Malgré la baisse apparente des agressions LGBTphobes dans l’espace public en raison du confinement, la situation reste problématique. Il est toujours difficile d’apprécier la situation car les victimes n’osent pas porter plainte et que les LGBT+ de manière générale adoptent des mécanisme d’évitement pour anticiper d’éventuelles violences.
On pourrait trouver le bilan réjouissant. Ce 17 mai, journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, les chiffres sont exceptionnellement en baisse. En 2020, les services de police et de gendarmerie nationale ont en effet enregistré en France métropolitaine 1 590 victimes de crimes ou délits « anti-LGBT », soit une baisse de 15 %, après une hausse de 36 % en 2019 et de 33 % en 2018.
Mais c’est évidemment une baisse en trompe-l’œil « dans le contexte exceptionnel de la crise sanitaire, marqué notamment par deux périodes de confinement national de la population », rappelle le ministère de l’intérieur qui a révélé ces statistiques mercredi 12 mai.
Chez SOS homophobie, qui publie ce lundi son rapport annuel en s’appuyant sur les signalements reçus sur leur ligne d’écoute, le constat est le même. « Les chiffres que nous publions ce lundi montrent une baisse significative des violences dans l’espace public qui s’explique en effet par les confinements successifs », explique Lucile Jomat, présidente de l’association.
Au total, l’association a recueilli 1 815 témoignages sur sa ligne d’écoute en 2021, contre 2 396 l’année précédente. « On passe de 237 cas d’agressions physiques recensées en 2020 à 164 cas pour cette année », ajoute la présidente. SOS homophobie déplore toutefois un déplacement des violences dans le cercle familial et dans le voisinage et insiste aussi sur les violences transphobes. La proportion de mineur·e·s contactant l’association pour type de discrimination a « explosé », indique le rapport. Elle est passée de 6 % en 2019 à plus de 20 % en 2020 « pour des situations en général de grande détresse (menace d’expulsion du domicile familial, rejet, humiliation, etc.) »
Malgré cette baisse donc, les LGBTphobies sont encore bien ancrées. C’est d’ailleurs ce qu’a voulu signifier le journaliste Matthieu Foucher dans un fil Twitter remarqué le 5 mai dernier. « On croit souvent qu’on n’est plus tué de nos jours en France lorsqu’on est gay. C’est malheureusement faux », a-t-il écrit avant de publier une liste non exhaustive recensant le nombre de gays tués ou violemment agressés en France depuis 2015. Il évoquait notamment ce couple gay attaqué au couteau à Bordeaux en septembre 2020, ces agressions homophobes dans un parc lillois l’été dernier ou encore cet homme victime d’un guet-apens tabassé à Nantes en juin 2019.
Ce 17 mai, le gouvernement, lui, veut montrer qu’il se mobilise et qu’il prend à bras-le-corps le sujet. Élisabeth Moreno enchaîne les conférences de presse et Marlène Schiappa a même publié une tribune dans le JDD pour insister sur son engagement francilien en faveur des personnes LGBT+. Malgré cette communication, surtout visible le 17 mai, les LGBTphobies sont toujours aussi présentes et ses mécanismes d’invisibilisation, tout au long de l’année, toujours trop ancrés.
Aujourd’hui en 2021, la France est par exemple incapable de quantifier véritablement les LGBTphobies et ce faisant, de mieux l’apprécier. Le ministère de la justice ne détient aucune statistique étayée recensant les condamnations après des actes LGBTphobes. Sollicité le 13 mai par Mediapart, le ministère de la justice n’a pas été en mesure de nous en livrer. « Je n’ai malheureusement pas de chiffres récents sur l’étagère. Par ailleurs, statistiquement, il n’est pas possible, au sein de la circonstance aggravante liée à l’orientation et à l’identité sexuelle de distinguer selon le type de discrimination en raison de l’orientation sexuelle d’une part et de l’identité de genre d’autre part », explique-t-on au cabinet du ministre Éric Dupond-Moretti.
Si depuis 2017, le service statistique du ministère de l’intérieur communique le bilan annuel des actes visant les personnes LGBT, ses chiffres ne donnent qu’un aperçu très biaisé de la situation. Les victimes d’actes LGBTphobes ne portent majoritairement pas plainte.
