructuration. Le secrétariat général de Londres a en effet décentralisé son action, via des bureaux régionaux à travers le monde. Celui de Dakar est notamment dirigé par Alioune Tine et couvre toute l’Afrique de l’Ouest et centrale. A son nouveau poste, Kumi Naidoo doit gérer la crise qu’ont provoquée deux suicides de membres du personnel, celui du chercheur Gaëtan Mootoo en mai à Paris et d’une jeune femme à Genève en juillet, qui font l’objet d’une enquête interne.
« Désobéissance civile »
Connu pour inscrire ses causes dans des agendas plus vastes que les sphères habituelles de « plaidoyer », il veut faire d’Amnesty International une organisation « plus grande, plus audacieuse et plus inclusive ». Le groupe de pression, fondé en 1961 pour défendre les droits des prisonniers politiques et militer contre la peine de mort, compte 2 500 employés dans 70 pays, pour un budget de 68 millions de livres (chiffre de 2016). Un fonds alimenté par les contributions de quelque 7 millions d’adhérents et les dons faits par diverses fondations et institutions.
Il n’hésite pas à déclarer que notre époque est celle de la « désobéissance civile » – un mot qui renvoie aux années 1950 en Afrique du Sud. Il annonce aussi vouloir s’éloigner de la « vision traditionnelle qui voudraient que les droits humains ne recouvrent que certaines formes d’injustices, mais pas d’autres ».
Sa conviction : « Les schémas de l’oppression sont interconnectés. On ne peut pas parler du changement climatique sans reconnaître qu’il relève aussi de questions de race et d’inégalités. On ne peut pas parler de la discrimination sexuelle sans reconnaître qu’elle est lié à l’exclusion économique des femmes. Et l’on ne peut pas ignorer le fait que les droits civiques et politiques sont souvent supprimés lorsqu’ils essaient de demander une justice économique de base ».
Cette pensée critique est profondément ancrée dans la lutte contre l’apartheid. Les freedom fighters puisaient alors à une source marxiste, tout en adoptant des solutions pragmatiques. Pour preuve, le compromis passé avec l’ancien régime raciste en 1993, qui a évité le bain de sang et l’avènement de la démocratie. Kumi Naidoo, qui s’apprête à arpenter le monde, a commencé par l’Afrique, avec une visite à Johannesburg en août et un voyage à Accra (Ghana) ces derniers jours.