Une mutinerie des militaires a créé durant 48 heures la panique en Côte d’Ivoire, avant qu’un accord financier ne soit conclu avec le gouvernement. Ces événements se sont produits alors qu’une grève des fonctionnaires commence lundi.
En l’espace de deux jours, et comme dans un immense jeu de dominos, les casernes militaires d’une grande partie de la Côte d’Ivoire sont entrées les unes après les autres en résistance ce week-end. Le scénario a été le même partout : des soldats sont sortis de leurs camps, ont tiré des coups de feu en l’air et bloqué les principaux axes routiers.
Le mouvement a commencé vendredi 6 janvier au matin à Bouaké (centre), deuxième ville du pays et ex-capitale de la rébellion armée des Forces nouvelles, ce qui n’est pas anodin : depuis leur création fin 2002, les Forces nouvelles ont toujours soutenu Alassane Ouattara, l’actuel président ivoirien, contre l’ancien chef de l’État Laurent Gbagbo. Et ce sont leurs éléments qui constituent, depuis l’installation au pouvoir de Ouattara en avril 2011, l’essentiel de l’armée régulière, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), et qui la commandent. Les ex-chefs de guerre de la rébellion occupent ainsi tous de hauts postes de commandement et leur chef d’état-major est devenu celui des FRCI. Certains d’entre eux ont aussi conservé leurs milices personnelles et disposent d’un important arsenal militaire privé.
Très vite, les soldats des autres localités du nord, du centre et de l’ouest ont imité leurs collègues de Bouaké, sans qu’aucun d’eux ne fasse cependant de déclaration officielle pour expliquer leurs motivations, apparemment financières : certains de ces militaires ont simplement dit à des médias qu’ils réclamaient des primes et une maison pour chacun. Samedi, c’est Abidjan, la capitale économique, qui a été à son tour prise dans la fronde. Dans la matinée, des tirs ont été entendus au camp militaire d’Akouédo, tandis que les voies d’accès aux autres grandes casernes de la ville ont été bloquées. Des soldats ont été aussi positionnés par les autorités devant la RTI, la radio-télévision publique, enjeu stratégique majeur des nombreux coups d’État réussis ou ratés que la Côte d’Ivoire a vécus depuis 1999.
Cette situation inédite n’a pas empêché Ouattara de quitter la Côte d’Ivoire, samedi matin, pour se rendre au Ghana voisin, où il a assisté à l’investiture du président Nana Akufo-Addo. Quand il est revenu à Abidjan, dans l’après-midi, tout était encore confus et l’atmosphère générale très tendue.
Finalement, les Ivoiriens ont appris en fin de journée de samedi qu’un accord avait été trouvé après des négociations menées à Bouaké, entre le ministre de la défense, Alain Donwahi, et une trentaine de militaires. C’est Ouattara qui a annoncé la fin de la mutinerie : « Je confirme mon accord pour la prise en compte des revendications relatives aux primes et à l’amélioration des conditions de vie et de travail des soldats », a-t-il déclaré. Mais il n’a donné aucune précision sur le montant à verser aux militaires.
Fin du film ? Pas vraiment : à peine le président avait-il achevé son discours que des tirs à l’arme légère et à l’arme lourde retentissaient dans Bouaké. Empêché de quitter la résidence où s’étaient tenus les pourparlers, Donwahi a dû parlementer deux heures de plus pour convaincre une partie des mutins, qui réclamaient plus de garanties au sujet du délai du paiement promis. Ils ont obtenu, semble-t-il, la promesse d’un premier versement pour ce lundi. Les militaires se sont sans doute souvenus de ce qui s’était passé en novembre 2014 : certains d’entre eux – tous d’ex-combattants de la rébellion intégrés dans l’armée, comme cette fois-ci – avaient lancé un premier mais bref mouvement de revendication à Bouaké et dans quelques autres villes du pays. Ils réclamaient, entre autres, le paiement de primes promises par les chefs des Forces nouvelles pendant la guerre de 2011 alors qu’ils étaient encore tous rebelles, et l’amélioration de leurs conditions de vie. Le chef de l’État s’était engagé à satisfaire leurs demandes, sans qu’il y ait eu, visiblement, de concrétisation par la suite.
