Par Olivier Tchouaffe, PhD, Contributeur au CL2P
Il est important de comprendre les régimes de captivité au Cameroun à travers la matrice cachée de la modernité camerounaise. Il ne s’agit pas seulement du traitement réservé par la classe dirigeante camerounaise aux personnes reconnues coupables de crimes, mais de cerner comment le système punitif camerounais fonctionne de manière opérationnelle et considère certains traitements inhumains comme parfaitement justifiés. En effet ce qui est important, c’est ce que les régimes de captivité nous racontent sur l’idéologie et la dynamique du pouvoir derrière un système pénitentiaire et la violence qu’elle répand dans un certain inconscient collectif. D’où vient ce régime de captivité et le rôle qu’il joue auprès des personnes qui croient dur comme fer en lui (du moins en son efficacité). Cela ne concerne pas seulement les captifs en prison, mais aussi le sort réservé aux vies en général sur la scène de la contestation idéologique, et qui nous renseignent suffisamment sur l’idéologie, la gouvernance, la modernité économique, et le contrôle de la population.
Comment la souveraineté politique justifie les pratiques du gouvernement
En premier, la modernité économique et l’économie néolibérale sont gérés par l’État dans les dictatures. Les régimes autoritaires en Chine et à Singapour ont ainsi permis à une sphère économique efficace de prendre forme et de se développer à côté d’un pouvoir politique absolu, comme dans une ruche d’abeilles où chacun est assigné à une tâche précise. Ce qui a démontré que même dans les régimes autoritaires, une sphère économique conséquente peut se développer. Cependant au Cameroun, l’État est au cœur du modernisme dit économique et c’est donc l’État qui définit les «gagnants» et les «perdants» dans la sphère économique, ce qui signifie clairement que nous avons un système où les résultats politiques priment sur les performances économiques. Par conséquent un système où les gens travaillent les uns contre les autres plutôt qu’ensemble.
Cette dialectique perdant / gagnant crée une économie de précarité, d’anxiété, de ressentiment et de rage aveugle. Une rage aveugle qui se rue souvent contre le CL2P comme si c’est le CL2P qui a défini les règles du jeu au Cameroun. Un certain nombre d’érudits comme Michel Foucault, Giorgio Agamben, Achille Mbembe ont écrit à ce sujet sur le fait qu’un système pénitentiaire en régime d’exception – avec ses « mouroirs concentrationnaires » comme Joel Didier Engo identifie les geôles camerounais – est ou sont de facto des espaces politiques où la souveraineté s’exprime sans médiation. Ainsi, c’est le pouvoir souverain qui produit à la fois le corps du prisonnier et le visage de la mort comme Achille Mbembe écrit dans nécropolitique où le pouvoir souverain se concentre dans la décision consistant à dire qui doit vivre et qui devrait mourir. Le pouvoir souverain a en cela des prérogatives spéciales qui l’aident à définir ce qu’est la vie et ce qui est la mort, ce qui est légal et ce qui est violent. Il réinterprète la loi et les notions de citoyenneté à sa guise. Voilà qui explique la notion de «despotisme légal».
Par le despotisme légal, le souverain définit qui est un sujet juridique complet et qui ne l’est pas ou ne devrait plus l’être.
Le prisonnier politique devient ainsi presque logiquement une pièce importante dans la construction de la souveraineté. Ce que Agamben appelle le « homo Sacer », c’est-à-dire des personnes qui ne peuvent pas être tuées directement (souvent pour des convenances juridiques et internationales) mais dont les vies sont néanmoins superflues. Ces captifs du régime en place sont de facto des prisonniers politiques même s’ils n’ont jamais eu l’intention d’être ou de devenir des politiciens. Ils sont politisés par le régime lui-même quand celui-ci transforme grossièrement les prisons en sites d’expérimentation politique et d’exploitation capitaliste. Il est de la sorte évident que le régime de Yaoundé utilise les prisons pour promouvoir les « succès » dans sa lutte dite contre la corruption; même si ces succès ne peuvent objectivement être justifiés, le pays continuant année après année d’être classé par Transparency International parmi les plus corrompus du monde. Il n’empêche le système pénitentiaire est d’abord expérimenté puis exploité politiquement par le régime pour éliminer des adversaires politiques crédibles, potentiels concurrents redoutés, dont les droits de citoyenneté sont brutalement retirés.
