Ce devait être une journée toute en harmonie, pour lancer la Semaine de la francophonie, une belle célébration, censée rassembler quelque 274 millions d’âmes, de par le monde, autour de la langue française, autour des valeurs d’humanisme et de solidarité qu’elle véhicule. Il a suffi de deux petites phrases d’un académicien pour faire voler tout cela en éclats.
La fête de la langue française s’est muée en tribunal (procès) de la France. C’était lundi. Et tout cela vous semble suffisamment significatif pour que l’on y revienne. Pourquoi ?
Parce que ce que l’on a entendu au cours de la deuxième partie d’Appels sur l’actualité, ce 20 mars est un message de colère, qui traduit l’état d’esprit de très nombreux Africains, surtout de la génération des 25 à 40 ans. Leurs aînés, face à pire, se taisaient, entre autre par crainte de représailles…
Les nouvelles générations ne laissent plus certaines énormités passer, et en parlent avec d’autant plus de colère qu’elles savent parler, sinon au nom de tous, en tout cas du plus grand nombre.
Pour que les auditeurs comprennent bien, il importe de rappeler les faits. Dans l’édition spéciale de RFI depuis l’Académie Française, Arnaud Pontus a souligné la spectaculaire progression de la langue française sur le continent africain. Et Xavier Darcos, l’un des deux invités dans le studio, a d’abord tenté de minimiser l’importance de cette progression, en laissant entendre qu’elle n’était que la conséquence de l’explosion démographique que connaît le continent. L’ancien ministre de l’Education s’emploie ensuite à déprécier l’apport du continent à la francophonie, en disant clairement qu’en raison de la fragilité économique de l’Afrique, il vaudrait mieux que l’on parle le français davantage à Singapour qu’au Niger « Vous voyez ce que je veux dire !… », insiste-t-il, afin que rien ne se perde.
L’édition spéciale se termine. Arnaud Pontus cède l’antenne à Nicolas Brousse – qui remplace Juan Gomez dans la présentation d’« Appels sur l’Actualité ».
Naturellement, la francophonie est le sujet à l’ordre du jour, ce lundi 20 mars. Et Nicolas Brousse, pour lancer le débat, rediffuse le fameux extrait de l’intervention de d’emblée.
Frank, depuis Yaoundé, attaque d’emblée. « Ce monsieur [comprenez Xavier Darcos] a commis une faute grave et révoltante », dit-il. Puis, réagissant à la fragilité présumée des Etats africains, qui pousse monsieur Darcos à leur préférer Singapour, Frank rétorque : « C’est la colonisation française, et le néocolonialisme français qui ont maintenu les pays africains dans le statut d’assistés permanents ». Il demande alors aux Etats africains d’exiger des excuses, non sans avoir souligné que cette façon de faire des insinuations est du racisme. Et il promet que l’Afrique saura devenir une puissance économique, qui n’aura rien à envier à Singapour ou à la Malaisie. Et il donne rendez-vous pour cela à l’académicien.
La colère de Frank monte d’un cran, lorsqu’il rappelle que les pays africains délaissent leurs langues nationales pour promouvoir le français, et finalement pour se voir remerciés de la sorte. « Au lieu de plaider pour une francophonie sans visas, par exemple, ces gens [monsieur Darcos] attisent le feu de la haine, de la discrimination, de la ségrégation, même. »
C’est alors que Johane, de Libreville, intervient, pour dire que la francophonie est un ouragan qui a tout pris à l’Afrique et ne lui a rien laissé…
Il n’est pas tendre, lorsqu’il désigne le Nigeria, le Ghana et tous ces pays anglophones qui s’en sortent, alors que, selon lui, tous les pays qui vont mal, en Afrique, sont ceux sur qui la France a une mainmise. Il exige alors que la France comprenne que la Francophonie est terminée.
Pour tempérer toutes ces critiques, Constant, depuis Abidjan, intervient alors…
Lui déplore que les Africains élisent des despotes à la tête de leurs pays, et soient là à accuser la France.
« Que font-ils pour se débarrasser des despotes, se sortir de ce joug qu’ils ne cessent de décrier ? », demande-t-il, avant d’inviter la France à aider les pays africains à se débarrasser des gouvernants qui plombent la destinée de leurs peuples.
Léonard, de Kinshasa, revient alors à la charge, et souligne que les crises politiques récurrentes, en Afrique, se situent majoritairement dans les pays francophones.
De Tanger, un autre auditeur vient conclure : « Lorsque l’on évalue véritablement les pays francophones, on s’aperçoit qu’ils sont les enfants malades de l’Afrique ».
Si l’Afrique n’avait qu’un message à transmettre aux candidats à la présidentielle 2017, en France, ce pourrait être juste cette petite demi-heure d’émission.
Par Jean-Baptiste Placca – RFI