Le CL2P et pourquoi les dictateurs tiennent-ils des élections?
En Afrique centrale, l’une des sous-régions les plus arriérées du monde, tous ses dictateurs au pouvoir depuis plus de deux siècles ont tout «naturellement» été élus «démocratiquement», disent-ils.
Ainsi Paul Biya, 85 ans et 36 ans au pouvoir, voire 58, puisqu’il a toujours été dans le sérail politique camerounais et est un apparatchik du parti-État (autrefois unique) UNC/RDPC depuis l’indépendance du Cameroun. Cette année M. Biya nous préparait déjà – notamment à travers les purges carcérales infligées à ses concurrents redoutés puis les principaux relais de la Françafrique– à un autre couronnement fantastique sous la forme d’un plébiscite inégalé avec plus de 71% des voix et 90% de taux de participation.
Dès lors toute la question aujourd’hui consiste désormais à savoir mais pourquoi diantre Paul Biya, qui est en fait un président à vie s’encombre à faire des élections? Il est aujourd’hui clair que le régime Biya comprend que la tenue des élections s’accompagne d’avantages qui l’emportent sur les coûts, et ces avantages sont assez bien définis par des spécialistes comme Lee Morgenbesser, à savoir:
1) La collecte d’informations
Même si les élections sont truquées en Afrique centrale, elles permettent d’abord aux dictateurs de recueillir des informations suffisantes sur ceux qui les soutiennent et sur ceux qui ne les soutiennent pas assez, notamment sur leur répartition ou localisation géographique. De plus, les élections permettent aussi aux dictateurs de recueillir des informations sur leurs rivaux potentiels et sur la gestion des élites politiques, par laquelle ceux jugés trop «ambitieux» ou «déloyaux» sont punis, et ceux qui sont jugés «loyaux» connaissent une progression dans leurs statuts et un accroissement de leurs ressources (les fameux avantages mentionnés et martelés au Cameroun lors des nominations aux hautes fonctions de l’État par Paul Biya).
2) La légitimation
Comme pour les élections, les dictateurs prétendent tous être des démocrates, ce qui facilite leur admission dans la communauté internationale qui met l’accent sur la démocratie, les droits de l’homme, et la bonne gouvernance. En tant que tel, la tenue d’élections fournit une légitimité aux régimes autoritaires, qu’ils utilisent pour rejoindre le club de la démocratie. Ainsi, en dépit de son malaise, pour ne pas dire de sa réticence avec le système démocratique naissant (après le discours de François Mitterrand de la baule en 1990), Paul Biya est devenu maître dans l’utilisation (trompeuse) du langage du libéralisme international, afin principalement de solliciter puis avoir accès aux flux réguliers de dollars d’aide occidentale et asiatique, malgré les scandales de détournement de fonds à répétition que traîne son gouvernement.
3) La gestion des élites
Les élections permettent de gérer les élites (présentées dans le jargon de la dictature camerounaise comme des élites dites ressources), de confisquer les élites dont le gouvernement a besoin et de punir les personnes jugées déloyales ou qui sont envoyées à la retraite (plutôt à la «réserve de la république» a-t-on coutume de dire sous la gérontocratie camerounaise). Ainsi, l’élection permet la sélection d’une nouvelle élite, puis la désélection et l’emprisonrnement des élites jugées déloyales par le dictateur, ce qui est un script bien rodé dans la politique camerounaise. À ce sujet le ministre d’état Marafa Hamidou Yaya, a reconnu publiquement que sa chute a commencé lorsqu’il a demandé au président Biya de ne pas changer la constitution pour se constituer président à vie. Le célèbre prisonnier politique camerounais signait sans le savoir son arrêt de mort politique. Car c’est précisément le genre de clarification dont le président a besoin pour faire la différence entre «alliés» et « ennemis ». Dans la même veine, l’hebdomadaire Jeune Afrique alimente actuellement sans nécessairement le vouloir ces intrigues de palais typiquement Camerounaises, en titrant sur les possibles successeurs de l’inamovible président. Le CL2P a une longue liste de toute cette Élite «désélectionnée» ou«disgraciée» par le régime de Paul Biya, puis montre comment et précisément à partir de quand la déchéance de leurs droits civiques a été programmée puis méthodiquement appliquée.
4) La domination néopatrimoniale
La domination néopatrimoniale est l’essence de la politique paternaliste. Ainsi, les élections permettent au dictateur d’entretenir ses réseaux clientélistes de patronage, puis de distribuer des ressources en termes de mécénat, de biens et de services, d’argent public, de nourriture et de bière pour pratiquement acheter des élections, notamment dans un système politique hiérarchique, défini par le commandement et la déférence. Par conséquent, voter pour un parti-État au pouvoir et recevoir des subsides localement a affaibli voire carrément anéanti l’effet «démocratisant» que les élections auraient autrement pu avoir sur les régimes autoritaires comme celui du Cameroun, en rendant plus difficile à la population la possibilité de sanctionner le gouvernement par un vote contre ou défavorable.
Le Comité Pour La Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)
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English version
The CL2P and why do Dictators Hold Elections?
In Central Africa, one of the most political backward sub-region in the world, all of its dictators, in power more than two centuries together, have all been “democratically” elected. Paul Biya, 85 years of age and 36 in power, if not 58, because he has always been an apparatchik of the CNU/RDPC since the independence of the country. Biya is preparing himself for another fantastic coronation with likely more than 90 % of the votes and 90% of voter participation. The question is why does, Paul Biya, who is in fact a president for life bothers with an election is set to win? It is clear that the Biya’s regime understands that holding elections come packaged with benefits that outweigh the cost and these benefits are as defined by scholars such as Lee Morgenbesser:
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Collection of Information
Even though elections are rigged in Central Africa, elections allow dictators to collect information on those who support them and those who do not and their geographical repartition. More, elections allow dictators to collect information on potential rivals and the management of political elites where those deemed too “ambitious” or “disloyal” are punished and those deemed “loyal” received more status and resources.
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Legitimation
As with election, dictators pretend to be democrats which facilitate their admission into the international community which puts a premium on democracy, human rights and good governance. As such, holding elections provide a legitimacy to authoritarian regimes that they use to join the club of democracy. Thus, despite his discomfort with the fledgling democratic system, Paul Biya became a master at employing the language of international liberalism to solicit a steady stream of Western and Asian aid dollars, in spite of rolling scandals over the embezzlement of donor money by his government.
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Management
Elections allow for the management of elites, to coopt the elites that the government needs and to punish those deemed disloyal or are going into retirement. Thus, election allow for the selection and the de-selection of a new elite and jailing elite though to be disloyal is a well-worn script in Cameroonian politics. On this subject, Senior Minister, Marafa Hamidou Yaya is on record admitting that his downfall began when he asked the president not to change the constitution to make himself president for life. This is the kind of clarification that president needs to differentiate between “allies” and “enemies.” In the same vein, the journal Jeune Afrique is currently covering that kind of palace intrigue in Cameroon. The CL2P has a long list of all these elites abusely deselected by the Biya’s regimes and how their rights were trampled.
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Neopatrimonial Dominance
Neopatrimonial dominance is the essence of paternalistic politics. Thus, elections allow the dictator to butter up his clientelist network of patronage, to distribute resources in terms of patronage, goods, and services and down to money, food and beers to buy elections, particularly, in a political system which is hierarchical and defined by command and deference. In practice, consequently, voting for a ruling party and receiving local spending weakened the “democratizing” effect that elections would otherwise have on authoritarian regimes by making it harder for a population to scare the government by voting against it.
The Commitee For The Release of Political Prisoners (CR2P)