Le procès de Maurice Kamto, principal opposant au président camerounais à Paul Biya et arrivé deuxième à la présidentielle de 2018, a été renvoyé vendredi au 8 octobre dès son ouverture devant le tribunal militaire de Yaoundé, qui le juge notamment pour “insurrection” avec 88 de ses partisans.
Les accusés encourent théoriquement la peine de mort, même ci celle-ci n’est plus appliquée au Cameroun.
Le malaise à l’audience de l’un d’eux, Christian Penda Ekoka, ex-conseiller économique du président Biya, a motivé le renvoi du procès, a expliqué Me Michel Ntchalé, l’un des avocats de M. Kamto.
Ce procès, qui suscite critiques et inquiétude dans la communauté internationale, s’était ouvert dans un pays longtemps considéré comme un îlot de stabilité en Afrique centrale, où le président Paul Biya, qui règne en maître absolu depuis 36 ans, est de plus en plus contesté et confronté à d’autres crises: rébellion séparatiste des anglophones à l’ouest et recrudescence des attaques de Boko Haram au nord.
Dès l’aube, un impressionnant dispositif de sécurité avait été déployé et empêchait l’accès du tribunal à des militants qui scandaient “Kamto président”, l’opposition ayant appelé à venir massivement au procès.
Environ 200 policiers en tenue antiémeute occupaient un carrefour en contrebas du tribunal, rapporte un journaliste de l’AFP. D’autres, en armes, patrouillaient à bord de véhicules pick-up. Plus haut, une cinquantaine de membres des forces de sécurité filtraient les entrées du bâtiment.
M. Kamto est arrivé en fin de matinée, amené par des gendarmes armés, a affirmé à l’AFP son avocat, Me Emmanuel Simh.
Depuis la proclamation de la victoire de M. Biya à la présidentielle du 8 octobre 2018, pour un septième mandat consécutif, des manifestations pacifiques étaient organisées dans plusieurs villes par le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de M. Kamto, l’un des principaux partis d’opposition, arrivé deuxième avec 14,23% des suffrages selon les résultats officiels du gouvernement, mais qui estime toujours avoir remporté le scrutin.
C’est à l’issue d’une de ces marches que le leader de l’opposition et des centaines de sympathisants avaient été interpellés par les forces de l’ordre fin janvier.
Après plus de sept mois d’emprisonnement, 89 personnes devaient être jugées à partir de vendredi pour “hostilité contre la patrie”, “rébellion” et “insurrection”.
– “Alibi politique” –
“Rien ne justifie que M. Kamto et ses partisans soient incarcérés depuis huit mois dans ces conditions”, a déclaré jeudi à l’AFP leur avocat français, Me Antoine Vey.
“Aucun n’a participé à des actes de violence, aucun n’a appelé à des actes de violence ou à la rébellion. Il n’y a pas de raison à leur arrestation en dehors de l’alibi politique”, a ajouté celui qui a saisi, fin avril, le Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations unies.
M. Kamto, 65 ans, et ses alliés avaient déclaré lundi “être prêts à faire face à la justice pour que la vérité éclate dans cette affaire”.
Avocat au barreau de Paris et ancien ministre délégué à la Justice au Cameroun, M. Kamto bénéficie également du soutien dans ce procès des ONG internationales et de certaines puissances occidentales.
– “Pression” sur Biya –
En mars, les Etats-Unis avaient déclaré qu’il serait “sage de le libérer”, suivi de près par l”Union européenne, qui avait parlé de “procédure disproportionnée”.
Les associations de défense des droits de l’homme avaient, elles, dénoncé la compétence du tribunal militaire à juger ces civils. “Les autorités doivent les libérer immédiatement et abandonner toutes les charges retenues contre eux”, avait exhorté fin juillet Amnesty international.
Longtemps silencieuse, la France, ancienne puissance coloniale, était sortie de son mutisme fin mai, réclamant aussi leur libération. “On connaît les qualités de M. Kamto, nous faisons pression fortement sur le président Biya pour qu’il puisse agir et élargir ces prisonniers”, a répété mardi le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.
Les avocats de l’opposant ont transmis au tribunal militaire une liste de 31 témoins, dont deux ministres, le patron de la police et d’autres hauts gradés de l’armée et de la police.
Parmi les accusés qui comparaîtront aux côtés de M. Kamto, et de Christian Penda Ekoka figurent un célèbre rappeur, Valsero, connu pour ses textes critiques à l’égard du régime de Yaoundé.