M. Biya a parlé pour la 34ème fois à la veille d’une année nouvelle. C’est une double peine que de l’écouter et de devoir commenter des vœux aussi vaseux que ceux du 31 décembre dernier.
La seule inflexion qu’on a pu observer par rapport aux vœux précédents est la rupture, manifestement virtuelle, de l’animosité à l’endroit de ses adversaires politiques. Pas un mot désobligeant à leur encontre. M. Biya n’a pas présenté ses vœux aux camerounais mais il s’est parlé à lui-même pour essayer de justifier une politique économique et sociale désastreuse.
On a vu un Président pris en étau entre le désespoir et l’aveu d’échec sur les plans économique et social. On l’a vu être taraudé par l’anxiété au point de s’abstenir pour la première fois de parler de la politique. Il n’a ni abordé son avenir politique qu’il sait de toute évidence naturellement et physiologiquement derrière lui, ni évoqué le recensement général de la population annoncé alors que tout le monde s’accorde à dire que les chiffres actuels sont faux et qu’il ne peut avoir d’analyse et de prospective sérieuse sur les plans économique, social et politique sans une démographie fiable et sincère.
Il a évoqué à juste titre et sans surprise la vaillance de nos soldats qui combattent efficacement avec l’appui des comités de vigilance la secte barbare Boko Haram qui nous a imposé une sale guerre. Sans malheureusement dire le moindre mot sur ce qu’il pourrait, courant 2016, aller les réconforter sur place ou présider dorénavant les cérémonies d’hommage à titre posthume de la Nation pour les soldats qui tomberont au front.
Pour le reste, rien ne montre concrètement dans son adresse à la Nation qu’il ait pris la mesure de la situation du Cameroun ou qu’il soit déterminé à revoir en profondeur les maux qui minent le pays. Il est resté constant dans sa marque de fabrique: la propagande sans annonce concrète à même de déclencher une énergie nouvelle et positive dans le pays.
Il a annoncé la baisse du prix de carburant à la pompe dès le 1er janvier 2016. Sur la forme, La CSPH aurait dû prendre cette décision depuis mars 2015, comme l’avait exigé le Groupe parlementaire du SDF ou encore le gouvernement aurait dû l’intégrer en novembre 2015 lors de l’élaboration de la loi des finances 2016, comme cela s’est fait dans tous les pays qui ont une culture de respect des institutions. Le fait que cette baisse décidée unilatéralement intervient moins d’un mois après l’adoption de la loi des finances de 2016 est la preuve que M. Biya a définitivement sombré dans une dérive monarchique dans sa conception médiévale du pouvoir. Sans doute était-il convaincu que sans cette mesurette, son discours aurait été d’une vacuité sidérale. Sur le fond, cette baisse justifiée qui aurait dû intervenir depuis mars 2015 quand le cours du baril a connu une forte chute de 60% au niveau mondial, ne représente rien, comparée aux dernières hausses successives. Elle met plutôt en évidence la propension de M. Biya à provoquer les camerounais.
Comment comprendre qu’après avoir cumulativement augmenté le carburant de 100 FCFA, il le baisse de seulement 20 FCFA, Le niveau de cette baisse ne représente que 3% du prix à la pompe qui passera de 650FCFA à 630 FCFA. Quand on se rend compte que le prix du kilogramme de riz va augmenter d’au moins 150 FCFA en 2016 du fait de l’application du Tarif extérieur commun de 5% sur cette denrée, on se plie à l’évidence que la vie sera plus chère et plus rude en 2016 pour le consommateur camerounais qui va continuer de trinquer. C’est un mépris à l’endroit du peuple à partir du moment où l’essence va toujours coûter plus chère au Cameroun que dans les pays tels que la Sierra Leone, l’Afghanistan, la Zambie, le Liberia, l’Afrique du Sud, le Tchad, la Syrie ou encore le Kenya et le Ghana. Elle continuera également de coûter plus chère qu’aux États-Unis et en France qui achètent une partie de leur pétrole au Cameroun et dont les citoyens ont un niveau de vie très largement supérieur à celui du camerounais.
Cette mesurette est un coup d’épée dans l’océan de misère dans lequel baignent nos compatriotes, parce que stérile.
