Neuf ans après avoir été transféré par une froide nuit de novembre à la prison de Scheveningen, le pénitencier de la Cour pénale internationale (CPI), Laurent Gbagbo n’a pas encore retrouvé la touffeur d’Abidjan, mais son éloignement de la Côte d’Ivoire pourrait peut-être bientôt toucher à sa fin. Vendredi 4 décembre, l’ancien président ivoirien s’est vu remettre par les autorités de son pays deux passeports, l’un ordinaire, l’autre diplomatique, signé de la main même du chef de l’État Alassane Ouattara, son tombeur il y a dix ans et ennemi intime depuis deux décennies.
Cette délivrance, près de cinq mois après que les premières démarches administratives ont été entamées pour la confection de ces documents de voyage, pourrait en préfigurer une autre. Depuis que la CPI, en janvier 2019, l’a acquitté en première instance des accusations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité qui pesaient sur lui, Laurent Gbagbo répète à chacun de ses interlocuteurs sa volonté de quitter son exil bruxellois et de rejoindre son pays natal.
« Ce qui revient de droit à un citoyen »
Lors de sa première intervention publique, à deux jours de l’élection présidentielle du 31 octobre, il ne s’était ainsi pas privé de dénoncer sur TV5 « le manque d’élégance » du pouvoir en place à Abidjan qui jouait la montre avant de lui remettre ce sésame lui permettant de regagner la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, dans un communiqué de son avocate, l’ex-président « salue l’acte qui va dans le sens de l’apaisement », tout en prenant soin de rappeler qu’« il n’a pas à négocier ce qui revient de droit à un citoyen. »
Toute la question est désormais de savoir à quelle date Laurent Gbagbo rentrera et avec quelles intentions. Dans le communiqué précité, Me Habiba Touré rapporte qu’« ayant maintenant son passeport, il envisage de rentrer en Côte d’Ivoire au cours du mois de décembre 2020 ». Puis de préciser au téléphone que « Laurent Gbagbo ne veut pas créer de troubles, mais il n’est pas dans une logique de négocier son retour, seulement d’en organiser les modalités pratiques avec les autorités sur place. Lui donner la sécurité à laquelle il a droit en tant qu’ex-président de la République ne prend pas plus de quelques jours ou quelques semaines ».
Nul doute cependant que cet empressement n’est pas partagé par Alassane Ouattara. « Après sa réélection, qui a laissé des traces, le président s’est fortifié, mais il n’est pas encore prêt à le recevoir », souffle l’un de ses confidents. Le chef de l’Etat, réélu pour un troisième mandat que l’ensemble de l’opposition lui conteste, a engagé des discussions avec l’ex-président Henri Konan Bédié qui devraient se poursuivre dans les prochains jours. Dans son calendrier des priorités à venir figurent également son investiture le 14 décembre, ainsi que des élections législatives qui pourraient se tenir en mars 2021 et qui auront notamment vocation à redonner de l’espace politique à une opposition dont bon nombre de personnalités sont aujourd’hui en détention ou en exil.
« Seul véritable opposant »
Dans l’esprit du président ivoirien, le cas Laurent Gbagbo pourrait revenir sur la table après cette séquence. Et encore, selon ses conditions. Dans un entretien au Monde, Alassane Ouattara expliquait fin octobre sa volonté de « prendre une décision qui facilite le retour » de son vieil ennemi, mais après la fin de la procédure d’appel engagée devant la CPI. Par ailleurs, selon un diplomate, Alassane Ouattara souhaiterait gracier plutôt qu’amnistier Laurent Gbagbo de la condamnation à une peine de vingt ans de prison prononcée à Abidjan à son encontre en 2018 dans l’affaire dite du « braquage » de l’Agence nationale de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bécéao). La mesure, explique cette source, permettrait de maintenir une pression sur l’ex-président.
Reste que malgré ses 75 ans, et ses presque dix années de réclusion, Laurent Gbagbo n’est pas un homme qui se laisse manœuvrer comme un opposant de salon. « Il n’a jamais été un fugitif. Cette condamnation est politique et s’il doit rendre des comptes, il le fera. Mais il est vain d’utiliser cela pour lui faire peur ou retarder son retour », prévient son avocate Habiba Touré. Quant à l’ambition de mettre ses critiques en sourdine : « Depuis sa jeunesse, la politique est toute sa vie », rappelle Adou Assoa, le secrétaire général de son parti et gardien du temple à Abidjan. Conscient du danger que continue de représenter Laurent Gbagbo, un très proche du chef de l’Etat admet : « C’est notre seul véritable opposant et son retour sera un cap décisif à franchir. »
Que ce soit à Yopougon, l’un de ses fiefs à Abidjan, ou à Gagnoa, sa ville natale, les militants de Laurent Gbagbo répètent en chœur que, quels que soient le jour et l’heure de son retour, ils seront tous de la marée humaine qui se formera sur le chemin de l’aéroport pour l’accueillir.