La police avait procédé dans la matinée à l’arrestation systématique des passants dans les rues de la capitale pour empêcher les rassemblements.
Les rues du centre d’Alger étaient à nouveau noires de monde. Pour leur quinzième vendredi de mobilisation, les manifestants ont défilé en masse dans plusieurs villes d’Algérie, pas découragés par les nombreuses arrestations matinales, et ont rendu hommage à un militant des droits humains mort en détention, accusant le pouvoir d’être responsable de son décès.
Ce vendredi était le dernier du mois musulman de ramadan, durant lequel la mobilisation n’a pas faibli malgré la chaleur et la fatigue due au jeûne quotidien du lever au coucher du soleil.
La foule a semblé particulièrement nombreuse dans la capitale algérienne, trois jours après le décès en détention de Kamel Eddine Fekhar, un militant de la cause mozabite, une minorité berbérophone d’Algérie. De nombreux slogans et banderoles lui ont rendu hommage.
Des rassemblements de grande ampleur ont aussi eu lieu à Oran, Constantine et Annaba, 2e, 3e et 4e villes du pays, selon des journalistes locaux, et dans d’autres villes algériennes, d’après les médias et les réseaux sociaux. Les manifestants se sont progressivement dispersés en fin d’après-midi sans incident à Alger et dans le reste du pays.
La présidentielle du 4 juillet de plus en plus compromise
La police avait procédé dans la matinée à l’arrestation systématique des passants dans les rues encore peu animées du centre d’Alger. Les manifestations, strictement interdites à Alger depuis 2001, ont été jusqu’ici largement tolérées par la police, qui se contente habituellement de contenir le défilé dans un périmètre défini. Les arrestations se sont faites plus rares à mesure que la foule grossissait dans le centre-ville.
Massivement rejetée par les manifestants et sans candidat sérieux déclaré, la présidentielle prévue le 4 juillet pour élire son successeur apparaît de plus en plus compromise.
Le Conseil constitutionnel doit se prononcer avant le 5 juin sur la validité des deux seuls dossiers de candidature déposés, mais il semble peu probable qu’ils remplissent les conditions requises, notamment les parrainages de 600 élus ou de 60 000 électeurs.
Le scrutin a pour seul objectif le maintien du “système” au pouvoir, estime le mouvement de contestation inédit qui réclame au préalable le départ de tous les dirigeants actuels ayant participé au régime d’Abdelaziz Bouteflika, parmi lesquels le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée depuis 2004.
“Pouvoir assassin !”
Devenu le véritable détenteur du pouvoir depuis le départ d’Abdelaziz Bouteflika, le général Gaïd Salah a réclamé cette semaine des “concessions mutuelles” dans le cadre d’un “dialogue” dont il n’a pas défini les formes. Il a continué de réclamer une présidentielle “dans les plus brefs délais”, sans évoquer la date du 4 juillet.
“Gaïd Salah, dégage !” lui ont répondu les manifestants à Alger. “Ni dialogue, ni élections, mais une (Assemblée) constituante”, pouvait-on lire sur une pancarte.
“Pouvoir assassin !”, a aussi scandé la foule à l’unisson à la fin d’une minute de silence observée par le cortège à Alger à la mémoire du militant Kamel Eddine Fekhar. “Quelle honte, l’Etat a tué Fekhar !”, ont également clamé les manifestants.
Fekhar observait une grève de la faim depuis son placement en détention préventive le 31 mars pour “atteintes aux institutions”. Il avait auparavant purgé deux ans de prison pour “atteinte à l’autorité de l’Etat”, accusé d’être à l’origine de violences ayant éclaté en 2015 dans la région du M’zab.
AFP
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Les murs d’Alger aussi racontent la colère de la ville
Aux slogans habituels depuis le 22 février s’est ajouté le souvenir du militant des droits humains Kamel Eddine Fekhar décédé mardi
A Alger, même la pierre parle désormais. Pour la quinzième semaine de contestation et de manifestations pour réclamer le départ du régime et une transition politique, la colère algéroise se lit aussi sur les murs. Dans la Casbah, plongée dans le silence du matin, des « Voleurs », « Libres ! », « Pouvoir assassin ! » ponctuent la rue Hocine-Bourahla, une venelle qui plonge en direction du mausolée Sidi Abderahmane – le saint de la ville. Là, une bâtisse effondrée donne leur sens aux tags peints sur ces façades des XVIeet XVIIe siècles. Deux cents mètres plus bas, l’effondrement d’un immeuble de quatre étages a emporté les vies de cinq personnes, dont deux enfants, le 22 avril. Et ce vendredi 31 mai, cette colère contre l’incurie des autorités du pays résonne avec une autre mort.
