Ce “cancer de l’indifférence” auquel fait allusion Thierry Michel Atangana – pour lequel nous avons plus qu’activement milité en faveur de la libération – persiste malheureusement avec le même cynisme au nom voulu de la realpolitik.
Il serait même pire qu’il n’a été sous les présidences françaises précédentes, puisque celle d’Emmanuel Macron ne donne aucune suite à toutes nos interpellations relatives aux prisonniers politiques qui, comme l’ancien ministre d’État Marafa Hamidou Yaya, continuent de croupir dans les cellules du Secrétariat d’État à la Défense (SED de triste réputation) où M. Atangana a été injustement et arbitrairement détenu pendant dix-ans (17) ans.
Il en est de même d’autres détenus d’opinions comme l’ancien candidat à la présidence Maurice Kamto et plus de cinq cent (500) de ses camarades et partisans séquestrés eux aussi dans les mouroirs concentrationnaires du régime de Paul Biya,en attente d’un éventuel procès devant le tribunal militaire.
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« La France doit se racheter d’avoir abandonné Michel-Thierry Atangana durant dix-sept ans »
Notre chroniqueur appelle Emmanuel Macron à mener une négociation avec les autorités camerounaises pour que le Français soit réhabilité.
Chronique. Bouleversante. La cérémonie durant laquelle Michel-Thierry Atangana a été fait citoyen d’honneur de la ville de Saint-Pol-de-Léon, dans le Finistère, était tout simplement bouleversante. Après un calvaire de dix-sept années de détention arbitraire au Cameroun – de 1997 à 2014 – et cinq années après sa libération, Michel-Thierry Atangana a eu le droit aux honneurs de sa commune d’adoption, samedi 29 juin.Lire aussi Emprisonné dix-sept ans sans motif valable, Michel Thierry Atangana attend réparation du Cameroun
Son histoire avec la Bretagne débute quand Michel-Thierry Atangana arrive à l’âge de 17 ans au Centre héliomarin de Perharidy pour raisons de santé. Catherine et René, devenus depuis ses parents bretons, accueillent régulièrement chez eux, le week-end, des enfants du centre pour leur offrir un foyer, car nombreux sont ceux qui ne reçoivent pas de visite de leur famille.
Ces enfants, ce sont un peu les leurs. Michel-Thierry – que Catherine et René appellent simplement Michel – devient alors un membre à part entière de la famille. Ce 29 juin, quand Catherine et René en parlent, ils disent avec cette modestie émouvante que tout ce qu’ils ont fait est « normal, tout le monde le ferait pour son fils, nous n’avons pas de mérite ».
Cancer de l’indifférence
Oh que si Catherine et René ont du mérite ! Quand ils apprennent que Michel-Thierry Atangana est emprisonné, ils ne savent que faire. Ils ne connaissent pas le Cameroun, ils n’ont aucune idée de comment mobiliser, ils ne connaissent pas les rouages de l’Etat et encore moins ceux de la diplomatie. Ils vont pourtant réussir. Un article dans Le Télégramme de Brest, un autre dans Ouest-France, puis dans Le Canard enchaîné, la famille et des amis qui viennent grossir les rangs du comité de soutien et un engagement remarquable du maire de Saint-Pol-de-Léon, Nicolas Floch, et de son conseil municipal.
En écoutant le discours de Nicolas Floch samedi, je me dis que le ton est juste et le message, fort. Nicolas Floch fait honneur à la devise de notre République, ce qui n’a pas été le cas des autorités françaises dix-sept ans durant. Quand vient le tour de Michel-Thierry Atangana de prendre la parole, c’est d’abord un silence. L’émotion est palpable, la salle retient son souffle et ses larmes. Puis Michel-Thierry Atangana prononce un mot, « Merci ». Des larmes coulent sur son visage. Nous sommes nombreux dans la salle à joindre nos larmes aux siennes. Je n’oublierai jamais ces minutes. Pas plus que je n’oublierai les mots que Michel-Thierry prononcera après ses larmes : « L’indifférence est un véritable cancer qui tue la vie. » Il sait de quoi il parle. La France l’a abandonné pendant dix-sept longues années.
