Nous le disions pourtant depuis des années, nous heurtant sans cesse à un véritable mur du silence médiatique et politique en France.
Tant le maintien de l’Afrique noire francophone sous cette dépendance au relent esclavagiste et colonial semble “normal” pour l’écrasante majorité des décideurs politiques et économiques français, pourtant si prompts à afficher leur fermeté contre l’immigration illégale, sans jamais mettre les deux réalités en corrélation.
Nous y sommes enfin, indépendamment de l’idéologie réactionnaire des dirigeants italiens, que nombre d’Africains ne partagent pas.
À BAS LA FRANÇAFRIQUE, TOUS EN GILETS ROUGES
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Ce sont en effet des partenaires européens — malheureusement d’extrême droite — qui pointent du doigts la perpétuation par la France en Afrique noire francophone du système d’exploitation d’essence esclavagiste et coloniale qu’est le Franc CFA.
“La France prive l’Afrique de sa richesse” : Salvini attaque à son tour la France
Le vice-président du Conseil italien Luigi Di Maio souhaite en effet que l’Union européenne prenne “des sanctions” contre les pays qui, à commencer par la France, “appauvrissent l’Afrique”. Ceux-ci sont selon lui à l’origine du drame des migrants en Méditerranée.
“L’UE devrait sanctionner la France et tous les pays qui comme la France appauvrissent l’Afrique et font partir ces personnes (les migrants), parce que la place des Africains est en Afrique pas au fond de la Méditerranée”, a déclaré dimanche Luigi Di Maio en déplacement dans les Abruzzes (centre).
“Si aujourd’hui il y a des gens qui partent c’est parce que certains pays européens, la France en tête, n’ont jamais cessé de coloniser des dizaines de pays africains”, a insisté M. Di Maio, chef politique du Mouvement 5 Etoiles (M5S, antisystème) qui gouverne avec la Ligue (extrême droite).
Selon M. Di Maio, qui est aussi ministre du Développement économique, “il y a des dizaines de pays africains où la France imprime une monnaie, le franc des colonies et avec cette monnaie elle finance la dette publique française”.
“Si la France n’avait pas les colonies africaines, parce que c’est ainsi qu’il faut les appeler, elle serait la 15e puissance économique mondiale alors qu’elle est parmi les premières grâce à ce qu’elle est en train de faire en Afrique”.
[Chronique] France-Italie : le coup de boule de Luigi Di Maio
Pour le vice-président du Conseil italien Luigi Di Maio, la France est toujours la métropole de colonies africaines. Le pays d’Emmanuel Macron serait même responsable des décès de migrants en Méditerranée.
L’Italie est le poil à gratter de la politique européenne, avec cette coalition présumée « rouge-brune » qui tendrait à démontrer la porosité entre l’extrême droite et l’extrême gauche. En réalité, si la Ligue du Nord de Matteo Salvini assume des racines régionalistes et des relents xénophobes qui fleurent la droite radicale, le Mouvement 5 étoiles est moins un parti de gauche traditionnelle qu’un « attrape-tout » idéologique, magma de populisme antisystème, d’euroscepticisme et de position antimondialiste.
Son dirigeant actuel déplore les arrivées méditerranéennes de migrants auxquelles l’Italie, il est vrai, est confrontée davantage et plus tôt que la plupart des autres pays de l’Union européenne. Ce week-end, Luigi Di Maio tentait tout à la fois de faire pleurer dans les chaumières euro-africaines et de mettre à l’index un coupable françafricain.
Selon Di Maio, c’est en « appauvrissant » des pays toujours colonisés que la France empêcherait les Africains de s’épanouir dans leurs propres pays
Une motivation coloniale ?
D’habitude semblé agacé par les migrants en vie, le vice-président du Conseil italien et ministre du Développement économique s’apitoyait, le 20 décembre, sur le sort des Africains qui échouent « au fond de la Méditerranée ». S’il évoquait moins, cette fois, la prétendue cupidité des clandestins que leur pauvreté factuelle, c’était pour mieux pointer du doigt l’ennemi politique personnel du régime italien actuel : son voisin transalpin Emmanuel Macron, que Di Maio avait déjà qualifié de « président gouvernant contre son peuple ».
Selon le dirigeant du Mouvement 5 étoiles, c’est en « appauvrissant » des pays toujours colonisés que la France empêcherait les Africains de s’épanouir dans leurs propres pays, les condamnant ainsi au funeste destin de migrants. La motivation de l’Hexagone serait tout aussi financière que l’outil de la persistante coercition (néo)coloniale. La motivation : ne pas devenir la « 15e puissance économique mondiale ». L’outil : le « franc des colonies » de « dizaines de pays africains » qui financerait « la dette publique française ».
Que la cuisine de l’Élysée proscrive, pendant quelques temps, les pizzas au camembert…
La France sanctionnée ?
Les propos de Luigi Di Maio font doublement grincer les dents françaises. Primo, la période coloniale est un tabou qu’Emmanuel Macron n’a pas fini de lever, depuis qu’il l’a qualifiée, au printemps 2017, de « crime contre l’humanité ». Secundo, le vice-président du Conseil italien prolonge sa démonstration historico-géopolitique par un appel à l’Union européenne en vue d’une sanction contre la France « et tous les pays qui comme la France appauvrissent l’Afrique ».
