Ce fut un moment de grâce : il y a exactement vingt-deux ans, le 27 avril 1994, se déroulaient les premières élections multiraciales en Afrique du Sud. Tournant définitivement la page de l’apartheid et portant au pouvoir Nelson Mandela, icône planétaire plus adulée qu’une pop star. Les semaines précédentes, le scrutin avait pourtant été émaillé de tueries. Mais le 27 avril, le miracle a bien eu lieu : les longues files devant les bureaux de vote, où Blancs, Noirs, Indiens et Métis se côtoyaient, avaient incarné aux yeux du monde le triomphe de la démocratie. Certes, il y avait bien un coin d’ombre dans ce tableau idyllique d’une Afrique en marche.
Au même moment, un autre pays du continent, le Rwanda, était lui le théâtre du dernier génocide du XXe siècle. Mais au moins, les élections restaient alors des critères de référence. Si on laissait les gens voter, tout était possible, pensait-on. Même détrôner un tyran. Non pas que les «tricheries» n’existaient pas, mais elles résistaient alors mal à l’opprobre du monde entier et stigmatisaient ouvertement comme dictateurs ceux qui s’y adonnaient. Vingt-deux ans plus tard, que reste-t-il de l’espoir incarné par ce 27 avril 1994 sur le continent africain ? L’actuel président sud-africain, Jacob Zuma, bien qu’élu démocratiquement, se retrouve empêtré dans les scandales et n’incarne plus aucun espoir.
Ailleurs, les rêves de printemps africains cèdent désormais la place à une véritable régression autoritaire. Certes des élections ont bien lieu. Les scrutins se succèdent même à un rythme effréné en Afrique depuis le début de l’année. Mais, à chaque fois, ils ne servent qu’à justifier le maintien au pouvoir, et toujours dès le premier tour, d’inamovibles potentats locaux. Au Congo-Brazzaville, à l’issue du scrutin du 20 mars, Denis Sassou-Nguesso, qui cumulait déjà trente-deux ans de règne, s’est proclamé vainqueur en pleine nuit, alors que les élections s’étaient déroulées dans un pays où toutes les communications avaient été coupées. Depuis, il bombarde les régions jugées «rebelles».
Au Tchad, le scrutin du 10 avril a été là aussi marqué par des intimidations, sans compter la disparition troublante d’une soixantaine d’officiers qui auraient refusé de voter pour Idriss Déby, au pouvoir depuis vingt-six ans. Mais rien n’a empêché ce dernier de se déclarer vainqueur avec 61 % des voix. Un score finalement «raisonnable», en comparaison de celui d’Ismaïl Omar Guelleh, l’inamovible président de Djibouti qui affirme avoir remporté avec 86 % le premier tour du scrutin du 8 avril que les observateurs européens n’ont pas été autorisés à suivre…
Dans ce hit-parade sinistre de parodie démocratique, la médaille d’or revient à Teodoro Obiang Nguema Mbasogo au pouvoir depuis 1979 en Guinée-Equatoriale, qui se représentait dimanche. On ignore encore son score. Mais on sait déjà qu’il sera triomphal, alors que les électeurs de ce pays ne déposent pas le bulletin dans une urne, mais le «confient» au chef du bureau de vote. Dans ces conditions, aucun miracle n’est évidemment à attendre.
Par Maria Malagardis