Le CL2P et un pays traumatisé
L’intensification de la violence dans les régions anglophones du Cameroun transforme progressivement ce pays en l’un des plus meurtriers au monde. Ces meurtres et exécutions extrajudiciaires entérinés par l’État interviennent après une période de répression et de peur qui représente la rupture la plus grave de l’histoire de la république camerounaise.
Le CL2P a noté ces dernières années que de nombreux Camerounais ont été arrêtés et que d’autres vivent dans la peur permanente de l’Opération Épervier dite de lutte contre la corruption. De nombreuses familles camerounaises ont ainsi été littéralement purgées, perdant non seulement leurs emplois mais aussi leurs passeports (et ceux de leurs conjoints); ces derniers sont considérés comme des menaces à la sécurité nationale et deviennent inemployables à vie. Souvent, ils perdent leur logement (lié à l’emploi à la fonction publique ou au gouvernement) et leurs pensions. Le Cameroun connaît en cela une marque singulière de la violence étatique dirigée contre la société civile. C’est aujourd’hui une société profondément traumatisée.
De plus les Camerounais ordinaires sont confrontés au caprice du pouvoir arbitraire sans aucun recours à quelque chose qui ressemblerait à la primauté du droit. En effet tous les juges savent que toute décision jugée défavorable au pouvoir en place peut mettre fin à leur carrière. L’ampleur de la transformation sociale induite par ces mesures dépasse même les convulsions fondatrices de la république. Apprécier ce qui s’est passé au Cameroun demande une perspective historique, notamment parce que le gouvernement veut réinventer la république à son image et réécrire son histoire.
Paul Biya est une figure de plus en plus solitaire; il y a longtemps, il a perdu de son prestige et de sa réputation internationale. Au Cameroun, il préside un état qui est à bien des égards le reflet de sa propre paranoïa et de son désir de mourir au pouvoir. La peur des «ennemis de l’intérieur» signifie que les échelons les plus élevés de l’État ont été vidés, le laissant gouverner avec sa famille, ses courtisans, et quelques loyalistes opportunistes voulus de confiance issus des autres régions. L’éviction de hauts fonctionnaires compétents du sommet de l’État causée par les purges de Paul Biya soulève des questions sur la capacité de gouvernance dans tous les domaines: de l’éducation au système judiciaire en passant par la sécurité. Maintenant, le président semble réduit à utiliser ses tontons macoutes pour tenter de résoudre des problèmes politiques et économiques, ce qui est à l’évidence stupide.
Il ne faut pas grand-chose pour constater que le régime Biya creuse sa propre tombe tout en ouvrant les portes de l’enfer aux Camerounais ordinaires.
Naturellement, cette situation tragique exerce beaucoup de pression sur les organisations de défense des droits humains, telles que le CL2P, précisément lorsqu’un régime s’enfonce dans la dictature pour s’assurer qu’un vieil homme de plus de 85 ans reste au pouvoir à vie. Parce que ce genre de gérontocratie n’est plus soumis à la responsabilité et à la honte. Il ne semble y avoir aucun coût politique pour ses crimes de sang et la reconnaissance internationale n’a plus d’importance pour elle, comme l’a récemment remarqué l’ambassadeur américain au Cameroun.
Le CL2P, cependant, continue à se battre parce que l’arc de l’univers moral qui peut effectivement être long finira inéluctablement par pencher vers la justice. Ce d’autant que le Cameroun est signataire du statut de Rome portant création de la la Cour pénale internationale de La Haye; et l’idée que les auteurs de la violence au Cameroun vont mourir paisiblement dans leur lit est plutôt idiote. La prison de La Hague est pleine d’individus qui se considéraient avant comme des intouchables.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)
English version
The CL2P and a Traumatized Country
The intensification of violence in the Anglophone region of Cameroon is turning that country as one of the most deadly in the world. Those state-sanctioned murders come after a period of repression and fear that represents the most serious rupture in the history of the Cameroonian republic.
The CL2P has noted in the recent years many Cameroonians been detained, and tens of thousands are waiting for their lives to be upended by a knock on the door, by the so-called Operation Epervier. Many Cameroonian families have been purged, losing not only their jobs but their passports (and those of their spouses); they are branded national security threats and become unemployable. Often, they lose their housing (tied to government employment) and their pensions. Cameroon is now experiencing more than its share of state violence directed at civil society.
Today it is a deeply traumatized society. Ordinary Cameroonians today confront the capriciousness of arbitrary power with no recourse to anything that resembles the rule of law. All judges are aware that any decision deemed adverse to the government may end their careers. The scale of the social transformation being wrought by these measures exceeds even the founding convulsions of the republic. To appreciate what has happened in Cameroon requires historical perspective, not least because the government is bent on reinventing the republic in its image, and rewriting its history.
Paul Biya is an increasingly lonely figure; the shine long ago came off his international reputation. At home he presides over a state that is in many ways a reflection of his own paranoia and desire to die in power. Fear of “internal enemies” means the highest echelons of state have been emptied out, leaving him to rule with his family and a few trusted loyalists. The hollowing out of the state caused by Paul Biya’s purges raises questions about governance capacity in everything from education to the judicial system to security. Now, the president seems reduced to use his goons in an attempt to solve political and economic problems which seems foolish.
It does not take much to claim that the regime is digging its own grave while opening the gates of hell on ordinary Cameroonians.
Naturally, this tragic state of affairs put a lot of pressure on human right organizations, such as the CL2P, when a regime decides to go rogue just to ensure that an old man stay in power forever. This kind of gerontocracy is no longer subjected to accountability and shame. There seems to be no political cost for its crime and international recognition no longer matters as the American ambassador to Cameroon just noticed recently. The CL2P, however, continues to fight understanding that the arc of the moral universe might be long but it bents towards justice.
More, the country is a signatory of the international tribunal of la Hague and the idea that the perpetrators of violence in Cameroon will die peacefully in their beds is rather foolish. La Hague prison is full of individuals who previously thought of themselves as untouchables.
The Commitee For The Release of Political Prisoners (CL2P)