Le CL2P, le transfert démocratique du pouvoir et l’émergence des milliardaires en Afrique
Il existe une littérature abondante sur les institutions africaines en sciences politiques conventionnelles qui explique que la plupart des pays africains n’ont pas réussi à se développer, malgré plus d’une décennie de réformes économiques et politiques liées à de nouvelles aides, en partie à cause des systèmes politiques «néo-patrimoniaux» informels et durables avec un degré aigu de désordre et de chaos. Nous ferions ainsi face à un espace où les institutions politiques léguées par les puissances impériales sont dans l’ensemble restées inchangées, et où le maître colonial a été simplement remplacé par le mythe du “Big man,” « L’homme fort » – qui accumule le pouvoir pour obtenir la richesse, et la richesse pour obtenir le pouvoir, par conséquent, la naturalisation de la politique du gagnant prend tout. Ce type d’interprétation ne tient pas suffisamment compte de la manière dont les institutions formelles et informelles interagissent de plus en plus, puis de leur impact réel et non négligeable sur le terrain, avec des avancées démocratiques indéniables et de haute qualité.
En effet le travail des organisations de défense des droits de l’homme, telles que le CL2P, remet en question l’argument récurrent selon lequel les États africains manquent d’institutions politiques efficaces, car elles auraient durablement été minées par le néo-patrimonialisme et le clientélisme. L’idée que les institutions africaines et la vie politique en Afrique sont façonnées principalement par les coutumes sociales, les réseaux personnels, les liens clientélistes et le tribalisme, et non par des règles formelles devient ridicule. Le CL2P a fait beaucoup de travail pour examiner les institutions formelles telles que les partis politiques, la justice, l’armée et les systèmes financiers pour montrer et pouvoir affirmer que l’impact de ces institutions sur les développements sociopolitiques et économiques observés sur le continent est important.
Le CL2P reconnaît et regrette que la science politique spécialisée sur l’Afrique se concentre hélas trop souvent sur des structures informelles, plutôt que institutionnelles. Les institutions formelles sont pourtant aussi importantes parce que la façon dont les gouvernements africains dirigent la justice et les politiques économiques façonne et influe fortement sur les résultats démocratiques. Ainsi, dans un système politique où les systèmes financiers sont décentralisés, de nombreuses personnes peuvent avoir accès à des formes de financements indépendantes qui concourent au développement de secteurs privés autonomes et compétitifs, ce qui a un impact considérable sur les avancées démocratiques observées quelques fois. En effet, le secteur privé peut générer de l’argent pour financer des structures politiques d’opposition et des organisations de la société civile, qui à leur tour élargissent les capacités de mobilisation politique et équilibrent le jeu politique sur le terrain avec notamment l’introduction de nouvelles technologies électorales et d’acteurs politiques crédibles qui renforcent la confiance envers la politique.
Mais il est aussi vrai que les développements politiques et institutionnels varient à travers le continent et que les états africains ne devraient pas être traités comme s’ils étaient identiques et homogènes. Car les dictateurs, comme Paul Biya, ne sont pas aussi longtemps au pouvoir à cause uniquement des réseaux personnels et du tribalisme; mais également de sa capacité indéniable à utiliser voire noyauter les institutions camerounaises afin de verrouiller complètement l’ensemble du système politique. Commençant par son parti-État RDPC où les membres influents et les plus crédibles de ce parti ont été systématiquement accusés de corruption pour les empêcher d’envisager et organiser sa retraite politique. En particulier, Marafa Hamidou Yaya qui a explicitement demandé au président de ne pas changer la constitution pour devenir un président à vie.
En Afrique, les partis politiques divisés et permettant un certain pluralisme interne ont toujours conduit à des changements de régime tels que en Zambie sous Chiluba et le récent cas du Zimbabwe où Robert Mugabe a tenté de renverser Emmerson Mnangagwa, ou encore en Afrique du Sud où Jacob Zuma a été démis de ses fonctions par Cyril Ramaphosa. Il est aujourd’hui incontestable que Marafa Hamidou Yaya a été emprisonné pour empêcher le changement pacifique de régime au Cameroun, étant donné que les élections les plus justes se sont souvent déroulées sur le continent lorsque le président sortant n’est pas candidat à sa propre réélection. Aussi, en utilisant le pouvoir judiciaire pour écarter du champ de la bataille politique des personnes redoutées qu’un régime autocratique considère comme dangereux; en plus d’une économie politique qui empêche la constitution d’un secteur privé fort et indépendant…il devient évident que la répression politique va de pair avec l’exclusion économique.
