Tout le brouhaha généré par la mauvaise préparation du gouvernement camerounais en prévision de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN 2019) va bien au-delà du football et de la CAN. Dans sa rhétorique démagogique autour du sport au Cameroun, le régime de Paul Biya a surtout fait de sa longue tradition de manipulation du football une véritable marque de fabrique. Le sport au Cameroun est ainsi un réel opium pour les masses. Cependant l’organisation de la CAN 2019 se transforme en Citadelle du roi Christophe, un emblème de vanité, du gaspillage, et de l’illusion du pouvoir absolu comme dans La Tragédie du roi Christophe d’Aime Césaire. Aime Césaire a affirmé qu’il a écrit cette tragédie comme un avertissement contre les dictateurs Africains qui seraient tentés par la vanité, l’utilisation excessive de la force, et du pouvoir absolu sur leurs peuples pour leur auto-glorification narcissique. Nous y sommes pleinement!
Cette réduction de l’état-nation et de la politique aux symboles et à la propagande sportive soulève des questions importantes.
Il est en effet important de noter que dans la politique mondiale et nationale, le sport a toujours représenté plus qu’un jeu. Il participe à la fois à la gloire romantique puis au caractère scientifique de l’État-nation. Le nombre de médailles olympiques et de victoires sportives transformées en produits de relations publiques à l’échelle nationale ne se compte plus. Ce fétichisme sportif – qui met notamment l’accent sur une idéologie politique dite d’inspiration rationnelle – car assise sur des réalisations ou performances (sportives) – veut en permanence nous démontrer combien les améliorations sociales et économiques sont très palpables, quantifiables, démontrables grâce aux exploits de nos héros sportifs…C’est la consécration d’une rationalité qui s’appuie sur les impressions d’un progrès national, unificateur, tangible. Voilà comment la politique du chiffre devient le quasi baromètre du pouvoir, dont il use et abuse souvent pour se prévaloir d’une expertise scientifique, puis se draper d’un rôle messianique de gardien de l’unité nationale. La propagande gouvernementale fonctionne dès lors à plein régime, puisqu’elle s’auto-alimente de cette légitimité prêtée aux gouvernants dans leur rôle de garant de l’intérêt général et de la fierté patriotique.
Ceci dit cette politique des données et des chiffres est bien évidemment l’arbre qui cache la forêt.
À ce sujet le journaliste d’investigation et lanceur d’alerte camerounais Boris Bertold écrit “La CAN 2019 était pour Biya un moment d’affirmation de son pouvoir, de sa légitimité. Paul Biya a parfaitement conscience que le football est le seul instrument permettant de concilier les camerounais de tous les bords. Les trentenaires qui n’ont connu que Biya n’ont pas vu la CAN. C’était un moment important pour lui. Mais la CAN est plus que jamais compromise et incertaine. Il aura commis deux erreurs: tout d’abord, il aura accepté les nouvelles règles de la Confédération Africaine de Football (CAF) avec le passage de 16 à 24 équipes. Ce qui non seulement ne correspond pas au cahier de charge de 2014; mais en plus de cela on ne change pas les règles du jeu au cours d’un match. Plus grave, dans sa logique de personnalisation du pouvoir et de construction dans l’imaginaire des Camerounais du fait qu’il soit indispensable pour le pays, il a pris l’engagement de tenir la CAN de 2019.
En cas de refus d’organisation, ce qui est planifié à la CAF, ce serait d’abord son échec personnel. Car Paul Biya a laissé son administration retarder tous les projets afin que certains puissent bénéficier de marchés de gré à gré. C’est trois (03) ans après l’attribution de la compétition qu’il créée un comité d’organisation. Ce n’est pas seulement un signe de laxisme, mais également qu’il ne contrôle peut-être plus rien et est devenu otage du système. Des milliards seront à nouveau engagés et seront remboursés par les générations futures.”
Deuxièmement, l’appartenance politique ne peut être réduite au sport. Que faisons-nous au sujet des citoyens qui se disent contre l’utilisation du sport à des fins de propagande politique? Quelles sont les répercussions sur le débat public? On sait que le sport est utilisé pour promouvoir les pratiques politiques et de genre, puis une culture spartiate martiale où le corps politique est essentiellement défini comme masculin et hétérosexuel. Par conséquent et à cause de ce privilège masculin et hétérosexuel, certains types de corps ont plus des valeurs sur les autres qui se trouvent stigmatisés, excommuniés, et même sacrifiés. Il n’est pas surprenant que, dans un pays qui fétichise le sport et les athlètes, les personnes considérées comme efféminées, homosexuelles et transgenres sont discriminées par la loi. En effet l’homosexualité est un crime punissable par la loi au Cameroun transformant le LGBTQ en homo sacer qui signifie des personnes qui ne peuvent pas être tuées, mais dont les vies sont néanmoins disposables. C’est pourquoi le mot «pédé» est couramment stigmatisé au Cameroun, une discrimination parfaitement légitimée par l’État. Dans la pratique, les lois anti-homosexuels normalisent la stigmatisation et la condescendance, et surtout les usages de la violence pour régler les différences politiques et de valeurs. Comme ces différences ne peuvent être réconciliées dans une tradition voulue totalitaire africaine de l’arbre à palabres, elles sont excessivement radicalisées.