Car ce quinzième vendredi de mobilisation est aussi un jour de deuil. A la contestation générale, s’ajoutent des slogans pour la défense des libertés publiques après la mort en détention, mardi, du militant des droits humains Kamel Eddine Fekhar. Une minute de silence est observée à au moins deux reprises par le cortège de la capitale et des manifestants portent des calottes mozabites, en solidarité avec la communauté et minorité religieuse dont était issu le militant. Et discrètement, sa communauté a aussi constitué un petit cortège autonome en début d’après-midi.
A Bab el-Oued, quelques heures auparavant, seul le carrefour commerçant des Trois-Horloges, cœur battant de ce quartier populaire de 70 000 habitants, présente un semblant de vie. Les immeubles, aux balcons desquels pendent des mètres carrés de linges, cachant des murs qui n’ont pas dû être ravalés depuis plusieurs générations, attendent midi trente pour s’animer.
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Drapeaux algériens déployés
A un quart d’heure du premier appel à la prière, des dizaines de personnes émergent tout à coup des porches pour rejoindre la procession de fidèles en route vers la mosquée Es-Sunna, une ancienne place forte du Front islamique du salut dans les années 90. Là, dans les groupes, les drapeaux algériens ont bien du mal à rester discrets, enroulés dans leurs tapis de prière. Salim, la quarantaine, s’est même fabriqué une pancarte escamotable, repliée dans son tapis : « Il n’y aura pas de retour en arrière sans la satisfaction des demandes de liberté du citoyen. » Présent à toutes les manifestations depuis le début, il se promet de défiler aujourd’hui et jusqu’à « ce qu’ils dégagent tous ! ».
Es-Sunna se révèle vite exiguë pour accueillir la foule qui s’y presse à quelques jours de la fin du ramadan. Des dizaines de personnes s’installent dans la rue et sur les marches d’un escalier qui y mènent. Parmi elles, certains se mettent à l’écart, ou s’adossent à des voitures : tout le monde n’est visiblement pas venu ici pour accomplir son devoir religieux. « Tu sais d’où ça part [la manifestation] ? », interroge un jeune homme. « Non. On attend alors, on va voir. » La mosquée est devenue un vrai lieu de ralliement.
Alors, dès la fin de la prière, drapeaux algériens déployés, des centaines de personnes redescendent vers la place des Trois-Horloges. L’imam d’Es-Suna ayant pris son temps pour son prêche, des fidèles des mosquées voisines sont venus alimenter le flot qui chemine vers le lieu de rassemblement. Autour des trois cadrans qui donnent leur nom au lieu, la foule, exclusivement masculine, tranche avec la mixité des manifestants du centre-ville.
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« Pouvoir assassin »
Et dès qu’un immense drapeau algérien est déployé, l’ordre de départ résonne aux cris de « Hé, Ho, hé, ho, chaque vendredi on ressort ! ». Désertes une heure auparavant, les rues du quartier déversent des centaines de manifestants alors que des volontaires, barbus et en kamis, encadrent la circulation. Sans que leur présence ne se ressente aujourd’hui dans les chants scandés par les manifestants.
Un timide « Au nom d’Allah, vous dégagerez tous », lancé par quelques-uns au début de la marche, est vite noyé par « Un Etat civil, pas militaire », parfois scandé par les mêmes, d’ailleurs – Le tout entrecoupé de « pas d’élections, bande de mafieux » et de l’inusable « Bab El Oued, les martyrs » en hommage aux victimes des émeutes d’octobre 1988.
Quittant le front de mer, un moment bloqué par plusieurs lignes de boucliers policiers, le cortège des Trois-Horloges entre rapidement sur l’esplanade de la Grande-Poste comme poussés par un tonitruant « les enfants de Bab El Oued et de la Casbah sont là ». Le défilé laisse peu à peu place aux femmes et les « pouvoir assassin » rageurs tentent de couvrir le bourdonnement de l’hélicoptère de la police qui tourne dans le ciel.
En fin d’après-midi, alors que chacun rentre, des secouristes se reposent à l’entrée de leur QG, un local du Croissant-Rouge situé en contrebas de l’université. Pendant plus de cinq heures, par équipes de deux, ils se sont employés à arroser les manifestants d’eau fraîche pour prévenir coups de chauds et malaises alors que le ramadan est entré dans sa dernière semaine et que le soleil se fait chaque jour plus présent.
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