Le milliardaire soudanais Mohammed Ibrahim l’a parfaitement compris et a su notamment établir la corrélation entre la démocratie et l’émergence des milliardaires, c’est-à-dire des fortunes industrielles capables d’être des locomotives pour le développement des pays africains.
Mo Ibrahim, qui a fait fortune dans le secteur de la téléphonie mobile ou cellulaire, est connu pour offrir un prix de 5 millions de dollars aux présidents des pays d’Afrique subsaharienne qui, en quittant leur fonction, ont démontré le plus grand engagement pour le respect de la démocratie (c’est-à-dire de la transition ou l’alternance pacifique). Des pays comme le Ghana, le Nigeria et le Bénin ont commencé à faire l’expérience d’un transfert pacifique de pouvoir lorsqu’une institution informelle indépendante dirigée par des milliardaires et des femmes entrepreneures ont commencé à utiliser leurs richesses pour faire pression sur les autocrates afin qu’ils quittent le pouvoir.
Dans des pays démocratiques tels que le Ghana, le Bénin, le Sénégal, le Botswana, la Tanzanie, le Nigeria et la Zambie, des institutions informelles ont ainsi contribué à façonner puis à renforcer les institutions formelles. Ces institutions formelles restent néanmoins importantes et il est de plus en plus impossible de comprendre l’Afrique sans prendre en considération les rôles joués par ces institutions et leur interaction avec des institutions informelles, tout aussi structurées et fortes.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)
English version
The CL2P, Transfer of Power and the rise of Billionaires in Africa
There is a big literature on African institutions in conventional political science that most African countries failed to develop, despite more than a decade of economic and political reforms tied to new aid infusions Because the continent’s informal but durable and culturally rooted « neopatrimonial » political
The work of human right organizations, such as the CL2P, challenge the argument that African states lack effective political institutions as these have been undermined by neo-patrimonialism and clientelism. The idea that African institutions and political life in Africa are shaped primarily by social customs, personal networks, clientelist networks and tribalism and not by formal rules is ludicrous. The CL2P has done a lot of work to examine formal institutions such as political parties, the judiciary, the military and the financial systems to show the impact of these institutions on socio-political and economic developments in the continent.
The CL2P recognizes that many people focusing in Africa always focuses on informal rather that institutional structures. Formal institutions matter because the ways in which African governments run the judiciary and economic policies shape democratic outcomes. Thus, in a political system where financial systems are decentralized, many people can get access to independent forms of financing that lead to the development of an independent private sectors which has a tremendous knock on effects on democratic outcomes. This is because the private sector can generate the money to finance strong oppositional political structures that provide checks and balances by providing capacity for successful political mobilization and level political playing field with the introduction of new electoral technology and credible political actors that enhance political trust.
It is true that political and institutional developments vary across the continent and African states should not be treated as if they are the same. However, dictators, such as Paul Biya, are not in power just because of personal networks and tribalism but his capacity to use Cameroonian institutions to lock up the political system. Beginning with the CPDM where influential members of that party where charged with corruption to prevent them from mounting a legal challenge on the president, particularly, Marafa Hamidou Yaya who is on record of asking the president not to change the constitution to make himself president for life. In Africa, divided political parties always led to regime change such as Zambia under Chiluba and the recent case of Zimbabwe where Robert Mugabe attempted to oust Emmerson Mnangagwa. Thus, Marafa was imprisoned to prevent peaceful regime change to take place in Cameroon given the knowledge that the fairest election occurred in the continent when the presidential incumbent is not standing for election.
Hence, using the judiciary to clear out the political battlefield of people the regime considers to be dangerous. More, a political economy that prevent the constitution of a strong and independent economic sectors.
It is true that political repression goes hand in hand with economic exclusion.
Thus, as the Sudanese billionaire Mohammed Ibrahim knows there is a correlation between democracy and the rise of billionaires. Mo Ibrahim who made his money in the cellphone business, is known to offer $5 million prize for the sub-Saharan African president who on leaving office has demonstrated the greatest commitment to democracy. Countries such as Ghana, Nigeria and Benin have begun to experience peaceful transfer of power when an independent informal institutions led by billionaires and market women begin to uses their wealth to pressure autocrats to leave power.
In democratic countries such as Ghana, Benin, Senegal, Botswana, Tanzania, Nigeria, Zambia, informal institutions have helped to shape and strengthen formal institutions. Formal institutions do matter and that it is impossible to understand Africa without taking into consideration the roles played by these institutions.
The Commitee For The Release of Political Prisoners (CR2P)