Les tragédies mériteraient moins d’attention quand elles se déroulent en Afrique ? Difficile de conclure autrement l’analyse annuelle des crises les plus négligées de la planète, alors que pour la cinquième année consécutive, le continent arrive en tête de ce palmarès publié par le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC). C’est même de pire en pire, puisque l’Afrique occupe neuf des dix premières places pour l’année 2019, contre sept en 2018 et six en 2017.
Tous les ans, à la veille de la journée des réfugiés, le 20 juin, le NRC passe au crible les crises qui ont entraîné le déplacement de plus de 200 000 personnes en s’arrêtant sur trois critères : le manque d’avancées vers la paix, le peu d’intérêt des médias et le défaut d’aide financière aux populations (calculé en fonction du taux de couverture des appels de fonds lancés par les Nations unies et leurs partenaires). C’est ainsi que l’ONG constitue sa liste des drames oubliés, ces zones où l’on meurt dans l’oubli général, au cœur d’un monde pourtant accro à la communication.
En RDC, « la plus grande crise de la faim après le Yémen »
Pour la deuxième année consécutive, « le Cameroun arrive en tête de la liste des pays les plus négligés de la planète », rappelle le NRC, qui observe dans cet Etat « une exacerbation des attaques de Boko Haram dans le nord, un conflit violent dans l’ouest anglophone et une crise des réfugiés de Centrafrique ». S’ajoutent à ce tableau une résolution inefficace du conflit, le silence des médias et un manque d’aide financière.
La mort, le 3 juin, d’un jeune journaliste, Samuel Wazizi, après dix mois de prison en dehors de toute procédure légale, illustre tragiquement combien il est difficile de couvrir l’information au Cameroun, classé 134e sur 180 pays dans le classement annuel de Reporters sans frontières (RSF). En dépit de ce contexte, c’est l’un des pays où les appels humanitaires internationaux ont été les moins bien financés au monde, les donateurs se montrant peu enclins à aider ses habitants alors que 1,4 million de personnes y sont en insécurité alimentaire. En 2019, seuls 44 % des besoins en aide de ce pays ont été financés.
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Le Cameroun est suivi par la République démocratique du Congo (RDC). Malgré l’accalmie politique, des opérations militaires, des attaques de groupes armés et des combats intercommunautaires ont encore forcé des centaines de milliers de Congolais à fuir les provinces orientales de l’Ituri, du Sud-Kivu et du Nord-Kivu.
« Près de 1,7 million de personnes ont dû quitter leur foyer, soit le nombre le plus élevé de personnes nouvellement déplacées de tous les pays d’Afrique », rappelle le NRC, qui pointe aussi que la RDC a connu en 2019 « la deuxième plus grande crise de la faim dans le monde après le Yémen, le nombre de personnes incapables de se nourrir elles-mêmes s’y élevant à plus de 15 millions ». Et l’ONG de regretter que bien qu’il s’agisse de la deuxième plus grande crise de déplacement interne au monde après la Syrie, l’attention internationale et le financement des donateurs sont restés très insuffisants.
« Conflits, changements climatiques et famine chronique »
Vient ensuite le Burkina Faso, nouveau venu dans ce listing à cause de la multiplication par cinq, en 2019, du nombre de déplacés à l’intérieur du pays, ce qui en fait la crise de déplacement la plus rapide au monde. Les civils y sont pris en étau entre de multiples violences intercommunautaires et djihadistes, quand ce ne sont pas les exactions des forces armées… « Les Nations unies, la France et les dirigeants du G5 Sahel ont continué de fournir une réponse essentiellement militaire pour stabiliser le pays dans le cadre d’opérations antiterroristes, observe Tom Peyre-Costa, porte-parole de NRC. Or ce dont les populations déplacées du Sahel ont besoin, c’est d’une réponse holistique », avec notamment « une assistance urgente ».
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Dans la même zone, le Mali, sixième du classement, a aussi des besoins importants qui ont crû en 2019. Quant au Niger, classé dixième, « il a été frappé par une triade de conflits, de changements climatiques et de famine chronique en 2019 », relève Tom Peyre-Costa. Venus de l’ouest et du sud, des réfugiés ont en effet franchi la frontière de cet Etat pour y trouver un peu de la paix qu’ils n’avaient ni au Burkina, ni au Mali, ni au Nigeria.
Dans cette litanie de violences diverses, quelques pays africains tirent néanmoins leur épingle du jeu. Classée neuvième l’an dernier, l’Ethiopie « chute » à la 24e place. L’octroi du prix Nobel de la paix à son premier ministre, Abiy Ahmed, en novembre 2019, a valu à ce pays une couverture médiatique qui a amélioré le financement de ses besoins, passé en 2019 de 56 % à 84 %. Huitième l’an dernier, la Libye est elle aussi sortie du top 10 grâce à l’amélioration du financement de ses besoins, sans doute lié à la médiatisation du conflit. Mais la guerre y faisant rage, elle a seulement glissé à la onzième place…
Les dix crises de déplacement les plus négligées :
1. Cameroun
2. RDC
3. Burkina Faso
4. Burundi
5. Venezuela
6. Mali
7. Soudan du Sud
8. Nigeria
9. Centrafrique
10. Niger
Par Maryline Baumard