Agamben reconnaît cependant qu’au bout de ces systèmes totalitaires, le souverain peut étonnamment se transformer en homo sacer et l’homo sacer devenir le souverain. Il y a une longue liste de prisonniers politiques qui sont devenus des chefs de l’État tels que Nelson Mandela, Robert Mugabe, Vaclav Havel, et c’est pourquoi le CL2P garde la foi que l’arc de l’univers moral est long et lent, mais il se penche d’une manière irréversible vers la Justice
Olivier Tchouaffe, PhD, Contributeur au CL2P
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English version
The CL2P and Regimes of captivity in Cameroon
By Olivier Tchouaffe, PhD, Contributor to the CL2P
To understand regimes of captivity in Cameroon within the hidden matrix of Cameroonian modernity. Hence, not just what the Cameroonian ruling class do to people convicted of crimes, but what this system of punishment is operationalized and justified. What is significant is what regimes of captivity tell us about the ideology and the power dynamics behind the prison system and violence. Where it came from, and the role it played for those who believed in it. Not only about folks in prison but because their cases and lives represented the terrain of an ideological contest that transcended the penal world to make a strong case for governmentality, economic modernity, and control of the population. How political sovereignty justifies government’s practices.
Economic modernity and neoliberal economy but that has to be run by the state.
Authoritarian regimes in China and Singapore has managed to make room for an efficient economic sphere to take shape and evolve like a beehive where ordinary people understand their functions and the rules. In Cameroon, however, the state is central to economic modernism and is the state which defines the “winners” and the “losers” in the economic sphere which means that we have a system where political outcomes trumps economic outcomes. Therefore a system where people work against each other’s rather than together.
This losers/winners dialectic create an economy of precarity, anxiety, resentment and blind rage. A blind rage that is often directed at the CL2P as if the CL2P created the rules of the game. Many scholars such as Michel Foucault, Giorgio Agamben, Achille Mbembe have written about how the prison system or “mouroirs concentrationaires” as Engo Joel Didier calls them, in regime of exception is de facto a political space where sovereignty is expressed without mediation. Thus, it is the sovereign power that produces the body of the prisoner and the face of death as Achille Mbembe claims in Necropolitics where sovereign power is dictate by the decision of who should live and who should die. The sovereign power defines what is life and what is death, what is legal and what is violent, he reinterprets the law and notions of citizenship as he see fits which explains the concept of “legal despotism.”
Through legal despotism, the sovereign defines who is a full legal subject and who is not.
The political prisoner becomes an important piece on the construction of sovereignty. What Agamben calls the “homo Sacer,” people that cannot be directly kill but whose lives are expendable nonetheless. These captives of the regime are de facto political prisoners even if they never intended to be politicians. They are politicized by the regime itself turning prisons into site of political and capitalist exploitation. Hence, the regime of Yaounde uses prisons to propagandize “success” in fighting against corruption; successes that cannot be justified since the country continues to be among the most corrupt in the world according the Transparency International.
Moreover, the prison system is politically exploited by the regime to strip possible credible political adversaries of their citizenship rights. Agamben recognizes, however, that the sovereign can turn into a homo sacer and the homo sacer can become the sovereign. There is long list of political prisoners who became head of state such as Nelson Mandela, Robert Mugabe, Vaclav Havel and that is why the CL2P is keeping the faith that the arc of the moral universe is long but it bends towards justice.
By Olivier Tchouaffe, PhD, Contributor to the CL2P