Un piège sécuritaire qui risque malheureusement de se refermer sur la France en Afrique, à mesure que les sociétés civiles et la jeunesse africaine prendront le pas sur l’emprise des dictatures agonisantes dans la diffusion des informations et la mobilisation citoyenne.
La France aura alors définitivement perdu sur tous les tableaux, s’étant adossée à des pouvoirs illégitimes au nom de la sécurité, précisément au moment où les peuples d’Afrique aspirent le plus à l’alternance démocratique et n’en peuvent plus des dictatures.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)
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La politique française en Afrique piégée par la question sécuritaire
Combinaison d’interventions militaires dans les pays dits du « pré carré » francophone – « Serval » au Mali, puis « Barkhane » au Sahel ; « Sangaris » en République centrafricaine –, et de volonté d’étendre les relations, principalement économiques, au-delà du périmètre des ex-colonies, François Hollande a bien imprimé une marque africaine à sa politique étrangère. Plus profonde qu’attendue de la part d’un homme qui n’avait, avant son élection, manifesté aucune attirance pour les affaires de ce continent. De ses soixante engagements comme candidat à la présidence de la République, il n’avait consacré qu’une phrase à la relation qu’il souhaitait établir avec l’Afrique. « Je romprai avec la “Françafrique”, en proposant une relation fondée sur l’égalité, la confiance et la solidarité », promettait-il.
Quatre ans plus tard, les émissaires « à la marge des affaires et de la politique », incarnations de cette relation faite d’opérations occultes entre Paris et les capitales africaines, ont disparu, assure-t-on dans l’entourage présidentiel. En revanche, les chefs d’Etat qui ont su accéder ou se maintenir au pouvoir grâce à un appui français se portent bien et la succession d’élections de ce printemps a été un révélateur des ambiguïtés de la politique française en Afrique.
Au Congo-Brazzaville, Denis Sassou Nguesso, revenu aux commandes de l’Etat en 1997 à l’issue d’une guerre civile où l’ex-pétrolier Elf fut un acteur de premier plan, a été déclaré vainqueur dès le premier tour d’un scrutin réalisé dans la plus totale opacité.
A Djibouti, base stratégique de l’armée française sur la mer Rouge et l’océan Indien, Ismaïl Omar Guelleh, en dépit de ses promesses de retrait, est reparti pour un quatrième mandat après avoir obtenu plus de 86 % des voix à la suite d’une élection en partie boycottée par l’opposition.
Au Tchad, la réélection, elle aussi acquise au premier tour et déjà contestée, d’Idriss Déby, le pivot de la politique sécuritaire française au Sahel, s’accompagne de la disparition de plusieurs dizaines de soldats et de celle d’un opposant, Mahamat Ahmat Lazina, selon Amnesty International et la Ligue tchadienne des droits de l’homme.
Un mois plus tôt, au Niger, autre allié de la France dans la lutte contre les groupes djihadistes de la région et grand exportateur d’uranium, Mahamadou Issoufou avait obtenu son second mandat avec plus de 92 % des suffrages alors que son principal rival, Hama Amadou, avait commencé la campagne dans une prison et se trouvait dans un hôpital parisien lors du deuxième tour.
Sur ces quatre élections, Paris s’est muré dans le silence alors que sa parole était attendue dans les pays concernés, préférant saluer la « success story » centrafricaine, après la victoire imprévue de Faustin-Archange Touadéra, et la vigueur de la démocratie béninoise, après celle de l’homme d’affaires Patrice Talon. Quitte à passer sous silence la fragilité de la situation en Centrafrique, où la France a une nouvelle fois annoncé le désengagement de l’essentiel de ses soldats, et les craintes de confusion entre intérêt personnel et intérêt général que peut susciter le nouvel élu béninois.
Les humeurs de Paris
Après une grande timidité initiale, le ton semble avoir évolué à l’égard de Denis Sassou Nguesso, président du Congo-Brazzaville depuis plus de trois décennies. Le 22 avril, un mois après une élection marquée par la coupure de l’ensemble des communications, la répression des opposants et des intimidations de journalistes, le Quai d’Orsay a estimé que « les conditions d’organisation du scrutin (…) ne permettent pas d’en apprécier les résultats officiels » et qu’en « l’absence d’une transparence suffisante », il est impossible de « certifier la crédibilité des résultats ». Depuis, les propos se font plus acerbes mais sous couvert d’anonymat. « Sassou fait partie des présidents les plus mal élus. François Hollande n’a eu aucun contact avec lui et il n’y en aura pas avant un moment », explique une source officielle française. Cette prédiction résistera-t-elle à la première crise venue en Centrafrique où le voisin congolais reste un acteur influent ?
Idriss Déby, lui, n’a pas à se soucier des humeurs de Paris. Avant même la proclamation des résultats définitifs de l’élection, le ministre de la défense lui a rendu visite à N’Djamena. Depuis que ses colonnes de pick-up sont parties prêter main-forte aux soldats français dans le nord du Mali début 2013, le président tchadien a regagné son statut particulier, accueillant notamment le quartier général de l’opération « Barkhane », dans un Sahel traversé de multiples crises. La disparition en 2008 du « camarade » Ibni Oumar Mahamat Saleh, membre de l’Internationale socialiste et leader de l’opposition, a été oubliée au profit de « notre meilleur allié, jamais pris en défaut de loyauté », selon un membre de l’entourage de Jean-Yves Le Drian.
Au Quai d’Orsay, où Jean-Marc Ayrault tente de se faire une place sur les questions africaines aux côtés de son homologue de la défense, l’ambition affichée est d’étendre les relations économiques hors de la zone francophone. Reste que la revente d’Airbus, comme à l’Ethiopie, implique aussi des silences quand ce pouvoir ouvertement autoritaire réprime ses opposants.
C’est aujourd’hui la principale limite de la politique française en Afrique. Paris a toujours un agenda africain important, elle porte le plus souvent les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU lorsqu’une crise survient sur ce continent, n’hésite pas à y faire intervenir ses soldats dans l’urgence et les entreprises françaises y sont toujours à la conquête de nouveaux marchés. Mais en raison de ses silences sur les principes démocratiques qu’elle prétend défendre, l’image de la France reste associée, pour des millions d’Africains, à la préservation d’un ordre ancien.
Par Cyril Bensimon – LE MONDE