” La trajectoire que suit ce pays depuis 1982 n’est guère favorable à l’éclosion de l’esprit . Je ne voulais pas être condamné une vie spirituellement misérable et corrompue . La plupart des intellectuels qui aspiraient à mener une certaine vie éthique sont partis. Moi aussi . “
Ce constat , est celui de l’historien Camerounais , Achille Mbembé, qui réside en Afrique du Sud , et pourrait très bien être signé de quatre mains , par la presque quasi-totalité, d’intellectuels Camerounais de la diaspora . Deux ans, en effet , après son accession au pouvoir , Paul Biya qui du fait de son cursus universitaire , avait encore une fois , suscité beaucoup d’espoir chez les intellectuels , du fait de la terrible répression et des brimades en tout genre , dont ils avaient fait l’objet sous son prédécesseur , va très vite décevoir . Les Camerounais , vont constater non sans stupeur , que sous des apparences plutôt angéliques , l’ancien séminariste Paul Biya , à qui l’on donnerait de prime à bord le bon Dieu sans confession , était en réalité , pourvu d’une âme de véritable petit dictateur.
Le moindre ouvrage , traitant des questions politiques de façon cartésienne , était interdit , et son auteur arrêté , et interrogé pendant plusieurs jours , par les agents du CENER , la sinistre police politique . Certains journalistes , ayant cru et cédé à la farce du renouveau démocratique , ont été suspendus et interdits d’antenne . Tous les Camerounais , ont encore en tête , la mésaventure du journaliste Jean-Claude Ottou , dont l’émission fut interrompue en plein direct .
Pour tout professeur , ou chercheur d’université, participer au quelconque colloque d’une ONG , ou d’une institution des Nations-Unies , comme l’OMS , l’UNICEF ou le PNUD , peut valoir de se retrouver incarcéré dans les locaux de la police politique pendant des semaines , voir des mois . Et si par inadvertance , vous faites partie d’un syndicat étudiant , et avez la malchance de ne pas appartenir à l’ethnie Bulu/Bêti , il y a des fortes probabilités, pour que vous soyez suspendu de l’université pendant trois ans , pour subversion …
La seule chose , que le pouvoir tolère et attend des universitaires , se résume à signer les nombreuses motions de soutien à la gloire du chef de l’État , tout comme la seule organisation ou amicale , au sein de laquelle , un intellectuel peut militer , sans courir le moindre risque de se faire embastiller , est le RDPC, le parti-État au pouvoir . La qualité de l’enseignement , se trouve fortement détériorée , du fait de l’intense pression politique, dont il fait l’objet de la part des autorités , dont les enfants évoluent tous dans des écoles et universités étrangères . Les propres enfants du chef de l’État , exception faite de son fils aînée , Franck Emmanuel Biya qui a fait jusqu’au Baccalauréat au moins , ses études secondaires au collège de la retraite à Yaoundé, ont fait leurs études , dans le sélect collège du Léman, situé à Versoix.
Très vite , on a commencé à percevoir chez Paul Biya , poindre comme une sorte de complexe d’infériorité, que l’on aurait légitimement été d’attendre de la part de son prédécesseur , face tous ceux dont il pensait qu’ils pourraient lui porter de l’ombre . Ainsi de William Aurélien Étéki Mboumoua , son patron au ministère de l’éducation nationale . C’était en 1962, et revenant de son séjour estudiantin en France , muni d’une lettre de recommandation , en bonne et due forme de la part du pieds noir , Louis Paul Aujoulat , le tuteur politique commun qu’il avait avec Ahidjo, il exerça comme secrétaire général au ministère de l’éducation nationale , sous la tutelle de William Aurélien Éteki Mboumoua . Ce dernier , qui fut par la suite son ministre des affaires étrangères , sera limogé pour ” faute grave ” , au prétexte fallacieux , qu’il aurait initié des relations diplomatiques avec la Hongrie sans son aval . Pas dupes , les Camerounais n’y crurent mot ! Car , c’était pour le moins invraisemblable , de la part d’un diplomate chevronné , et rompu à ces questions comme Eteki Mboumoua , qui avait antérieurement à l’accession de Paul Biya à la magistrature suprême , occupé à deux reprises , les fonctions de Secrétaire général de l’OUA ( ancêtre de l’UA ) , et de ministre des affaires étrangères .
