Dans le despotisme légal, du point de vue de l’accusé, les faits et les arguments importent peu parce que le doute ne profite jamais à l’accusé qui n’est pas autorisé à bénéficier d’une quelconque défense. Ainsi avec tous les prisonniers politiques accusés opportunément de corruption, le régime de Yaoundé manipule en permanence les chiffres et les statistiques. Mais personne ne peut et ne doit les contester. Ces chiffres sont en effet brandis comme des faits objectifs par une propagande massive et Ad Nauseum et une justice aux ordres pour justifier l’incarcération massive des hauts fonctionnaires qui sont en réalité considérés comme des «opposants politiques».
Dans ce système autoritaire, le chiffre fait la loi.
L’incarcération massive de la plupart des fonctionnaires éminents au Cameroun est liée à la «comptabilité créative» parfaitement illustrée et exécutée dans l’affaire dite Albatros, du nom de cet avion que le président Biya avait tenté d’acquérir «en toute discrétion» en contournant les avis défavorables du Fonds monétaire international. C’était de fait une de ses nombreuses privatisations des finances publiques camerounaises, après pourtant qu’il ait claironné pendant des années que « le Cameroun n’ira pas au FMI». Cette perversion de la politique économique et financière s’est notamment accompagnée par une vraie subversion de la Justice, parce que l’acquisition illégale de l’Albatros avait fait remonté à la surface les propres indélicatesses du chef de l’État avec la fortune publique et les dysfonctionnements de son mode de gouvernance. Alors il n’a pas trouvé mieux pour se défausser de sa responsabilité que de mettre tout cela sous le compte d’un complot ourdi contre lui par certains de ses plus proches collaborateurs.
Mais imaginons un instant que l’Albatros n’ait pas fait surgir tous ces manquements graves et soit donc toujours entrain de voler au service exclusif du couple présidentiel du Cameroun. Rien n’indique que le premier ministre Ephraïm Inoni et les autres dignitaires du régime tels que Marafa Hamidou Yaya, Jean-Marie Atangana Mebara ou Yves-Michel Fotso ( la liste n’est en aucune manière exhaustive), n’auraient eux aussi pas été tenté d’embastiller leurs geôliers d’aujourd’hui, même si nous leur reconnaissons à tous la qualité de prisonniers politiques, à l’instar de tant d’autres institutions internationales.
Tout cela pour dire que l’incarcération massive et à grande échelle de dignitaires d’un régime politique doit nous interpeller d’abord dans nos valeurs puis notre propre relation avec la vérité ou les faits objectifs, la comptabilité et l’idéologie, indépendamment de l’idée que la comptabilité et la statistique sont basées sur les mathématiques et la science exacte, qui leur garantit tout leur le caractère objectif. Mais la comptabilité et la statistique peuvent aussi devenir idéologiques. C’est ce que nous démontre la «comptabilité créative», quand aux États-Unis elle profite largement à Wall Street, et que ailleurs dans des pays comme le Cameroun elle devient uniquement instrument politique, fait de manipulation systémique des chiffres, dont ceux du recensement jamais publiés sont la parfaite illustration. Personne ne sait par exemple combien de Camerounais devraient réellement figurer sur les listes électorales, dans cette stratégie délibérée du régime en place consistant à marginaliser démographiquement donc politiquement au maximum les populations et les territoires jugés peu dociles, cette diaspora considéré comme dérisoire par son nombre et insignifiante dans sa contribution au développement du Cameroun.
Dans ce contexte la comptabilité et la statistique ont d’abord des effets normatifs. Les nombres (souvent fantaisistes) sont prioritairement avancés pour justifier des lois iniques, auxquelles le régime en place confère une valeur quasi mathématique et physique. Nous découvrons donc que les chiffres peuvent avoir un pouvoir symbolique et dogmatique, et que les gens ordinaires peuvent avoir tendance sous la propagande politique à croire en ces chiffres comme des actes de foi. On aboutit à un système politique et juridique fondé sur la foi. Pourtant, même dans nos sociétés rituelles traditionnelles les lois ne sont pas imposées de l’extérieur, elles obéissent à une certaine discipline des normes, des comportements, des attitudes et des devoirs réciproques appropriés. Le rituel n’est ni naturel ni artificiel parce que les rites évoluent au fil des temps, en s’appuyant sur un système de stabilité et de prévisibilité pour garder le sens et cultiver la notion de devoir, de la loyauté, et de sacrifice.
