France-Cameroun: comment le tueur de l’indépendantiste Félix Moumié a échappé à la justice
Le 3 novembre 1960, l’indépendantiste camerounais Félix Moumié, meurt dans un hôpital de Genève, des suites d’un empoisonnement. Suspect numéro 1 : l’espion français William Bechtel, ancien soldat héros de la Résistance, devenu réserviste des services secrets. Les preuves qui l’accusent sont nombreuses, mais la justice suisse conclut à un non-lieu. Comment le soldat Bechtel a-t-il été sauvé ? 60 ans après, RFI a enquêté et fouillé les archives.
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C’est un soir d’automne, à Genève, le 15 octobre 1960. Félix Moumié remonte une ruelle pavée de la vieille ville. Et pousse la porte d’un restaurant chic, le Plat d’Argent, où il a rendez-vous pour dîner. L’homme qui l’a invité s’appelle William Bechtel. Il se présente comme journaliste proche des milieux auticolonialistes, et a déjà approché le leader indépendantiste au Ghana quelques mois plus tôt.
Félix Moumié préside l’UPC, l’Union des populations du Cameroun, fer de lance de la lutte anticoloniale dans le pays. En janvier 1960, le Cameroun, a officiellement accédé à l’indépendance. Mais pour l’UPC, elle n’est que de façade. Le parti conteste la légitimité du nouveau président Ahmadou Ahidjo adoubé par Paris. La guerre que livre la France du général de Gaulle à l’UPC depuis 1955 se poursuit.
Genève, réputée neutre en ces temps de guerre froide, est la cité refuge de nombreux leaders anticolonialistes. Félix Moumié y séjourne pour nouer des contacts, récolter des fonds, des soutiens, et des armes. Il cherche aussi à gagner en visibilité. William Bechtel le sait et lui promet interviews et articles sur la résistance qu’oppose son parti. Mais le prétendu journaliste est en fait un agent secret. Au cours du dîner, Félix Moumié est empoisonné au thallium, versé dans son Pernod.
En cet hiver 1960, le leader camerounais fait peur à la France. « Son action diplomatique dérange », raconte l’historienne Karine Ramondy (1), auteur d’un ouvrage sur le sujet. Paris qui poursuit ses massacres, veut en « finir » avec l’UPC, et voit d’un mauvais œil l’activisme de cet « agitateur médiatique », qui profite de son exil forcé pour tisser des liens avec la Chine, le Ghanéen Kwame Nkrumah et le Congolais Patrice Lumumba. À la différence d’Um Nyobè, reclus dans le maquis des forêts camerounaises – où la France l’assassine en 1958 – Félix Moumié voyage beaucoup, pour tenter de légitimer le combat de son parti à l’international. Il s’apprête même à lancer un gouvernement camerounais provisoire. « C’est l’homme à abattre », conclut l’historienne.
Par : Florence Morice