Robert Mugabe est sorti de sa retraite forcée pour se plaindre qu’il a fait l’objet d’un coup d’État et a laissé entendre qu’il devait être rétabli au pouvoir depuis qu’il a été illégalement démis de ses fonctions. S’éterniser au pouvoir, c’est la définition classique du leader africain. Cette obsession du pouvoir est portée par une vision du monde tragique basée sur l’immortalité obscène et une croyance apocalyptique et enracinée selon laquelle seul le leader immortel est à même d’arrêter la fin du monde. L’idée que la politique est un domaine distinctif réservé aux petits dieux comme le «Nnom guii» (le Chef des chefs) au Cameroun et non aux simples mortels. En ce sens, il y a un fondement mystique à la politique, qui met l’accent sur l’ordre et la stabilité au détriment de la démocratie et la justice sociale. Dans cette optique, la politique est par nature anti-utopique parce que l’utopie est futile, elle-même vaincue et dangereuse. Ceci explique pourquoi les prisonniers politiques comme Marafa Hamidou Yaya sont enfermés parce que demander au président de prendre sa retraite est une invitation au chaos, au motif bien entendu que les Camerounais ordinaires seraient des enfants et donc pas prêts pour la démocratie.
Ainsi, dans la sous-région de l’Afrique centrale, les dirigeants du Cameroun, de la Guinée équatoriale, du Congo, et du Gabon ont réuni au moins deux siècles au pouvoir, posant la question à quoi ressemblerait donc un bon leader dans la région?
1-Longévité
La longévité n’est pas un signe de bon leadership. Un bon leader gouverne avec le consentement du peuple. Un bon leader s’assure que le gouvernement et la répartition des pouvoirs fonctionnent correctement. De plus, même si le leader est élu par la majorité, le bon leader est aussi le défenseur de la minorité car la règle de la majorité ne signifie pas la tyrannie de la majorité sur la minorité. Ainsi, le bon leader est un homme de délibération, de décision, de dialogue et de consensus. En tant que tel, une sur-concentration du pouvoir est susceptible de donner lieu à un arbitraire de la part du leader au détriment de la démocratie parce que le pouvoir absolu corrompt absolument tout.
2- Personnalisation du pouvoir
Un bon leader doit résister à la personnalisation du pouvoir. La personnalisation du pouvoir mène généralement à de mauvaises décisions et rend les erreurs calamiteuses plus probables. En effet, il n’y a aucun autre dommage comme les dommages qu’un président peut causer. Ainsi, comme Paul Biya qui a passé le plus clair de son temps au pouvoir à essayer de mettre en prison des gens qu’il considère comme un danger pour son régime par le biais de son despotisme légal. Ceci étant, le despotisme légal ici va bien au-delà de l’emprisonnement des opposants (voulus de l’intérieur du régime en place). Il est symptomatique de la tactique de Biya de verrouiller tout le système politique qui a des ramifications dans l’économie, la santé, l’éducation, et beaucoup d’autres domaines avec de grands dommages sur la vie civique, sociale, et économique du pays …
Biya est également connu pour dépenser près de 90 milliards de FCFA en voyages et vacances personnels, ce qui montre l’hypocrisie derrière son opération Épervier, en particulier, et souligne combien ces abus des droits de l’homme et la corruption peuvent difficilement être défaits dans ce contexte camerounais.
3- Les Africains veulent-ils de bon leaders?
Il y a une idée dans la science politique africaine conventionnelle que les Africains ordinaires ont été beaucoup plus tolérants du pouvoir centralisé que les démocraties occidentales. En effet, de nombreux pays africains, qui sont pour la plupart des créations coloniales, n’ont jamais eu de démocratie. Ils ont toujours eu des chefferies tribales et des leaders comme Paul Biya sont juste les derniers dans cette lignée. D’où une culture politique enracinée dans la notion de soumission à l’autorité supérieure. Aussi, sommes-nous en droit de nous demander si les Camerounais veulent réellement la démocratie par exemple? Difficile à dire, mais la démocratie est incluse comme un principe dans la constitution du pays bien que, bien sûr, elle n’existe pas dans la réalité. Mais ils veulent certainement plus de libertés.
Grâce à l’expérience du CL2P, obtenue en parlant notamment avec les Camerounais ordinaires au cours des dernières décennies, nous avons remarqué qu’il y a beaucoup de cynisme et de résignation au sujet du régime de Biya. En effet les gens se sentent impuissants et ne peuvent en fait rien faire pour changer le statu quo, ne faisant que commenter ou se plaindre sur les réseaux sociaux. Et beaucoup commencent à se sentir blasés, ce qui explique l’augmentation significative des conversions aux églises réveillées et pentecôtistes.