Selon l’étude Ifop pour la Fondation Jasmin Roy-Sophie Desmarais de 2019, seules 20 % des personnes ayant été physiquement agressées en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre ont en effet déposé plainte. « On ignore plus de 80 % du phénomène de violences LGBT. On ne peut donc pas faire de politique publique, pas d’accompagnement ciblé si on ne parvient pas à quantifier ces agressions », regrette Johan Cavirot, président de l’association LGBT+ de la police et de la gendarmerie Flag!.
Pour les victimes, il peut y avoir la « honte » ressentie après avoir été agressée ou le risque de révéler son homosexualité. « Déposer plainte, c’est aussi faire une sorte de coming-out auprès de son entourage. Notamment pour les agressions à l’issue d’une rencontre via des sites internet, explique Johan Cavirot. Les victimes se renferment et s’isolent car c’est encore un sujet tabou ».
Or, si les victimes ne portent pas plainte, ce qui renforce mécaniquement leur invisibilisation, c’est surtout qu’il y a la crainte d’une mauvaise prise en charge par les forces de l’ordre. « Les victimes appréhendent d’aller pousser la porte d’un commissariat ou d’une gendarmerie car il y a l’image d’une police sexiste, raciste et homophobe », déplore le patron de Flag!. Et l’actualité n’aide pas à dissiper cette idée. En février dernier, une vidéo d’un policier interpellant un homme avait suscité l’indignation et déclenché la saisine de l’IGPN. « Ferme ta gueule, je t’encule, t’es pas un homme, t’es un petit pédé ! », lâchait notamment l’agent en même temps qu’il frappait l’individu pourtant immobilisé.
Pour corriger le tir, Christophe Castaner, lorsqu’il était encore ministre de l’intérieur, avait annoncé avec Marlène Schiappa en octobre 2018, la mise en place de « référents LGBT » dans tous les commissariats de police et les brigades de gendarmerie. Sauf que deux ans après, c’est un échec, comme l’avait mis en lumière BFMTV.
L’association Flag regrette en effet une solution « loin d’être efficace et absolument pas efficiente ». « Ces référents LGBT n’ont pas été formés, n’ont pas vocation à être en contact avec le public et sont nommés par la hiérarchie. En extrapolant, on peut donc avoir un homophobe nommé référent », pointe Johan Cavirot qui juge le bilan sévèrement : « Si une victime veut porter plainte, le référent n’intervient quasiment jamais dans le processus. Il arrive même qu’il ne sache même pas qu’il a été nommé référent. Quand on appelle pour lui parler, il faut parfois 48 à 72 heures pour qu’on arrive à nous trouver le nom. »
En août dernier par exemple, Têtu relatait la prise en charge déplorable d’une victime tabassée par trois hommes sur un lieu de rencontres gays parisien. « Je me suis blindé contre mes agresseurs, mais je ne m’attendais pas à ce que ça se passe aussi mal dans un commissariat », témoignait la victime qui regrettait l’absence du fameux référent LGBT. Il dénonçait aussi le fait que les policiers aient refusé de retenir le caractère homophobe de l’agression.
C’est notamment pour éviter ce genre de situations que Flag! souhaite la mise en place d’officiers de liaison (qui existent déjà dans les grandes villes comme Montpellier ou Bordeaux), qui auraient du temps dédié à ces questions et qui pourraient surtout recevoir les victimes. « Ils développeraient une vraie technicité, en particulier sur le vocabulaire adapté pour les LGBT, les pansexuels, les personnes qui se disent fluides. Cela permettrait aussi d’identifier les différents phénomènes de violences et surtout de renouer le lien entre le public et la police », justifie le patron de Flag!.
Le gouvernement avait aussi largement communiqué sur le développement des formations pour les forces de l’ordre, mais elles sont en réalité encore aujourd’hui très minces. Chaque policier qui sort d’école de police aura eu deux heures de formation sur les questions LGBT+. Les gendarmes, eux, disposent de seulement trente minutes même si une réforme prévoit qu’ils reçoivent désormais une heure trente de sensibilisation à ces questions. « C’est peu d’autant que la gendarmerie couvre les zones rurales, là où les victimes ont moins, voire pas d’accompagnement associatif. C’est presque là qu’on attend des forces de sécurité qu’elles soient le plus efficientes sur le sujet », explique Johan Cavirot.
