Il y a dix ans, fin février 2008, de nombreux Camerounais sont descendus dans les rues des villes du sud du Cameroun, pour crier leur colère contre le régime Biya qui se préparait à modifier la Constitution de 1996 et à supprimer l’article 6-2 qui stipule : «Le président de la République est élu pour un mandat de sept ans renouvelable une fois.» Face à l’ampleur du mouvement social qui a rapidement pris une tournure politique avec des slogans comme «Touche pas à ma Constitution», «Biya doit partir», le régime a déployé ses forces de défense et de sécurité avec leurs armes de guerre. Les manifestations se sont transformées en émeutes et la répression a été immédiate, avec un usage excessif de la force létale. Selon l’Observatoire national des droits de l’homme, au moins 139 personnes ont perdu la vie entre le 25 et le 29 février 2008. Seulement 40 (dont un policier) selon le bilan officiel. Cette répression sanglante a mis un terme à toute revendication sociale et politique. Le 10 avril 2008, la Constitution a donc été révisée : «Le président de la République est élu pour un mandat de sept ans. Il est rééligible.» Il n’y a eu aucune contestation dans les rues. Plus personne n’était prêt à mourir.
Le mal-être de la population camerounaise n’a pas pour autant disparu. Durant le mois d’octobre 2016, dans les régions anglophones du nord-ouest et du sud-ouest, des avocats, des enseignants et des étudiants ont protesté contre la «francophonisation» des systèmes législatif et éducatif. De la même façon qu’en février 2008, le régime de Paul Biya a interprété ces marches pacifiques comme une atteinte à la sécurité de l’État et les a réprimées.
Mais à l’inverse de février 2008, la répression n’a pas découragé les marches et les journées «villes mortes» qui ont été de plus en plus suivies par les citoyens anglophones. Pour éviter que ce mouvement ne réveille d’autres Camerounais ailleurs dans le pays – eux aussi victimes de l’abandon des besoins primaires des populations par l’État -, le régime de Paul Biya a accentué sa répression et emprisonné les leaders modérés, laissant davantage de place aux indépendantistes anglophones. Une partie de la population anglophone s’est alors radicalisée au contact des leaders prônant la lutte armée. Les assassinats de membres des forces de l’ordre ont entraîné un cycle de violences de part et d’autre.
Aujourd’hui, la situation sécuritaire dans les régions anglophones est incontrôlable. Comme en février 2008, la communauté internationale a été témoin et complice, par son silence, de la répression des marches pacifiques dans les régions anglophones durant plus d’une année. Maintenant que cette partie du territoire est en proie à un conflit de basse intensité, la communauté internationale se réveille timidement. Elle a longtemps fait le pari qu’avec Paul Biya, le Cameroun – pays pivot entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale – resterait l’un des pays les plus stables du continent. En acceptant que ce président se maintienne au pouvoir pendant près de quatre décennies, la communauté internationale a, au contraire, profondément sapé les bases de la stabilité dans ce pays. Il n’y a aujourd’hui plus aucun contre-pouvoir au Cameroun. Toutes les institutions nationales sont dépendantes de la seule volonté du chef de l’État. Toute contestation populaire est immédiatement interdite ou réprimée. Les libertés fondamentales n’existent que dans les textes. Sur le terrain, elles sont bafouées quotidiennement. La communauté internationale ne semble pas prendre conscience du problème de fond qui agite le Cameroun depuis une décennie : l’exaspération – pour l’instant contenue localement – des Camerounais face au régime de Paul Biya qui, en trente-six ans de pouvoir, n’a pas été en capacité ou n’a pas voulu réformer profondément les institutions du pays pour asseoir durablement la démocratie et qui n’a pas réussi à apporter le développement nécessaire au pays et à ses habitants. Au classement mondial de l’Indice de développement humain (IDH), le Cameroun se classe 153e sur 188 pays en 2016.
Le Cameroun est aujourd’hui à un tournant de son histoire. Les Camerounais ont besoin de s’écrire un futur commun et de se projeter dans un avenir profitable à tous. Ce futur ne s’écrit pas avec Paul Biya, qui va avoir 85 ans… Alors que la majeure partie de la jeunesse est désabusée et se désintéresse des élections, il n’est pas impossible que Paul Biya se présente à nouveau au scrutin présidentiel de novembre 2018 et qu’il veuille mourir au pouvoir comme l’a fait Houphouët-Boigny en Côte-d’Ivoire. Espérons alors que le Cameroun n’imitera pas le scénario ivoirien avec sa lutte fratricide entre des hommes politiques avides de pouvoir qui ont entraîné leur pays dans un cycle de violences dévastatrices durant une décennie…