La saillie italienne méritait donc une convocation de l’ambassadrice d’Italie en France au ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères. Que la cuisine de l’Élysée proscrive, pendant quelques temps, les pizzas au camember
Par Damien Glez
Damien Glez est dessinateur-éditorialiste franco-burkinabè
[Tribune] « La mobilisation anti-franc CFA est un des développements les plus positifs en Afrique »
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« Sans forcément avoir tous les éléments techniques en main, un nombre croissant de citoyens africains sont conscients qu’il leur sera impossible de décider réellement de leur destin sans une souveraineté monétaire effective », écrivent Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla dans leur dernier ouvrage, « L’arme invisible de la Françafrique : une histoire du Franc CFA ». Analyse.
En réalité, « l’arme invisible » l’est de moins en moins. Comme le reconnaissent les auteurs en introduction, « ces dernières années, de plus en plus de voix s’élèvent dans la rue, sur les réseaux sociaux, dans les milieux intellectuels ou artistiques, qui demandent la « fin du CFA ».
La mobilisation anti-franc CFA est en effet un des développements les plus positifs en Afrique ces dernières années. Mais il y a tout lieu de penser qu’elle est loin de son niveau optimal. L’ignorance domine encore. En effet, « depuis la période coloniale, tout a été fait afin que les utilisateurs du franc CFA en sachent le moins possible sur le dispositif qui se cache derrière ces trois lettres énigmatiques ». Dès lors, l’objectif de la journaliste et de l’économiste est d’abord de faire œuvre de vulgarisation. Pari réussi.
>>> À LIRE – Franc CFA : tout changer pour que rien ne change
Dans les deux premiers chapitres, dans un style épuré et une langue accessible, ils relatent l’histoire de cette monnaie souillée de sang dès ses débuts. « Afin de briser les résistances locales et de faire accepter leurs monnaies, les colonisateurs utilisèrent tous les moyens de pression à leur disposition et n’hésitèrent pas à recourir alternativement au droit colonial et à la violence », écrivent-ils, avant de détailler les principes de fonctionnement du système CFA.
Le principe du tristement célèbre « compte d’opérations », dans lequel la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) et la Banque centrale du Congo (BCC) doivent déposer la part obligatoire de leurs réserves de changes (50 %), contrepartie de la garantie de convertibilité », irrite toujours autant. « Garantie » dont le président malien Modibo Keita estimait, à juste titre, dans un discours du 30 juin 1962, qu’elle était « illusoire, plus psychologique que réelle », et que la « France ne garantit le franc CFA que parce qu’elle sait que cette garantie ne jouera pas effectivement ». Pourtant, il n’empêche qu’encore aujourd’hui « la BEAC doit communiquer au Trésor de manière quotidienne le solde en euros de ses avoirs extérieurs à J-3. Elle doit exécuter, au besoin, des virements sur son compte d’opérations afin de respecter la quotité obligatoire de 50 %. »
Résistance fragilisée et glissement idéologique
À ce stade, la question se pose de la résistance historique à ce scandale monétaire, et les moyens de la libération. Le livre y répond dans sa seconde partie. Les auteurs ne le voulaient probablement pas ainsi, mais le chapitre « Résistance et représailles », qui ouvre cette seconde partie, suscite de la tristesse. Dès le début des années 1960 et jusqu’au milieu des années 70, la résistance au franc CFA a été incroyablement vigoureuse. Guinée, Mali, Burkina Faso, Niger, République centrafricaine, Congo, Tchad, Togo, Mauritanie, Madagascar, etc. Tous ces pays se rebiffent.
La révolte, brillante dans son expression, est portée par des chefs d’État dont certains n’étaient pas exempts de tout reproche, mais qui tous ou presque avaient une certaine idée de leurs pays. Alors certes, à l’exception de la Mauritanie et de Madagascar, ils ont échoué, certains payant le prix de leur vie. Mais le contraste entre l’activisme institutionnel passé et l’apathie présente choque. Aujourd’hui, le moindre mot d’un ministre contre le franc CFA conduit à son licenciement. Terrible régression.
Les auteurs n’abordent pas la question, pourtant importante, des ressorts du tassement de la mobilisation après les années 70
Les auteurs n’abordent pas la question, pourtant importante, des ressorts du tassement de la mobilisation anti-franc CFA après les années 70. Dans un premier temps, la répression française contre nos leaders, et leur remplacement par des dirigeants dociles, a fragilisé la résistance. Par la suite, à partir des années 90, un glissement idéologique subtil mais dévastateur s’est opéré : le mantra de la souveraineté (dignité), qui imprégnait la pensée des dirigeants post-indépendance, a été remplacé par celui de la « démocratie ». Tout d’un coup, la seule chose qui comptait en Afrique était les élections. Résultat des courses : trente ans après l’instauration de la « démocratie » en Afrique, celle-ci n’est ni démocratique, encore moins souveraine, mais elle est toujours plus instable. Elle ne saurait être démocratique dès lors qu’elle n’est pas souveraine. Et cette « démocratie » purement formelle est bien l’un des moteurs de l’instabilité qui l’accable.
Sortir du franc CFA exigera au préalable de remettre l’enjeu de la souveraineté au cœur du débat monétaire africain. Cela permettra de repolitiser la question monétaire, et d’emprunter les chemins fertiles tracés par nos leaders d’antan. Sans ce puissant carburant idéologique, les pistes de « libération monétaire » envisagées dans la dernière partie du livre, qui sont toutes crédibles, pourraient encore rester longtemps dans des livres. Fussent-ils de qualité.
Par Yann Gwet
Yann Gwet est un essayiste camerounais. Diplômé de Sciences Po Paris, il vit et travaille au Cameroun.
“Le Franc CFA est un outil de la servitude volontaire”
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