Des penseurs tels que Michel Foucault, ont affirmé que les sociétés se révèlent beaucoup de la manière dont leurs minorités sont traitées. Au Cameroun, cela signifie l’impossibilité de faire face à un véritable désaccord sans recourir à la violence et à l’excommunication. Ce problème n’est pas seulement lié aux pratiques ou différences de genre, mais à la façon dont le gouvernement traite la divergence d’opinions et la dissidence politique soit avec les prisonniers politiques ou la minorité anglophone, mettant ainsi en évidence le décalage persistant dans ce pays entre les institutions formelles camerounaises et la conscience ordinaire des Camerounais.
Tout cela souligne une profonde crise de légitimité et la difficulté immense à créer des institutions formelles fiables correspondant aux aspirations ordinaires des Camerounais, puis aux idéaux inscrits dans leurs consciences. Ce processus ne devrait pas venir ou revenir uniquement aux politiciens dans une société qui se veut démocratique. Car les Camerounais ordinaires ne doivent pas oublier que le Cameroun est notre foyer national et que nous n’avons pas gagné l’indépendance contre les colons Allemands, Anglais, puis Français pour accommoder l’illusion d’un vieil homme et de sa cour de corrompus.
Olivier Tchouaffe, PhD, contributeur au CL2P
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English version
CAN 2019 and the Tragedy of the Old Negro, By Olivier Tchouaffe, PhD, contributor to the CL2P
All the brouhaha caused by the ill preparation of the Cameroonian government related to the CAN 2019 go beyond soccer and the CAN. At the core, by championing sport, the Biya’s regime has developed a long tradition of manipulating soccer for national branding and political gain to become a true opium for the masses.
The organization of the CAN 2019, however is turning into The Citadel of King Christophe, an emblem of vanity, waste and delusion of absolute power in Aime Cesaire’s The Tragedy of King Christophe. Aime Cesaire is on record to claim that he wrote that play as a warning against African’s would be dictator’s vanity and the uses of excessive force and absolute power on their people for narcissistic self-glorification.
Thus, reducing the nation-state and politics to symbols and sport propaganda raises some important questions.
– First, it is important to note that in global and local politics, sport has always been more than a game. Sport participates both in the romantic glory and the scientific character of the nation-state. Hence, the number of Olympic Medals and sport victories are routinely turned into fetishized national promotional events because they are cache that stand up for evidence-based politics which achievements constitute demonstrable improvement enshrining rational and principled politics that indicate an unified and verifiable national progress and a barometer of national competence that give legitimacy to the government’s propaganda as guardian of public interest and well deserved patriotic pride. Hence, sport achievement are used by governments to claim scientific authority and expertise. This politics of data and numbers, however, are the trees that hide the forest
As Boris Berthold writes “CAN 2019 was for Biya a moment of assertion of his power, of his legitimacy. Paul Biya is well aware that football is the only instrument to reconcile Cameroonians from all sides. Young Cameroonians in their thirties who only know Biya as their president have never experience a CAN. It was an important moment for him. But, the CAN is more than ever compromised and uncertain. Indeed, Biya made two grave mistakes: first, he has accepted the new rules of the CAF with the passage of 16 to 24 teams. This not only does not correspond to the specifications of 2014 but on top of that one does not change the rules of the game during a match. More seriously, driven by the logic of ego, the personalization of power, cult of personality and lack of self-control, Biya kept the commitment to hold the CAN of 2019 in flagrant contradiction between the rougher reality of a broke country against the personal delirious ambition and desire of the head of state.
As with this display of hubris and excess, Paul Biya, however, has let his administration delay all projects so that some can benefit from OTC markets. It is only three years after the award of the competition that an organizing committee was created. It is not only a sign of laxity, but also a sign that the president may no longer control anything and has become hostage of the system. Billions will be committed again and will be reimbursed by future generation of Cameroonians.”
– Second, political belonging cannot be reduced to sport. What do we do about citizen who dissent about the uses of sport for propaganda purpose? What are the repercussion on public debate? It is known that sport is used to advance political and gender practices and a martial Spartan culture where the body politic is essentialized as masculine and straight. Hence, as with this male privilege, certain kinds of bodies are values over other who find themselves stigmatize, excommunicated and even sacrifice. It is not surprising that in a country that fetishize sport and athletes, people seen as effeminate, gays, and transgender are discriminated by law. Indeed, homosexuality is a crime punishable by law in Cameroon turning LGBTQ into homo sacer meaning people who cannot be kill but whose lives are disposable nonetheless. That is why being call a “faggot” in Cameroon is walking around with a bullseye behind your back which means state-sponsored discrimination. In practice, it normalizes stigmatization and condescension and the uses of violence to settle political and differences of values. As such differences cannot be reconciled in the African tradition of the Palaver Tree rather differences are radicalized.
Thinkers such as, Michel Foucault, claimed how a society tells a lot about itself for the ways its minorities are treated.
In Cameroon, it means a problem to deal with real disagreement without resorting to violence and excommunication. This problem is not only tied to gender practices but how the government deals with different and dissent be it with political prisoners or the Anglophone minority highlighting a continue mismatch between Cameroonian’s formal institutions and ordinary Cameroonians’ conscience.
All of this points to a big crisis of legitimacy and test that has been more difficult than thought of building formal institutions that match ordinary Cameroonians’ values and the demands of their conscience. A process that does not come naturally for politicians but ordinary Cameroonians must not forget that Cameroon is our home and that we did not win independence from the French to accommodate the delusion of an old man and his corrupt court.
Olivier Tchouaffe, PhD, contributor to the CL2P