Michel Thierry Atangana, un Français détenu au Cameroun pendant 17 ans sans motif judiciaire valable, se réjouit de la libération de la franco-camerounaise Lydienne Yen-Eyoum pour laquelle il s’est battu depuis sa libération. Mais le combat est loin d’être terminé.
Michel Thierry Atangana, prêcheur de paix. Devenu par son histoire le premier ambassadeur de la lutte contre la détention arbitraire, ce Français à demi libre n’a qu’une obsession : lutter contre l’indifférence. Son Credo est l’empathie. Son leitmotiv, la liberté. Sa libération est un long chemin de croix, qui ne s’achèvera que lorsqu’il aura acquis la conviction que plus aucun citoyen ne sera abandonné par son Etat comme il l’a été. La certitude que les mécanismes sont là, efficaces et utilisés, pour lutter contre l’enfermement injuste de nos concitoyens.
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Engagé dès les premiers instants en faveur de Lydienne Yen-Eyoum (épouse Loyse), cette avocate franco-camerounaise qui a passé plus de six ans et demi en prison au Cameroun avant d’être libérée lundi en vertu d’une grâce présidentielle, Michel Thierry Atangana ne peut que se réjouir de sa libération. Il salue «l’écoute du président de la République française», qui a plaidé sa cause auprès de son homologue Paul Biya notamment au cours de sa visite d’Etat qu’il a effectuée au Cameroun il y a un an.
Mais il ne s’agit que d’une victoire en demi-teinte. Car comme lui, Lydienne Yen-Eyoum n’a pas bénéficié d’une relaxe judiciaire, qui la blanchirait des charges qui pèsent contre elle –de corruption en l’occurrence. Ce qui signifie qu’aux yeux de la justice camerounaise, elle est toujours coupable. Qu’elle ne sera pas réhabilitée dans ses prérogatives de citoyenne –elle ne pourra donc plus exercer sa profession par exemple-, et qu’elle devra même rembourser les 1,6 million d’euros qu’elle est accusée d’avoir détournés. «Qu’est-ce que l’opinion retient : coupable ou innocente ?», lance dans une question rhétorique Michel Thierry Atangana. «Il n’y a jamais de fumée sans feu dit le dicton… Souvenez-vous de Florence Cassez –elle n’est pas claire, entendait-on-, d’Ingrid Betancourt –qu’est-ce qu’elle est allée faire là-bas? (en zone Farc, Ndlr)»
Il faut appliquer les avis du groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire
Le problème, selon M. Antangana, c’est que «quand un simple homme est accusé par un Etat, il doit apporter la preuve de son innocence». Or : «Qui a plus besoin de protection : l’individu ou l’État ? (…) L’État est immuable, il se renouvèle, alors que l’homme est mortel. Il a une espérance de vie de 45-50 ans en Afrique. Le condamner à 25 ans de prison c’est le condamner à mort.» Selon lui, il est primordial que lorsqu’un «citoyen français est injustement condamné (dans un pays étranger), il bénéficie de l’appui immédiat de son pays.» Ces victimes «ne doivent pas se retrouver seules face à cette machine infernale». C’est pourquoi il est urgent de se demander : «Comment faire en sorte que l’action soit plus rapide et l’accompagnement plus efficace, sans pour autant négliger les problématiques diplomatiques» ? Parmi ses éléments de réponse, il prône le renforcement des mécanismes de l’ONU contre la détention arbitraire et l’applicabilité de ses décisions.
En l’espèce, la justice camerounaise a reconnu Lydienne Yen-Eyoum coupable d’avoir gardé, dans un contentieux au début des années 2000, environ un milliard de francs CFA, sur les 2 milliards de créances récupérées au nom de l’Etat auprès d’une filiale de la banque française Société générale, la SGBC (devenue SG Cameroun), qu’elle devait remettre au Trésor. L’avocate a toujours clamé son innocence. Mais elle a été condamnée le 26 septembre 2014 (quatre ans après son arrestation) à 25 ans de prison, une peine confirmée le 9 juin 2015, malgré l’avis du groupe de travail de l’ONU sur la Détention Arbitraire, qui avait jugé en avril 2015 son arrestation et sa détention «arbitraires» et réclamé sa libération. Comme pour M. Atangana, ces experts des Nations unies avaient en outre appelé à sanctionner les responsables, et à indemniser la victime. Mais les justices nationales en font fi.
