Dans une interview accordée jeudi 23 avril au journal de 20 heures de la télévision publique, Alain Orounla, le porte-parole du gouvernement, a révélé que le pays avait entamé les démarches officielles pour se retirer du protocole de la Cour africaine des droits de l’homme, basée à Arusha, en Tanzanie. En effet, sans quitter la juridiction régionale créée pour examiner les plaintes des victimes de violations des droits de l’homme, le petit État d’Afrique de l’Ouest va sortir du mécanisme qui permet à un citoyen de saisir directement la Cour. Le gouvernement béninois a d’ailleurs transmis sa décision à l’Union africaine dans une lettre datée du 21 avril dernier, apprend-on au lendemain de cette annonce. La nouvelle fait suite à la prise de position de ladite Cour sur les élections municipales béninoises, qui doivent se tenir au mois de mai. La CADHP, saisie par l’opposant Sébastien Ajavon, en avait ordonné la suspension.
Déclaration de retrait
« Cette décision résulte de ce que nous avons observé depuis quelques années, des dysfonctionnements et des dérapages de la haute juridiction qui sort de plus en plus de son champ de compétences au motif de la protection des droits de l’homme. La Cour s’immisce dans des questions de souveraineté des États et des questions qui ne relèvent pas de sa compétence », a expliqué Alain Orounla sur l’ORTB.
Le 17 avril dernier, la CADHP, saisie d’une plainte de l’opposant béninois Sébastien Ajavon sur des violations de ses droits et des droits de l’homme dans le pays, avait ordonné la suspension des élections municipales prévues pour le 17 mai prochain.
L’opposition béninoise reproche au gouvernement de ne pas pouvoir présenter de listes aux municipales, à la suite notamment d’un nouveau Code électoral. « C’est la preuve que le pouvoir en place au Bénin continue sa dérive dictatoriale en se retirant du protocole de la CADHP », a réagi Marc Bensimhon, avocat de Sébastien Ajavon, dans un message envoyé à l’AFP. En octobre 2018, Sébastien Ajavon a été condamné à vingt ans de prison par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), au Bénin, dans une affaire de trafic de cocaïne. Ses avocats avaient saisi la CADHP, qui a depuis rendu plusieurs arrêts. Fin 2018, la Cour africaine avait demandé la suspension du jugement, puis son annulation et enfin, dans un nouvel arrêt, elle a ordonné à l’État béninois de verser des réparations à Sébastien Ajavon, pour un montant total d’à peu près 40 milliards de francs CFA, soit 60 millions d’euros. Elle a également ordonné la levée immédiate des saisies sur les comptes de l’homme d’affaires et des membres de sa famille.
Un virage inquiétant
« Cette décision, qui a pour effet de bloquer l’accès direct des individus et des ONG à la Cour africaine, constitue une véritable régression de la part du gouvernement béninois en matière de protection des droits humains », a déclaré Samira Daoud, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
« Le Bénin prend des virages inquiétants quant au non-respect des droits de l’homme », s’est indigné Arsène Kayodé, militant local des droits de l’homme, cité par l’AFP. En plus de la plainte de l’ancien candidat à la présidentielle Sébastien Ajavon, le Bénin est défendeur dans une dizaine de dossiers devant cette juridiction.
Mais le Bénin est loin d’être le premier pays à poser un tel acte. Bien qu’elle abrite la Cour sur son sol, la Tanzanie s’est également retirée de ce protocole, suivie du Rwanda, alors que le président de ce pays était président en exercice de l’Union africaine, a rappelé le porte-parole du gouvernement béninois, disant n’encourir « aucune sanction ». « Aucune sanction n’a frappé les 21 autres États qui n’ont pas ratifié la charte africaine des droits de l’homme », a-t-il indiqué.
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Une cour en prise avec de nombreux défis
Initié par les pays africains membres de l’Union africaine, le principe de la CADHP a été acté en 1998. Mais il a fallu attendre que 15 États ratifient le protocole de sa création afin qu’elle puisse être mise en place, ce qui n’a été fait qu’en 2004. Ce n’est qu’en 2006 que les pays se sont accordés sur les principes de son fonctionnement et elle n’a rendu sa première décision que le 14 juin 2013. Il faut attendre 2016 pour que le Bénin dépose finalement sa déclaration d’acceptation qui permet à tout citoyen et ONG, après épuisement des voies de recours internes, de saisir la Cour pour dénoncer les violations de la charte africaine par l’État. Elle est composée de 11 juges de 11 États différents, élus par le conseil exécutif de l’Union africaine. Mais, sur les 30 États membres, il n’y en a que 8 qui ont adhéré à ce protocole. Les citoyens des autres États, quant à eux, doivent passer par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, qui décide ou non de saisir la Cour.
Par ses décisions, la CADHP peut constater des violations des droits de l’homme et condamner l’État défendeur à des réparations. Il peut s’agir de sanctions pécuniaires, d’indemnisations des préjudices subis, etc. Elle peut également prononcer des injonctions, par exemple, d’enjoindre à un État de modifier des lois violant les droits de l’homme, ou reprendre des investigations.
Reste à faire appliquer ces décisions, qui sont en principe définitives, car elles sont rendues en premier et dernier ressort. La majorité des pays résistent à une décision de la Cour. En dernier recours, la Cour peut saisir la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine. Au bout, il revient à la Conférence de prendre des sanctions comme la suspension de l’aide financière apportée par l’Union africaine à ce pays. À ce jour, aucune sanction n’a été prise contre un État récalcitrant.
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Un précédent dans la sous-région ?
Pour en revenir au Bénin, l’ancien Dahomey connaît une importante crise politique depuis les élections législatives d’avril-mai 2019, auxquelles l’opposition n’avait pas pu se présenter. Plusieurs arrestations arbitraires de militants politiques et de journalistes ont été dénoncées. Sans compter que le pays avait brutalement coupé le réseau Internet le jour du scrutin. Le président Patrice Talon est accusé d’avoir engagé le pays d’Afrique de l’Ouest, réputé pour sa stabilité et sa liberté démocratique, dans un tournant autoritaire. « En moins de deux ans, au moins 17 journalistes, blogueurs et militants politiques ont été poursuivis au titre de la loi numérique n° 2017-20 du 20 avril 2018, qui comporte des dispositions répressives restreignant le droit à la liberté d’expression et la liberté des médias au Bénin. L’année dernière, les autorités béninoises ont expulsé l’ambassadeur de l’Union européenne, accusé d’ingérence dans les affaires intérieures », signale encore Amnesty International dans un communiqué publié ce vendredi.
Plus tôt cette semaine, la Cour africaine des droits de l’homme a ordonné à la Côte d’Ivoire de suspendre son mandat d’arrêt contre Guillaume Soro et de remettre en liberté 19 de ses proches emprisonnés depuis quatre mois. La Cour donne 30 jours à l’État ivoirien pour exécuter l’arrêt. « Le gouvernement n’a pas de commentaire à faire sur cette décision. Ce qu’il faut toutefois relever, c’est que les procédures engagées par la justice ivoirienne restent en cours », a déclaré dans un communiqué laconique le ministre ivoirien de la Communication et porte-parole du gouvernement, Sidi Touré, déclinant tout autre commentaire.
En attendant, le processus électoral pour les municipales béninoises du 17 mai se poursuit.
Par Le Point Afrique