Au niveau de l’emploi, il a désespérément tenté de faire un exercice de chiffrage cosmétique sur fond d’autosatisfaction. Il a mentionné le nombre d’emplois créés tout en évitant soigneusement de relever le nombre d’emplois détruits durant la même période, les secteurs d’activités concernés ainsi que le type et la nature de ces emplois pour nous édifier sur ce qu’il s’agit d’emplois décents ou indécents, puisque le taux de sous-emploi a stagné à 75% durant cette période. Il n’a pas décliné les taux de chômage successifs durant ces périodes pour qu’on puisse savoir s’il y a eu progression ou régression de l’emploi, ce qui est la preuve qu’il y a certainement eu régression de l’emploi.
M. Biya a soigneusement évité de parler du taux de pauvreté qui caracole à 40% de la population, ce qui signifie que plus de 8 millions de camerounais vivent avec moins de 500 FCFA par jour. Il nous a tout de même rejoints en faisant état de ce qu’il est conscient que la croissance affichée ne suffit pas à transformer le quotidien des camerounais. Cette inflexion dans le comportement qu’il convient de relever a vite été ternie par l’énumération des lacunes énormes qui montrent bien que son régime ne changera pas de logiciel qui se résume en une absence de volonté politique.
On ne saurait prescrire au gouvernement de travailler avec ferveur et obligation de résultat quand l’instance hiérarchique d’évaluation ministérielle qu’est le Conseil des ministres est convoquée à peine une fois par an?
On ne saurait améliorer le climat des affaires quand on est vice champion d’Afrique de la corruption, les salariés mal payés, le SMIG à 28.200 FCFA par mois et surtout quand un communiqué radio-presse d’un ministre des sports qui n’est qu’une simple déclaration d’opinion peut botter en touche une décision de justice?
On ne saurait lutter contre la corruption quand on refuse obstinément de mettre en application l’article 66 de la Constitution de janvier 1996 sur la déclaration des biens?
On ne saurait combattre la corruption quand on refuse de mettre sur pied une loi sur l’enrichissement illicite?
On ne saurait améliorer le climat des affaires avec un Président de la République qui n’a jamais daigné organiser des rencontres solennelles avec le patronat ou avec les syndicats.
On ne saurait relancer et densifier les exploitations agricoles avec une législation foncière obsolète qui ne se repose pas sur le recensement effectif et fiable des terres, leur immatriculation et qui ne garantit pas leur sécurisation face aux prédateurs fonciers.
On ne saurait relancer les exploitations agricoles sans faciliter l’accès au crédit rural qui permettra aux exploitants agricoles de généraliser la motorisation, la mécanisation et de vulgariser les nouvelles semences et les engrais.
On ne saurait relancer l’agriculture en violant de façon récurrente les accords de Maputo de 2004 dont le Cameroun est signataire et qui prescrit aux Etats-parties d’allouer au minimum 10% du budget global au secteur agricole.
Pour finir, on voit mal comment l’inversion de la situation exaspérante des camerounais pourrait être atteinte durant le reste du bail de M. Biya à la tête de l’Etat, puisqu’il va continuer ce qui n’a pas marché en 33 ans de règne. Les réformes politiques nécessaires pour parvenir à ce résultat restent à faire. Une fois encore elles n’ont pas été annoncées le 31 décembre dernier. Et c’est en cela qu’on a envie de dire qu’il ne vit pas dans le même pays que les camerounais.
Il n’est plus crédible. À deux (02) ans de la présidentielle, il est à bout de souffle, Ses déclarations sont devenus indigestes.
Le ras-le-bol monte légitimement dans notre pays. Nous nous acheminons vers une impasse. En cherchant à faire le forcing à la tête de l’État et en refusant obstinément que soit mis sur pied le Conseil constitutionnel pourtant inscrit depuis plus de 19 ans dans le Constitution et qui est extrêmement important dans les mécanismes de dévolution du pouvoir politique, M. Biya souhaite que cette impasse dégénère en chaos pour assouvir ses desseins inavoués. Et c’est en cela qu’il sera le principal comptable de la désintégration de notre unité nationale, de son vivant ou à titre posthume.