crédit photo : Réfugiés burundais à Kagunga, dans la région de Kigoma, en Tanzanie. /Photo prise le 17 mai 2015/REUTERS/Thomas Mukoya
À Nairobi
C’est au petit matin, en rentrant d’un groupe de prière le 1er janvier 2016, que Juma Ndikumana découvrit le corps de Jean de Dieu Kabura, laissé pour mort par ses assaillants près de la planque où les deux réfugiés burundais se cachaient depuis des mois. Le visage, tailladé par vingt et un coups de couteau, est méconnaissable. Son corps, dont les vêtements ont été arrachés, porte les traces d’un long passage à tabac. Jean de Dieu respire pourtant encore, suffisamment pour donner le nom des meurtriers – cinq personnes vraisemblablement liées à l’ambassade burundaise – avant de décéder à l’hôpital quelques heures plus tard. À près de 1300 km de Bujumbura, dans ce quartier de Nairobi au Kenya où de nombreux opposants politiques espéraient se trouver à l’abri, le long bras du service de renseignement burundais venait de les rattraper.
Des rafles dans les quartiers protestataires
Depuis le début de la crise politique qui accable le Burundi, plus de 250.000 personnes – dont la majorité de l’opposition et de la société civile – se sont réfugiées dans les pays voisins pour fuir la répression des autorités. Dans un rapport paru le 26 août, l’Aprodh, l’organisation de défense des droits de l’homme présidée par l’activiste Pierre-Claver Mbonimpa lui-même victime d’une tentative d’assassinat, décrit avec précision les exactions commises par le Service national de renseignement (SNR). Directement dépendant de la présidence de la République, le SNR est devenu l’instrument de traque des dissidents par le pouvoir, une sorte de terrifiante Police de la pensée orwellienne, à l’affût de tous ceux ayant participé aux manifestations contre le troisième mandat du président Pierre Nkurunziza.
«Après la tentative de coup d’État du général Nyombare en mai 2015, ils ont commencé les rafles dans les quartiers contestataires», raconte Dieudoné, l’un des organisateurs des manifestations, aujourd’hui en exil à Nairobi et s’exprimant sous le couvert d’anonymat. «Nous partions de chez nous le matin à 4 heures pour nous cacher dans la campagne et nous revenions le soir vers 17 heures. Ils arrêtaient les gens dans la journée. J’ai vécu comme ça pendant plusieurs mois, jusqu’à l’attaque des rebelles dans Bujumbura en décembre 2015». Ce jour-là, la police et le SNR exécute des dizaines de personnes. Dieudoné est arrêté mais parvient à sauter du camion qui l’emmène vers l’un des centres de détentions illégaux répertoriés dans le rapport de l’Aprodh. Il rejoint le groupe d’opposants dont Jean de Dieu Kabura faisait partie à Nairobi.
«Une traque des opposants sans merci»
Le cauchemar ne prend pas fin aux frontières. Partout où les réfugiés burundais vont, une ombre semble les poursuivre. Début août, le journaliste burundais Boaz Ntaconayigize était poignardé à Kampala, en Ouganda. Laissé pour mort tout comme Jean de Dieu, Boaz a pu être secouru. Il affirme que ses agresseurs étaient des agents du SNR. Dans les camps de réfugiés en Tanzanie, de nombreux viols, menaces et assassinats ont été signalés par des Burundais dénonçant des «infiltrés».
Près du corps de Jean de Dieu, plusieurs cartes d’identité de Burundais ayant disparu sont retrouvées, mais malgré les preuves, ni la police kényane ni le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), ne prennent de mesures de protection. «Nous sommes allés au HCR pour nous enregistrer. Mon rendez-vous est en mai 2018, imaginez! Je sais qu’il a des gens qui veulent me tuer et je dois attendre deux ans pour un rendez-vous au HCR et faire ma demande d’asile politique», regrette Dieudoné.
Selon les procédures du HCR, les réfugiés burundais une fois enregistrés au Kenya doivent se rendre dans le camp de Kakuma ou Dadaab. Mais là aussi, le SNR aurait les moyens de les retrouver. «Il y a eu des attaques à Kakuma que nous avons documentées. Les espions prennent des photos des réfugiés et les renvoient au SNR qui identifie les opposants. C’est une traque sans merci», explique Tom Oketch, un activiste des droits de l’homme kenyan. «Après la mort de Jean de Dieu, nous avons aidé les Burundais à organiser ses funérailles», poursuit-il. «Mais ils ont reçu des menaces et ont eu peur d’être suivis s’ils se rendaient à l’enterrement. Personne n’est jamais venu pour Jean de Dieu à la morgue. Le corps est toujours là.»
Par Mélanie Gouby – Le Figaro