Dans le despotisme légal ou juridique à la camerounaise, le droit est ce que la structure du pouvoir dit qu’il est. Les lois sont imposées de haut en bas.
Il est important de changer ce discours totalitaire basé sur le nombre, dont le seul but est l’élimination par l’humiliation des grands et respectables commis de l’État, que la dictature en place perçoit comme ses opposants politiques (internes). Car humilier ces professionnels compétents peut rassurer un peuple affamé en le divertissant avec un beau cirque politico-judiciaire dont le ressort est uniquement la politique du ressentiment, des rivalités villageoises, des coups bas. Mais cela ne participe pas à la construction d’une justice sociale, d’une classe politique stable, et encore moins d’une bonne gouvernance.
Olivier Tchouaffe PhD, Contributeur du CL2P
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English version: Legal Despotism and the Ideology of Numbers
By Olivier Tchouaffe, PhD, C2LP Contributor
In legal despotism, facts and arguments matter little from the perspective of the accused who is never allowed to mount a proper defense. However, as with all the political prisoners charged with corruption, the regime consistently manipulates numbers nobody is allowed to challenge and are promoted to stand as facts and brandished through Ad Nauseum massive propaganda to justify massive incarceration of high ranking officials who are, whether they approve or it or not, perceived as “political opponents.”
In this “numbers make law ideology,” the massive incarceration of most prominent officials in Cameroon are tied to the creative accounting linked the “Albatross,” a plane that the president attempted to acquire against the advice of the International Monetary Fund which, in fact, has privatized Cameroonian’ finances, after, the president’s repeated claims that “Cameroon was not ready for the IMF”. This subversion of economic policy translated into legal subversion after the illegal acquisition of the Albatross was found out to be beset by many problems which the president interpreted as politically motivated against him. Had the Albatross been flying, it is very unlikely that the like of prime minister Ephraim Inoni and technocrats such as Marafa Hamidou Yaya, Jean-Marie Atangana Mebara and Yves-Michel Fotso, and the list is in no way exhaustive, would not have been sitting in prison without the opportunity to mount proper legal challenges against their jailers and even though they are recognized as political prisoners by many international legal institutions.
This massive incarceration, consequently, brings to the forth important questions regarding values and our relationship with facts, accounting and ideology, notwithstanding, the idea that accounting and statistics are based on mathematics and science to reinforce notions of objectivity. Accounting and statistic are ideological and that explain the term of “creative accounting,” and how, in the United States, accounting seems to benefit widely Wall Street and how in other countries such as Cameroon, the politics of numbers are so politicized to the point that even census numbers are not revealed, nobody really know for sure how many Cameroonians are supposed to be on the electoral rolls and the Cameroonian diaspora is marginalized and rendered superfluous.
Accounting and statistic have normative effects and numbers are used to justify laws as mathematical and physical laws. Numbers have symbolic and dogmatic power and ordinary people believe in these numbers as acts of faith. Hence, a legal system based on faith. In ritualistic traditional societies, laws are not imposed from the outside but through the disciplining of appropriate norms, behaviors, attitudes and reciprocal duties. Ritualism is neither natural nor artificial because rites evolve overtimes but rely on a system of stability and predictability to keep making sense and cultivate a sense of duty, loyalty and sacrifice.
In legal despotism, law is whatever the power structure says it is. Laws are imposed from top-down.
It is consequently important to change that number-based discourse whose only purpose is to humiliate professionals perceived as political opponents. Humiliating the professional class might make for good political circus and a politic of resentment but it does not make for real social justice, sustainable and strong political community and public good.
Olivier Tchouaffe, PhD, C2LP Contributor