Reste que la justice encore très souvent critiquée et accusé d’invisibiliser encore davantage les discriminations. Les associations reprochent au parquet de ne pas assez retenir le caractère LGBTphobe des agressions ou de ne pas poursuivre toutes les affaires. « En janvier 2019, on a déposé deux cents plaintes contre des propos homophobes sur Internet. Il n’y a eu qu’une seule poursuite et une seule condamnation », déplore Étienne Deshoulières, l’avocat de Mousse, une association de lutte contre les discriminations LGBT+. « On avait pourtant uniquement sélectionné des faits très graves et établis mais tout le reste a été classé. Il y a encore trop de cas qui ne donnent pas lieu à des poursuites, faute de moyens sans doute. »
« Il existe des directives de politique pénale claire en matière de lutte contre les discriminations, les violences et comportements haineux, un magistrat du parquet de chaque juridiction étant spécialisé dans la lutte contre ces discriminations pour apporter une réponse pénale cohérente et dynamiser les partenariats », défend de son côté le ministère de la justice.
Pour mieux apprécier la situation des LGBTphobies, l’association Flag! a donc lancé il y a un an une application mobile permettant aux victimes ou témoins de signaler de manière anonyme les agressions. Et publie un rapport avec la Fondation Jean Jaurès pour livrer un premier bilan.
Malgré le confinement, l’appli a été téléchargée par plus de dix mille personnes et a donné lieu à près de 1 500 signalements. 73 % d’entre eux concernent des violences sur Internet et plus précisément sur les réseaux sociaux. Mais la violence physique (55 faits de violence simple, 40 bousculades, 33 agressions sans arme, 3 faits de séquestration, 1 de torture et 1 d’empoisonnement), représente plus d’un fait sur cinq (22 %).
« Ce qui frappe avec les conclusions de notre rapport est le fait qu’il y ait autant de signalements alors que l’appli a été lancée en plein confinement », analyse Denis Quinqueton, co-directeur de l’observatoire LGBT+ de la Fondation Jean Jaurès.
S’il insiste sur la violence des réseaux sociaux à laquelle le politique « ne parvient toujours pas à s’attaquer », Denis Quinqueton constate que les LGBTphobies sont toujours très présentes mais invisibilisées par les mécanismes de protection adoptées par les LGBT. Ce que ciblent ces violences, « c’est avant tout la visibilité des victimes dans l’espace public, notamment leur orientation sexuelle supposée par leurs agresseurs », rappelle d’ailleurs SOS homophobie. Et les chiffres restent alarmants puisque 53 % des personnes LGBT+ ont déjà été confrontées à au moins une forme d’acte homophobe et qu’un tiers des agressions physiques visent des victimes se déplaçant en couple de même genre. Pas étonnant donc que 60 % des personnes LGBT+ adoptent des stratégies d’évitement.
« Dans la rue, on marche à côté de sa compagne ou de son compagnon comme si elle ou il était un·e étranger·e, on fait un détour chaque jour pour rentrer chez soi, on évite les transports en commun, on maquille pour la galerie, professionnelle ou familiale, une relation amoureuse en relation amicale », détaille Denis Quinqueton pour décrire le quotidien de milliers de personnes LGBT+. Si cela permet d’échapper à de potentielles agressions, cela renforce aussi la sous-estimation de la situation.
« C’est à la fois une solution, parce qu’on a pas vocation à être des martyrs, mais aussi un problème. C’est aussi un mécanisme qui pourrit la vie des LGBT+, dénonce Denis Quinqueton qui juge les politiques publiques encore insuffisantes. « La question n’est pas de pouvoir dire “on a fait quelque chose”, mais de savoir véritablement comment libérer la société française des discriminations de manière générale et des LGBTphobies. Et on y arrivera quand on reconnaîtra qu’elles sont systémiques. »
Médiapart 17 mai 2021 Par David Perrotin