La chancelière allemande, Angela Merkel, mérite d’être félicitée pour avoir mis à l’ordre du jour du prochain sommet du G20, les 7 et 8 juillet à Hambourg, un nouveau partenariat avec l’Afrique. La conférence qu’elle accueille cette semaine à Berlin, à laquelle plusieurs dirigeants africains sont conviés, devrait marquer la première étape de ce nouveau partenariat.
En tant qu’Africains et investisseurs, nous croyons, comme la chancelière, au potentiel des économies émergentes africaines. Mais nous sommes aussi conscients du risque majeur qui existe si nous ne saisissons pas ce potentiel de manière positive. Le continent africain a vu sa population doubler depuis 1985 et celle-ci doublera à nouveau d’ici à 2050, pour atteindre 2,5 milliards d’habitants. Pour absorber cette explosion démographique, 22,5 millions de nouveaux emplois devront être créés chaque année.
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En 2050, deux jeunes sur cinq dans le monde seront africains ; les jeunes seront ainsi dix fois plus nombreux sur ce continent qu’au sein de l’Union européenne (UE). Cette explosion démographique touche principalement des pays affaiblis par la criminalité organisée et par les extrémismes idéologiques. Les enjeux sont donc de taille pour la sécurité à long terme de l’Afrique, mais aussi pour celle de l’Europe, continent voisin, et, d’une manière plus générale, pour celle des pays du G20.
Nous devons de toute urgence remédier au déficit d’investissements à destination de cette jeunesse africaine en expansion. Quelque 100 millions d’enfants africains en âge d’aller à l’école ne sont pas scolarisés, à commencer par les filles. Des centaines de millions d’autres enfants, pourtant scolarisés, n’y apprennent pas les connaissances nécessaires pour trouver un emploi et ne reçoivent pas l’alimentation nécessaire à leur bonne santé physique, mentale et intellectuelle.
Face à Donald Trump, nous nous devons d’intervenir
Le G20 qui se tient sous la présidence allemande propose, plus spécifiquement, des « compacts » avec l’Afrique qui permettent à certains pays de se lancer dans des partenariats d’investissement renforcés. Ces partenariats peuvent devenir un puissant instrument pour mobiliser davantage les investissements privés et engendrer une croissance créatrice d’emplois en Afrique. Mais le cadre régissant ces « compacts » doit être renforcé et étendu pour que ceux-ci remplissent leur objectif.
Ce renforcement suppose un financement accru de la préparation des projets, une assurance contre les risques, une meilleure coordination de l’assistance technique et une harmonisation des réglementations. Ce dispositif doit aussi être étendu : il convient d’ouvrir ces « compacts » non seulement aux pays obtenant déjà de bons résultats économiques, mais aussi à certains des Etats africains les plus fragiles sur le plan économique. Ce sont eux qui ont besoin d’un soutien supplémentaire pour s’en sortir, car leur faillite risquerait d’entraîner celle de leurs voisins.
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Le secteur agricole est le premier employeur en Afrique. Il recèle aussi le potentiel le plus élevé, non seulement en termes d’amélioration de la sécurité alimentaire, mais aussi en termes de création d’emplois et de distribution des richesses nouvellement créées. Les investissements prévus par ces « compacts » doivent donc donner la priorité à ce secteur, ainsi qu’à celui des infrastructures, qui sont les mieux placés pour stimuler l’emploi des jeunes et faciliter la croissance économique.
La coordination des « compacts » avec la Banque africaine de développement (BAD) et la promesse d’une expansion majeure du programme de la Banque mondiale en Afrique jouent un rôle essentiel. Pourtant, le président américain, Donald Trump, souhaite couper le financement de nombreux programmes de la Banque mondiale, comme l’Association internationale de développement (AID) et le guichet du secteur privé, qui soutiennent les garanties de crédit, les systèmes en monnaie locale, l’accès aux financements des PME et l’amélioration de l’accès aux données. Nous nous devons d’intervenir.
Angela Merkel ne peut ignorer la lutte contre la corruption
Pour être à la hauteur des enjeux, le nouveau partenariat du G20 avec l’Afrique ne doit pas se limiter à des « compacts » avec le secteur privé. Les gouvernements doivent eux aussi respecter leurs engagements et mettre en œuvre des investissements qui bénéficient à leur population. Les dirigeants africains ont promis à maintes reprises d’investir davantage dans l’éducation, la santé et l’agriculture. Ils doivent aujourd’hui tenir résolument leurs promesses et ce partenariat international ne doit donc être proposé qu’aux gouvernements africains qui pensent d’abord à leurs citoyens. Une fois instruits et autonomes, ces citoyens deviendront les meilleurs employeurs et les meilleurs employés, mais pour que ce soit le cas, il y a lieu de renforcer considérablement les investissements publics de qualité dans les services de base.
Enfin, nous savons que les citoyens et le secteur privé se portent au mieux dans un contexte de respect de l’Etat de droit, de transparence et de redevabilité, c’est-à-dire dans un contexte de bonne gouvernance. L’amélioration de la gouvernance doit être ancrée dans ce nouveau partenariat, avec des engagements des pays du G20 et des pays d’Afrique pour un gouvernement ouvert et une meilleure transparence financière. L’UE a une opportunité unique de montrer l’exemple, à condition qu’elle parvienne à se mettre d’accord sur une solide directive de lutte contre le blanchiment des capitaux qui appelle à la mise en place de registres publics des bénéficiaires effectifs des sociétés et des trusts, ces tristement célèbres « véhicules de la corruption ».
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C’est non sans inquiétude que nous entendons que l’Allemagne traîne des pieds face à cette législation. La chancelière Merkel doit comprendre qu’elle ne peut pas être un partenaire de qualité pour l’Afrique si elle se soustrait à la lutte contre la corruption. Si les gouvernements doivent absolument prendre des mesures appropriées aux niveaux national et international pour améliorer la réglementation et les pratiques, aucun changement n’est à espérer sans un soutien plus ferme à ceux qui demandent aux gouvernements de rendre des comptes : les parlements, les cours des comptes, le pouvoir judiciaire et les initiatives qui aident les citoyens et les médias à utiliser les nouvelles technologies pour faire le suivi des financements et rendre les personnes corrompues responsables de leurs actes.
Forts de notre expérience, de nos fondations, de nos carrières d’investisseurs et de notre travail avec des partenaires comme l’ONG One et des mouvements civiques comme Africans Rising, nous pensons qu’il est possible de créer une nouvelle coalition entre le secteur public et privé et les acteurs de la société civile qui pourra transformer les économies africaines et contribuer à la réalisation des Objectifs de développement durable. Il y va de l’intérêt commun de l’Afrique, de l’Europe et du G20. La conférence organisée cette semaine, ainsi que les sommets de l’Union africaine et du G20 qui se tiendront tous deux au début du mois de juillet, pourraient annoncer la naissance de cette nouvelle coalition.
Mo Ibrahim (Soudan) est fondateur et président de la Fondation Mo Ibrahim, Aliko Dangote (Nigeria) est PDG du Groupe Dangote et président de la Fondation Dangote, Donald Kaberuka (Rwanda) est l’ancien président de la Banque africaine de développement.