Plus tard , Georges -Ngango , professeur agrégé en Économie, et un des premiers chantres et théoriciens du régime du renouveau , fera également les frais de cette espèce de purge d’intellectuels , perçus par le dictateur comme lui faisant de l’ombre . Pour ceux qui étaient au Cameroun , lors de l’avénement du renouveau , au plus fort du conflit Ahidjo / Biya , c’est au professeur Georges Ngnango , opposé au maintien d’anciens barons de l’UNC au sein des structures dirigeantes du RDPC , que nous devons cette prose : ” On ne peut pas mettre du vin nouveau dans de vieilles outres , sans le risque de le perdre . ” Eh, bien , passé l’enthousiasme des zélateurs et courtisans , ce brillant agrégé en économie , issu de l’ethnie Malimba , va très vite déchanter . Car , en terme de disgrâce , l’auteur de ” Paul Biya ou l’incarnation de la rigueur “ va boire le calice jusqu’à la lie .
Les deux hommes , s’étaient connus en France , lorsqu’ils y poursuivaient tous les deux , leurs études . Revenu au Cameroun , quelques années après le futur chef de l’État , qui avait dans l’intervalle , entamé une carrière de haut fonctionnaire , d’abord comme on l’a vu , au ministère de l’éducation nationale , et ensuite au cabinet civil de la présidence de la République , Georges Ngango , va pour sa part commencer une carrière d’universitaire . C’est à l’accession , de son ami Paul Biya , qu’il est nommé à la tête d’un grand ministère aux attributions élargies , de l’Éducation nationale . Nul, ne saura jamais avec précision , sinon la paranoïa propre à tous les dictateurs , la raison de la disgrâce du Pr Georges Ngango. Quoiqu’il en soit , quand il est remercié du gouvernement , l’homme est psychologiquement est au plus bas . Mis au courant , de ses travaux et de son expertise en matière d’économie , le secrétaire général des Nations -Unies , le Péruvien Javier Perez de Cuellar , le sollicite pour occuper la représentation du PNUD ( Programme des Nations -Unies pour le développement ) à Nairobi au Kenya . Mis au courant , le président camerounais , que cette promotion ne gêne pourtant en rien , entre dans une colère noire , et ordonne à Jean-Fochivé, le patron de la police politique de l’empêcher de quitter le territoire . Le jour de l’embarcation à Douala , le professeur Georges Ngango , n’en revient pas , lorsque Fochivé lui arrache son passe-port , en lui ordonnant de se mettre à la disposition de la police pour besoins d’enquêtes . Un peu plus tard , rencontrant en marge d’un sommet le secrétaire général des Nations-Unies , à Genève , le président camerounais lui fera l’observation suivante : ” Monsieur le Secrétaire général , mais vous devez être bien en mal , de trouver du personnel qualifié à recruter , pour ainsi tenter de débaucher en permanence , nos plus brillants esprits ! “
Tout se fait , sur le prisme du parti-État le RDPC, qui peut faciliter ou empêcher la promotion des professeurs d’université. Contrairement , à ce qui se faisait sous son prédécesseur , c’est-à-dire , la nomination des recteurs d’université parmi les enseignants les plus méritants , par leurs paires , c’est le président de la République en personne , qui s’en occupe . Et tout se fait , en fonction , soit de l’appartenance au groupe ethnique Bulu/ Bêti, ou l’affiliation au RDPC . L’université, fonctionne en réalité, comme une succursale du RDPC . Ainsi , existe-t-il , une dyarchie , entre certains enseignants et membres du gouvernement , qui exercent concomitamment les fonctions de membre de gouvernement , au titre de leur appartenance au RDPC , et celles de professeur d’université. Ainsi , un enseignant qui tombe en disgrâce du parti-État , perd-t-il sa place d’enseignant , au moment où il est congédié du gouvernement . Non seulement , on ne trouve à la tête de tous les départements de l’université , que des membres du RDPC , mais les autres qui occupent des postes ‘subalternes ” , font constamment l’objet de petites humiliations , et brimades , comme le fait de baisser leurs émoluments , et grades universitaires sans motifs valables . Ainsi , le Cameroun , famine oblige , devient un des rares pays au monde , ou le professeur d’université, préfère travailler au ministère de l’éducation , sans attribution clairement définie , en lieu et place d’enseigner et conduire des travaux de recherches . C’est que Paul Biya , a affamé , clochardisé et n’épargne aucune humiliation , aux professeurs qui refusent de chanter sa gloire.
Par Jean-Pierre Du Pont