Demandez à un Africain francophone ce qu’il pense du Cameroun et, neuf fois sur dix, il fera la même réponse : «C’est un pays très dur.» Sur un continent déjà réputé violent, cet Etat bilingue abritant une minorité anglophone, longtemps surnommé «l’Afrique en miniature» (sahélien au nord, tropical au sud), se distingue par le record de vagues de répressions subies depuis l’indépendance. Ce fut d’ailleurs le seul pays d’Afrique subsaharienne francophone à connaître une véritable guerre d’indépendance, qui a fait, selon les sources, jusqu’à 200 000 morts.
Menée par la France, elle fut d’une violence inouïe (bombardements massifs, villages brûlés, mais aussi viols «punitifs» ou encore têtes coupées, plantées sur des piques à l’entrée des villages supposés rebelles). Une guerre secrète, qui s’est déroulée au même moment que celle d’Algérie et qui sera totalement occultée (1). Quand l’écrivain camerounais Mongo Beti l’évoque dans un ouvrage publié en 1972, Main basse sur le Cameroun, le livre est censuré, retiré des librairies françaises.
Ces évènements tragiques ne seront pas non plus reconnus officiellement au Cameroun, où l’homme ayant fait allégeance à la France, Ahmadou Ahidjo, va prendre le pouvoir en 1960, au moment de l’indépendance, jusqu’en 1982. Depuis, l’inamovible président du pays, son successeur, Paul Biya, n’a jamais hésité à briser dans le sang toute velléité d’alternance. Tout en se conciliant les opposants les moins scrupuleux grâce à la manne des richesses fabuleuses du pays (pétrole, minerais, gaz ou bois précieux), accaparées par les élites au pouvoir.
Feux qui couvent
Malgré cette longue tradition d’arbitraire, la crise actuelle marque une nouvelle étape. Pour la première fois, la répression n’a pas suffi à éteindre les feux qui couvent dans l’Ouest anglophone, où des mouvements séparatistes mènent une guérilla féroce, ni dans le nord du pays, où sévit Boko Haram, secte islamiste venue du Nigeria voisin. Reste le centre et le sud, où une opposition pacifique tente toujours de faire entendre sa voix.
Un an après la répression de la manifestation pacifique du 22 septembre 2020, Amnesty International et Human Rights Watch ont dénoncé le maintien en prison d’au moins 124 partisans du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), le parti de Maurice Kamto et condamné l’impunité des forces de l’ordre, notamment dans l’Ouest anglophone mais aussi dans des cas de tortures d’opposants. Au même moment, un article paru dans la revue Esprit et consacré à l’histoire douloureuse de la crise anglophone évoque en titre «l’Autodestruction du Cameroun». Elle n’a jamais paru aussi proche, alors que le pays se trouve dans une impasse politique totale, sous le règne d’un président octogénaire qui passe plus de temps à Genève que dans son propre pays.
(1) Lire à ce sujet : la Guerre du Cameroun. L’invention de la Françafrique, de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, éd. la Découverte, 2016.
par Maria Malagardis, Libération