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Quand il est arrêté au Cameroun en 1997, Michel-Thierry Atangana, de nationalité française depuis 1988 – précision utile car la France feindra de ne pas le savoir pendant des années – a la charge d’un fonds destiné aux infrastructures routières placé auprès du secrétaire général de la présidence camerounaise. Cette arrestation est la conséquence de sombres manœuvres internes au système politique camerounais, dont Michel-Thierry Atangana devient la victime collatérale. Il sera emprisonné pendant dix-sept ans dans une cellule de 7m2 sans fenêtre, dont cinq années à l’isolement total. Il est condamné une première fois nuitamment et sans avocat en 1997 à quinze ans de réclusion. Malgré une ordonnance de non-lieu en 2008, il reste en détention et est de nouveau condamné pour les mêmes faits à vingt ans de réclusion en 2012. Le département d’Etat américain lui reconnaît, dès 2005, le statut de prisonnier politique, Amnesty International en fait de même en 2013. C’est cette même année que le Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations unies reconnaît le caractère arbitraire de la détention de Michel-Thierry Atangana et ce depuis le premier jour de détention. Le Groupe de travail demande sa libération immédiate, que les responsables de cette manipulation judiciaire soient sanctionnés et que réparation soit faite.
Du côté des autorités françaises, rien. Il faudra attendre l’implication de Bruno Gain, ambassadeur de France au Cameroun (2009-2013), pour que Michel-Thierry Atangana bénéficie, enfin, de la protection consulaire à laquelle tout citoyen français détenu à l’étranger a droit – qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait jugé utile de faire – et d’une intervention directe de François Hollande pour obtenir sa libération le 24 février 2014.
Prisonnier juridique et moral
Aujourd’hui, cela fait plus de cinq ans que Michel-Thierry Atangana est libre. Il n’a pas été réhabilité par la justice camerounaise, ses biens au Cameroun sont toujours confisqués et, situation kafkaïenne, ses comptes bancaires français toujours bloqués suite à une commission rogatoire camerounaise, dont le tribunal français ne trouve plus trace, mais que la police judiciaire française demande aux banques françaises de continuer d’appliquer !
Après l’épreuve d’une détention longue de dix-sept années, Michel-Thierry Atangana mène un combat éprouvant pour sa réhabilitation. En plus de travailler avec plusieurs députés à une proposition de loi pour mieux protéger les citoyens français à l’étranger, Michel-Thierry Atangana a écrit à l’Elysée, au Quai d’Orsay et au président de l’Assemblée nationale. Il a besoin d’une intervention des autorités françaises au plus haut niveau pour faire aboutir sa demande de réhabilitation. Les réponses qu’il a reçues sont indignes, car, derrière la courtoisie du style et les formules convenues, il n’y a qu’indifférence. Cette indifférence qui « tue la vie ».
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Si le passé ne peut se réécrire et les fautes s’effacer, au moins la France pourrait-elle prendre à bras-le-corps le dossier de la réhabilitation de Michel-Thierry Atangana. C’est le moins qu’elle puisse faire. Les autorités françaises ont abandonné Michel-Thierry Atangana une première fois et cela lui a coûté une détention inhumaine de dix-sept ans. Bien que physiquement libre, Michel-Thierry Atangana est toujours prisonnier juridiquement et moralement. Les autorités françaises sont en train de l’abandonner une seconde fois.
Michel-Thierry Atangana n’a plus le temps de lire de belles phrases ni d’écouter de beaux discours. Il a besoin d’actes. Le temps des mots est révolu, celui de l’action est venu.
L’honneur de la France commande de tout mettre en œuvre pour que Michel-Thierry Atangana soit réhabilité et que tous ses préjudices soient réparés. La France a les moyens de conduire une telle négociation avec le Cameroun et, dans l’intérêt bien compris des deux pays, d’aboutir à un accord qui soit aussi une façon, pour la France, de se racheter, après toutes ces années de coupable silence. Ce 29 juin, à Saint-Pol-de-Léon, nous avons tous reçu une leçon de dignité, de courage et d’amour. Monsieur le Président de la République, soyez à la hauteur.
Laurent Bigot est un ancien diplomate français devenu consultant indépendant.