L’indifférence ne doit pas être pas la norme
Michel Thierry Antangana ne connaît pas personnellement Lydienne Yen-Eyoum. «J’aurais pu la considérer comme une adversaire puisqu’elle était avocate de l’Etat, alors que j’étais poursuivi par l’Etat ! Mais j’ai été alerté par Mme Astrid Cheminel, qui était alors cheffe de la section consulaire de l’ambassade de France à Yaoundé», raconte-t-il. Il s’est documenté et a acquis la conviction de son innocence. Or, sa position est ferme et précise : «La faute doit être punie mais l’innocence doit être protégée. Il n’y a pas demi-mesure». «Je ne pouvais rester indifférent, poursuit-il, comme je ne peux rester indifférent à la souffrance de quiconque. Aucun être humain ne pourrait rester insensible aux conditions de détention qu’a subies Lydienne. (…) L’indifférence ne doit pas être pas la norme dans une société libre, philosophe-t-il encore. Et il ne faut pas attendre que le malheur vous arrive pour être sensible à celui des autres. C’est pourquoi le témoignage est important, pour attirer l’attention, susciter l’éveil, et il faut féliciter le travail des lanceurs d’alerte, des ONG. Pour que nous soyons une Nation, il faut que la société soit éduquée» à ces valeurs. Il milite d’ailleurs pour l’instauration d’une Journée mondiale contre la détention arbitraire.
«Ce qu’il faut retenir c’est la souffrance de l’être humain, plaide-t-il de tout coeur. (…) Je ne peux pas me satisfaire de cette situation (la libération de Mme Yen-Eyoum) en oubliant le calvaire vécu par une femme, une mère, qui a été enfermée. (…) Cette nouvelle n’efface pas les longues années de détentions de cette dame dans cette prison qui n’est pas facile», ajoute-t-il en connaissance de cause. Malgré nos sollicitations, Michel Thierry Atangana ne veut pas parler de lui. Il n’est pas là pour régler ses comptes, mais pour essayer de se rendre utile, de protéger les quelque 3,5 millions de Français qui vivent à l’étranger et risquent donc potentiellement de subir le même sort. «Je n’ai pas envie de dire des choses négatives, ou plutôt inutiles, je veux dire les choses qui me paraissent être essentielles», explique-t-il, pragmatique. On a souvent essayé de le convaincre d’être plus virulent, mais le pacifiste garde son flegme, soucieux entre autres de l’image qu’il transmet à son fils. Le rôle qu’il eu avec madame Myriam Zaine (présidente de l’Association Atangana contre l’Oppression et l’arbitraire – AACOA) a justement été de «pacifier les relations». «J’ai estimé que les prises de positions contre le Cameroun ne facilitaient pas l’ouverture d’un quelconque dialogue», confie-t-il. C’est ce qu’il a prêché sans relâche depuis sa libération le 24 février 2014, auprès du ministère des Affaires étrangères, de l’ambassadeur des droits de l’Homme, ou encore des sénateurs. Et l’histoire prouve qu’il a eu raison.
L’État doit protéger ses enfants
Plus globalement, en cette période de campagne électorale, M. Antangana souhaiterait élever le débat : «L’Etat doit protéger ses enfants, ses otages, les blessés de la vie, des attentats…» Dans une tribune parue début mai dans l’hebdomadaire «Marianne» et intitulée «l’Etat ne doit pas abandonner ses enfants», 17 parlementaires français réclament l’ouverture d’une mission d’information parlementaire sur le traitement des Français détenus à l’étranger ou pris en otages. «Comme Michel Thierry Atangana, un nombre croissant de Français détenus à l’étranger, comme récemment Serge Lazarevic, Marc Féret, ou Thierry Dol – tous anciens otages français -, se disent abandonnés par la France à leur retour, pointent-ils du doigt. Marc Féret et Thierry Dol ont même porté plainte, convaincus que leur pays n’avait pas fait le nécessaire pour les libérer. Comme Michel Thierry Atangana, on estime que 20 % des 2.558 Français actuellement détenus à l’étranger, dont au moins 518 sont détenus sans cause connue, ne bénéficient d’aucun soutien de la part de leur consulat, poursuivent-ils. Le cas de Michel Thierry Atangana, exceptionnel par sa longévité, est symbolique. En tant que parlementaires, en tant que citoyens, nous souhaitons comprendre pourquoi certains de nos ressortissants ne bénéficient pas du même support diplomatique et judiciaire que d’autres.» A terme, Michel Thierry Atangana souhaite créer un Organisme de suivi des anciens détenus arbitraires et anciens otages. Sa croisade pour les blessés de la vie et contre l’indifférence est loin d’être terminée.
Paris Match |Marie Desnos