Nombreux notamment dans une frange de l’opinion publique africaine voient à tort ou à raison la main de Paris derrière ces sanctions sévères de la CEDEAO contre la junte au pouvoir au Mali.
Cependant il est d’abord important que l’Afrique toute entière se montre inflexible avec tous les régimes illégitimes (quels qu’ils soient), et ne transigent plus avec l’impératif démocratique d’avoir à la tête des États des dirigeants civils élus de manière transparente.
En cela la mise en place d’une transition civile au Mali, dans un processus maîtrisé de restauration de l’ordre constitutionnel est simplement non négociable.
Avec ou sans l’ombre de la France!
JDE
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Le Mali mis au ban de l’Afrique de l’Ouest
Les chefs d’Etat de la Cedeao ont notamment décidé de fermer leurs frontières avec le pays et de suspendre toute transaction commerciale dans l’attente d’un nouveau calendrier électoral. La junte au pouvoir rechigne à organiser des élections.
Frapper fort en espérant que la violence du coup amène les effrontés à de meilleures intentions. C’est en substance la stratégie adoptée, dimanche 9 janvier, par les chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest pour contraindre le colonel Assimi Goïta, le chef de la junte malienne, et son gouvernement de transition, à céder la place à un président élu bien plus vite qu’ils ne l’entendent.
Réunis à Accra, la capitale ghanéenne, pour un huitième sommet consacré au Mali depuis le coup d’Etat d’août 2020, les présidents et représentants des pays membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ont en effet lourdement renforcé les sanctions déjà prises en décembre 2021 contre les autorités de Bamako.
Parmi la batterie de nouvelles mesures annoncées « avec application immédiate » : la fermeture des frontières terrestres et aériennes avec le Mali ; la suspension de toute transaction commerciale, à l’exception des produits de première nécessité, des médicaments, des produits pétroliers et de l’électricité, et le gel des avoirs du Mali à la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest et dans toutes les banques commerciales de la région.
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Si sa levée « graduelle » est conditionnée à « la finalisation et à la mise en œuvre d’un chronogramme acceptable et agréé », cette mise au ban diplomatique et sous blocus économique pour permettre un retour à l’ordre constitutionnel apparaissait inexorable. La dernière tournée régionale du chef de la diplomatie malienne pour tenter d’arracher la clémence de ses voisins ou bien encore l’offre de dernière minute d’Assimi Goïta, afin de « maintenir le dialogue et une bonne coopération avec la Cedeao », de remettre son pouvoir à un président élu dans quatre ans plutôt que dans cinq, ont été sans effet. Les chefs d’Etat ont, dans leur communiqué, jugé « totalement inacceptable » le calendrier qui leur avait été proposé fin décembre, car celui-ci « signifie simplement qu’un gouvernement de transition militaire illégitime prendra en otage le peuple malien durant les cinq prochaines années. »
Le choix des mots n’est pas anodin dans une région qui se croyait débarrassée des putschs et qui a vu en moins de dix-huit mois deux jeunes officiers renverser de vieux présidents « élus » au Mali puis en Guinée. Il traduit autant la volonté des présidences d’Afrique de l’Ouest de circonscrire au plus vite ce retour des militaires sur la scène politique que leur exaspération particulière à l’endroit du chef de la junte malienne et du gouvernement qui l’entoure.
« La Cedeao jouait sa crédibilité »
Des pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire, dont les ports de Dakar et d’Abidjan sont les deux principales portes d’entrée et de sortie pour l’économie malienne, ont ainsi un temps fait preuve de mansuétude à l’endroit de leur voisin avec un évident souci pour leur propre balance commerciale, mais « la Cedeao jouait sa crédibilité sur ce sommet après la provocation de Bamako », analyse un diplomate en poste au Mali.
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Mais le jeu comporte sa part d’incertitude. Si, comme l’espère cette dernière source, « ces sanctions obligent le régime à négocier sérieusement au risque de voir sa stabilité et celle du pays hypothéquées », le gouvernement installé au Mali après ce qu’il convient d’appeler le deuxième coup d’Etat, en mai 2021, a jusqu’ici avancé à coup de bravades. Dans la nuit de dimanche à lundi, la première réaction de la junte a été de condamner « énergiquement » les sanctions « illégales » prises à l’encontre du pays par les Etats ouest-africains, d’où les ambassadeurs du Mali ont immédiatement été rappelés.
Malgré de premières mesures punitives de la Cedeao en décembre – gel des avoirs et interdiction de voyager prononcés contre 150 personnalités membres des institutions actuelles –, les autorités de transition sont arrivées à repousser de facto les élections générales qui devaient se tenir fin février à une date encore inconnue. Les menaces de Paris au sujet du recours aux mercenaires de la société Wagner n’ont pas été plus dissuasives. Plus de 300 agents de ce groupe proche du Kremlin sont désormais présents sur le terrain au Mali, selon des sources officielles françaises. Et le pouvoir en place à Bamako, s’il ne reconnaît que l’arrivée d’« instructeurs militaires russes », ne cache pas qu’il regarde bien davantage aujourd’hui en direction de Moscou ou d’Alger que de Paris ou de New York, siège des Nations unies et des quelque 15 000 casques bleus déployés au Mali.
Inquiet de « la tension économique qui va très vite se faire sentir à cause des sanctions », l’ancien premier ministre malien Moussa Mara craint également « la fuite en avant des autorités dans la surenchère populiste et nationaliste ». « Avec la succession d’arrestations de voix opposées, il y a un risque de basculement dans une dictature et dans une situation hors de contrôle », s’alarme-t-il.
La France en porte à faux
Si le pari de la Cedeao est de faire plier la junte en la menaçant de porter la responsabilité d’une explosion sociale – les caisses de l’Etat malien n’auraient tout au plus en réserve que deux mois de salaire pour les fonctionnaires, selon une bonne source –, sa décision est aussi un cap à suivre pour les autres partenaires du Mali. Les sanctions ne les engagent pas formellement mais la France, l’Union africaine, l’Union européenne ont fait de l’organisation régionale leur aiguillon diplomatique dans la crise malienne. « Il serait délicat pour nous de saboter le blocus de la Cedeao », prévient une source à Bruxelles, où une première réunion consacrée au Mali doit se tenir mardi 11 janvier. Des décisions pourraient ensuite être prises le 24 janvier, à l’issue d’un conseil des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne, mais d’ores et déjà des interrogations surgissent. En Allemagne, le débat s’est intensifié ces derniers jours sur le maintien dans le pays des 1 350 soldats déployés par Berlin.
Pour la France, cette mise sous sanction d’un pouvoir politique avec lequel elle est en totale rupture peut apparaître comme une victoire diplomatique, mais la décision de la Cedeao la place aussi en porte-à-faux. Comment en effet continuer à maintenir des opérations avec l’armée malienne quand elle considère que ses dirigeants sont engagés dans une manœuvre de conservation du pouvoir ? Comment réapprovisionner les soldats de l’opération « Barkhane » encore à Gao dans un pays sous blocus régional ? Comment ne pas abandonner le terrain quand la Russie montre un intérêt appuyé pour un pays dans sa sphère d’influence ? L’Elysée estimait, avant cette dernière sentence, qu’il lui serait « difficile de poursuivre un partenariat militaire à géométrie égale lorsqu’il est acté qu’on ne partage plus d’objectifs politiques ».
Les autorités maliennes ont, elles, dénoncé une décision instrumentalisée par « des puissances extrarégionales aux desseins inavoués » et appelé « à la solidarité et à l’accompagnement des pays et institutions amis ».
Cyril Bensimon