4- Contre-démocratie et bon leadership
Les organisations de défense des droits humains telles que le CL2P vont au-delà des élections pour faire émerger une bonne pédagogie de la citoyenneté et d’autres modes de participation citoyenne. Ainsi, éduquer le public sur des questions politiques telles que le despotisme légal, et informer le public sur les notions de légalité et de légitimité, puis comment la crise politique est souvent le produit de l’ignorance ou de la désinformation.
5- Rien ne dure éternellement.
Le fait que rien ne dure éternellement est une donnée que de nombreux dirigeants africains ne parviennent pas à saisir. À un certain niveau, tous ces dictateurs sont guidés par l’illusion de l’immortalité. Les meilleurs leaders, cependant, réalisent qu’ils sont seulement aussi bons que leur performance et que l’arrogance est une faille fatale. Cela vous rend insouciant, égocentrique, non-coopératif et enclin à l’action impulsive – qui à son tour peut vous perdre des alliés, créer plus des ennemis, et ouvrir la voie à votre chute. Pourtant, vous devez garder à l’esprit que vous n’êtes qu’un humain et votre cycle biologique vous rattrapera inéluctablement, que cela vous plaise ou pas.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P)
English version
African Leadership and Tragic Worldview
Robert Mugable came out of his forced retirement to complain that he was the subject of a coup d’état and implied that he must be restored into power since he was illegally removed from office. Clinging to power is what African president do. This obsession with power is driven by a tragic worldview based on obscene immortality and an apocalyptic ingrained belief that only the immortal leader is the one to stop the end of the world. The idea that politics is a distinctive realm reserved to little gods like the “Nnom guii” in Cameroon and not mere mortals. In this sense, there is a mystical grounding to politics, which emphasizes order and stability over democracy and social justice. In this optic, politics are by nature anti-utopian because utopia is futile, self-defeating and dangerous. This explains why political prisoners such as Marafa Hamidou Yaya are locked up because asking the president to retire is inviting chaos because ordinary Cameroonians are children and therefore not ready for democracy.
In the central African region, leaders of Cameroon, Equatorial Guinea, Congo and Gabon combined at least two centuries in office bringing the question what would a good leader look like in the area?
1-Longevity
Longevity is not a sign of good leadership. A good leader rules with the consent of the people. A good leader makes sure the government and the checks and balances on his power function properly. More, even though the leader is elected by the majority, the good leader is also the defender of minority because the rule of the majority does not mean the tyranny of the majority. Thus, the good leader is a man of deliberation, decision-making and consensus. As such, over-concentration of power is liable to give rise to arbitrary rule by individuals at the expense of democracy because absolute power corrupts absolutely.
2- Personalization of power
A good leader must resist the personalization of power. Personalization of power usually leads to bad policymaking and makes calamitous mistakes more likely. Indeed, there is no damage like the damage a president can do. Thus, as with Paul Biya who spent most of his time in power trying to jail people that he considers a danger to his regime through legal despotism. Legal despotism goes beyond jailing opponents. It is symptomatic of Biya’s tactic to lock up the whole political system which has ramifications in the economy, health, education and many other domains with great damage to the country civic and economic life…
Biya is also known to spend close to 90 billion FCFA on personal travel and vacation which shows the hypocrisy behind the Operation of Epervier, particularly, when we know how these human right abuses and corruption cannot be undone.
3- Do Africans want good leader?
There is an idea in conventional African political science that ordinary Africans have been much more tolerant of centralized power than the western democracies. Indeed, many African countries, which are colonial creation for the most part, have never had democracy. They’ve always had tribal chiefdoms and leaders such as Paul Biya is just the latest one. Thus, a political culture ingrained with the notion of submission to higher authority. Hence, Do Cameroonians want democracy for example? Hard to say, but it’s included as a tenet in the country’s constitution although of course it doesn’t exist in reality. But they certainly want more freedoms.
It is the experience of the CL2P in talking with ordinary Cameroonians for the last decades that there is a great deal of cynicism and resignation about the Biya’s regime. People feel helpless and in fact can do nothing to change the status quo, only commenting or complaining on social media. And many are starting to feel jaded which explains the significant rise in religious adherents to Pentecostal religious ideology.
4- Counter-democracy and good leadership
Human right organizations such as the CL2P go beyond elections to bring up a good pedagogy of citizenship and other modes of citizenship participation. Thus, educating the public in policy matters such as legal despotism, for example, and informing the public on notions of legality and legitimacy and how the political crisis is often the product of either ignorance or misinformation.
5- Nothing Last Forever.
The fact that nothing lasts forever is one that many African leaders fail to grasp. At some level, all these dictators are driven by the illusion of immortality. The best leaders, however, realize that they are only as good as their performance and that arrogance is a fatal flaw. It makes you careless, self-centered, non-compromising, and prone to impulsive action – which in turn can lose you allies, create more enemies, and pave the way for your downfall. Even then, you are only human and your biological cycle will catch up with you whether you like it or not.
The Commitee For The Release of Political Prisoners (CR2P)