Dimanche, la situation semblait être revenue à la normale, même si les matchs du championnat national de football ont tous été annulés. Mais tout n’est pas réglé pour autant : le gouvernement doit rapidement trouver de quoi payer les militaires. Il n’est pas exclu que cette affaire recèle aussi des dessous politiques, le contexte dans lequel elle s’est déroulée étant très particulier. Ouattara doit en effet rendre publiques, ces jours-ci, des décisions importantes, qui vont en partie modifier l’équilibre actuel du pouvoir : il doit nommer le vice-président, un poste créé par une nouvelle Constitution très contestée mais adoptée en octobre 2016. Le vice-président sera le deuxième personnage de l’État (auparavant, c’était le président de l’Assemblée nationale) et deviendra, en cas de vacance du pouvoir, le président de la République.
Sont aussi prévus un remaniement gouvernemental et l’installation d’une nouvelle Assemblée nationale, après les élections législatives de décembre 2016 – qui ont au passage mis en évidence de fortes dissensions au sein des deux partis se partageant le pouvoir, le Rassemblement des républicains (RDR) de Ouattara et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de l’ex-président Henri Konan Bédié.
Le rôle de Guillaume Soro
Ces changements imminents posent, entre autres, la question du sort réservé à Guillaume Soro, l’ancien chef des Forces nouvelles dont les ambitions présidentielles sont évidentes : sera-t-il reconduit dans ses fonctions de président de l’Assemblée nationale ? Depuis de nombreux mois, une partie de l’entourage de Ouattara, dont il a été le premier ministre, cherche à le fragiliser. Il garde cependant une forte influence sur la majorité des ex-chefs rebelles, avec lesquels il partage un lourd passé : leurs troupes, combattant pour Ouattara, ont commis en 2011 de graves crimes, qui sont susceptibles de les conduire un jour devant la justice internationale. À l’époque, Soro était le premier ministre mais aussi le ministre de la défense de Ouattara, tout en étant toujours à la tête des Forces nouvelles.
Dès le début de la mutinerie, beaucoup d’Ivoiriens, y compris des militaires, se sont interrogés sur son éventuel rôle dans les événements, se demandant s’il ne cherchait pas, par le truchement de ses camarades rebelles devenus FRCI, à faire pression sur le chef de l’État, afin que ce dernier le conserve à la présidence de l’Assemblée nationale. Curieusement, samedi soir, une heure après le discours de Ouattara, il a publié sur son compte Twitter (sur lequel il se présente d’ailleurs toujours comme « secrétaire général des Forces nouvelles ») le message suivant : « J’annonce officiellement ma candidature pour un deuxième mandat à la présidence de l’Assemblée nationale de la République de Côte d’Ivoire. »
En tout cas, cette crise aura confirmé que Ouattara n’a pas le contrôle de son armée, voire qu’il en est l’otage, et que l’État ivoirien reste très fragile, contrairement à ce qu’affirment les tenants du pouvoir et leurs soutiens étrangers – il y a deux semaines, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a par exemple déclaré que la Côte d’Ivoire s’acheminait « fermement vers une paix et une stabilité durables ».
Une affiche appelant à la grève Une affiche appelant à la grève
En réalité, les tensions et les frustrations sont fortes dans toutes les sphères de la société, y compris au sein du camp présidentiel. Ce lundi, le gouvernement sera d’ailleurs confronté à un autre mouvement social : les fonctionnaires doivent entamer une grève de quatre jours. Ils protestent contre une réforme de la fonction publique, qui prévoit notamment de faire passer l’âge de la retraite de 55 à 60 ans, d’augmenter le montant des cotisations et de réduire celui des pensions de 30 à 50 %. Les autorités se montreront probablement peu clémentes à leur égard : depuis 2011, elles ont rarement répondu positivement aux revendications sociales de leurs concitoyens, s’employant plutôt à casser et domestiquer les syndicats.
Intimidations, suspension de salaires, création d’organisations concurrentes ou de dissidences au sein de structures existantes : la liste des techniques utilisées pour réduire les syndicalistes au silence est longue. Des hommes en armes occupent même depuis mi-2011 le siège de la Fédération des syndicats autonomes de Côte d’Ivoire (Fesaci), qui regroupe près de 100 syndicats. « On vit avec la peur au ventre. Le mouvement syndical est en train de mourir : si cela continue, on ne parlera plus de syndicalisme en Côte d’Ivoire d’ici à cinq ans », a confié mi-2016 un syndicaliste à Mediapart. « Le respect de la liberté syndicale » figure aussi sur la liste des doléances des fonctionnaires.
Par Fanny Pigeaud – Médiapart