En réalité le Cameroun couve une éruption sociale et politique d’une violence inégalée dans la sous-région Afrique centrale, après plus de trente (30) ans d’une terreur policière conjuguée à une paupérisation de masse ininterrompue.
Le “problème anglophone” est en cela la prémisse d’une dislocation aux origines tribales, régionalistes, et linguistiques attisée par une gouvernance ethno-fasciste d’un tyran qui a petit à petit cannibalisé la cohésion institutionnelle nationale.
Tous les ingrédients sont désormais réunis.
Joël Didier Engo, Président du CL2P
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Décryptage
Pourquoi le malaise de la partie anglophone du Cameroun persiste
Le 21 novembre, une manifestation organisée pour dénoncer la « francophonisation » et la « marginalisation » de la communauté anglophone a fait un mort.
Les images diffusées sur les réseaux sociaux ont fait le tour du monde. On y voit des hommes, femmes, jeunes et moins jeunes, poursuivis par les forces de l’ordre, courir dans tous les sens. Sur d’autres, on y voit des blessés dont un homme en sang qui se tord de douleur. La scène se déroule à Bamenda. Lundi 21 novembre, des habitants ont pris d’assaut les rues de du chef-lieu du Nord-Ouest, l’une des deux régions anglophones sur les dix que compte le Cameroun.
Ce jour-là, pour exprimer leur ras-le-bol, des manifestants profitent d’un appel à la grève lancé par des syndicats d’enseignants qui dénoncent un système éducatif anglophone qui se « francophonise » toujours plus. « Pouvez-vous imaginer qu’un francophone vienne enseigner l’anglais à un anglophone ? Nous voulons que ceux qui enseignent auprès des anglophones aient été formés à la base dans le sous-système anglo-saxon. Mais ce n’est plus le cas, regrette, amer, Wilfred Tassang, secrétaire exécutif de la Cameroon Teachers Trade Union (CATTU), l’un des six syndicats des enseignants en grève. Depuis des années, nous nous plaignons. Nous sommes en grève pour dénoncer cette situation.»
Un mort et des blessés
Mais, très vite dans les rues de cette ville, fief du Social Democratic Front (SDF), principal parti d’opposition, les revendications des enseignants se noient dans celles d’une population qui se sent marginalisée. « Dans les hôpitaux, les malades anglophones rencontrent les médecins francophones et ne peuvent pas se comprendre. Dans les centres d’impôts, c’est le même problème. On leur remet des fiches francophones, poursuit Wilfred. On ne tient pas compte de nos problèmes. »
Durant quarante-huit heures, les « marginalisés » ont donc investi les rues, brûlé des pneus et affronté les forces de l’ordre. Bilan : une personne tuée, de nombreux blessés et une centaine de personnes interpellées, selon des sources officielles. Même si un calme précaire règne depuis mercredi, les tensions persistent. Les enseignants n’ont pas interrompu la grève.
Le « problème » anglophone et francophone remonte à l’histoire du Cameroun. Après la première guerre mondiale, le Cameroun, alors sous protectorat allemand, passe sous la tutelle de la France (partie francophone) et la Grande-Bretagne (partie anglophone). Malgré l’indépendance le 1er janvier 1960, la situation de la partie anglophone est incertaine. Il faut attendre le 1er octobre 1961 pour assister à la création de la République fédérale du Cameroun avec deux Etats fédérés : le Cameroun anglophone (régions Sud-Ouest et Nord-Ouest actuelles) et le Cameroun oriental (francophone).
Face à cette division, Ahmadou Ahidjo, président de la République, organise un référendum et, le 20 mai 1972 naît la République unie du Cameroun, date à laquelle on célèbre la fête nationale sur l’étendue du territoire national.
Mais l’unification n’est vraiment pas intégrée par la partie anglophone qui se sent lésée, victime de chômage, peu représentée politiquement et pense que le pouvoir central s’occupe davantage de la partie francophone. Le Southern Cameroon’s National Council (SCNC), un mouvement sécessionniste anglophone revendique, chaque 1eroctobre, l’indépendance de cette partie du Cameroun. Ses membres sont à chaque fois interpellés, sans jamais arrêter de dénoncer leur marginalisation.
Indépendance du Cameroun anglophone
En octobre, les avocats anglophones ont débuté un mouvement pour protester contre la non-traduction de lois et de documents juridiques en anglais au moment de leur publication (Code pénal, OHADA) et la nomination de juristes dans les deux régions anglophones qui ne maîtrisent pas la langue anglaise. Comme les enseignants, ils estiment que l’Etat veut leur imposer le droit civil en vigueur dans les régions francophones du Cameroun, à la place du code anglo-saxon. Des divisions qui accentuent le malaise.
Interrogé par Le Monde Afrique, Issa Tchiroma Bakary, ministre de la communication, assure qu’il « n’y a et ne saurait y avoir de problème » anglophone au Cameroun : « L’anglais et le français sont les langues coloniales subséquentes. Ce sont deux langues officielles de même importance. S’il y a des revendications d’ordre administrative ou politique, la Constitution a tranché dessus. » Pour Issa Tchiroma Bakary, les troubles de Bamenda ont été orchestrés par « des sécessionnistes, des éléments non identifiés, non contrôlés, des extrémistes, des politiciens en mal de notoriété ».
« Faux, fulmine une journaliste basée à Bamenda et qui a suivi de bout en bout les manifestations. C’est un problème qui persiste depuis des années. J’ai lu sur Internet que des anglophones brûlaient les boutiques et chambres des étudiants francophones. Tout cela est faux. » Pour cette jeune femme employée par la chaîne de télévision Horizon TV, les habitants voulaient dénoncer le chômage dont ils sont victimes, les difficultés pour survivre au quotidien et exprimer leur inquiétude pour le futur de leurs enfants. D’après le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi du Cameroun, le taux de pauvreté des régions Nord-Ouest et Est est bien supérieur à la moyenne nationale, avoisinant même 50 % au Nord-Ouest.
Issa Tchiroma Bakay botte en touche en assurant que le premier ministre, en visite vendredi 25 novembre à Bamenda afin d’apaiser la situation, a mis en place un comité interministériel avec pour but de recevoir les revendications « réelles » des anglophones.
Par Josiane Kouagheu (contributrice Le Monde Afrique, Yaoundé)
LE MONDE