Les journalistes camerounais sont-ils véritablement libres d’écrire ou de dire ce qu’ils pensent ? Disons-le sans ambages, les journalistes camerounais ne sont pas libres du tout. Ils sont embrigadés par des lobbies politico-économiques qui leur dictent leur agenda, leur actualité. Très peu de journalistes s’engagent à se ranger du côté des faibles et des sans voix et à dénoncer leurs bourreaux.
CONTEXTE
La presse au Cameroun évolue dans un contexte marqué par un régime présidentialiste fort et même autocratique incarné par un président de la République qui se maintient au pouvoir depuis bientôt 36 ans grâce à certains membres de sa famille tels que son épouse, Chantal Biya, son fils Franck Biya, ses neveux Louis Paul Motaze, Bonaventure Mvondo Assam, ses cousins Jean Foumane, Akame, Akame Mfoumou, grâce à certains barons inamovibles tels que Laurent Esso, Martin Belinga Eboutou.
Paul Biya se maintient aussi au pouvoir grâce à l’armée qui a réussi à mater le coup d’Etat du 6 avril 1984. En récompense, Biya leur a accordé plusieurs privilèges et passe-droits. Aujourd’hui, les hauts gradés de la police, de la gendarmerie, de l’armée régulière, des corps spéciaux tels que le BIR, la Garde présidentielle, la Direction de la sécurité présidentielle ainsi que des renseignements généraux et militaires sont des businessmen qui opèrent dans le trafic illicite du bois, l’extraction des minerais, la microfinance, l’immobilier, l’hôtellerie, la vente du carburant, etc. La famille présidentielle a également réussi à se constituer un puissant réseau d’affaires dans pas de secteurs d’activités.
Paul Biya se maintient également au pouvoir grâce à la France. D’où la présence au Cameroun de grands groupes d’affaires français qui opèrent dans pas mal de secteurs d’activités tels que le transport, les banques, le BTP, l’agroalimentaire, le bois, ceci en violation de certains droits fondamentaux dont les droits des travailleurs et des populations autochtones.
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LIBERTÉ DE PRESSE TROMPE-L’ŒIL
Un journaliste camerounais peut-il s’estimer libre en évitant d’épingler dans ses écrits ou ses propos les catégories de personnes citées plus haut ? Quel journaliste camerounais peut de manière régulière et sous un ton sévère et piquant critiquer la famille présidentielle, la bourgeoisie militaire ou le lobby d’affaires français ? A mon avis aucun. Au début des années 1990, lors de l’avènement de la démocratie après 30 ans de monolithisme, les journalistes étaient à l’avant-garde du combat pour le respect de l’Etat de droit et de la personne humaine.
Mais tous ceux des journalistes qui ont osé « frapper » le pouvoir en plein cœur en ont eu pour leur liberté. C’est le cas de Seme Ndzana, le « Norbert Zongo » camerounais. Directeur de publication du journal L’Indépendant, ce dernier dans ses écrits critiquait régulièrement Paul Biya, le tout puissant patron des renseignements de l’époque, feu Jean Fochive ainsi que l’homme d’affaires et ami de Paul Biya, feu Omgba Damase, dans de nombreux crimes économiques et crimes de sang. Son courage lui a valu d’être jeté en prison en 1994 et en 1995 puis d’être contraint à l’exil. Ndzana Seme vit aux aujourd’hui aux USA.
En usant de l’assassinat, de l’emprisonnement et de l’argent, le régime de Paul Biya a repris progressivement en main la presse privée au Cameroun. Le directeur de publication de Le Messager Pius Njawe qui personnifiait le courage journalistique face aux puissants a trouvé la mort en juillet 2010 par un accident jugé suspect. A cette période, un bulletin des renseignements militaires a classé Pius Njawe au rang des personnalités à éliminer physiquement avant la présidentielle de 2011.
Une autre journaliste et blogueuse au nom de Delphine E.Fouda vit en France après avoir été menacée au Cameroun pour ses enquêtes sur l’affaire de l’assassinat du magistrat Louis Ndzié au début des années 2000. Jean Bosco Talla, directeur de publication du journal Germinal fait souvent l’objet de menaces de mort, de filatures des services secrets et même d’emprisonnement comme en 2009 lorsqu’il publia dans son journal un extrait du livre « Sang pour sang » d’Ebale Angounou sur les pratiques mystiques de Paul Biya et son régime.
En avril 2010, 4 journalistes camerounais à savoir Serge Sabouang, Simon Nko’o, Harrys Mintya et Bibi Ngota furent arrêtés par les services de renseignements extérieurs (DGRE), torturés et jetés en prison. Bibi Ngota va y trouver la mort. Ces hommes de médias enquêtaient sur les conditions dans lesquelles le secrétaire général à la présidence de l’époque (actuel tout puissant ministre de la Justice), Laurent Esso a fait payer par la SNH des commissions à certains directeurs généraux de sociétés publiques pour l’achat d’un bateau pour l’armée.
Le représentant de Reporters Sans Frontières au Cameroun et directeur de publication de l’Observateur Jules Nkoum Nkoum a été assassiné par un accident déguisé en novembre 2011 par des hommes du renseignement militaire. Le journaliste enquêtait sur la fortune colossale d’Edgard Alain Mebe Ngo’o, alors ministre de la Défense et fils adoptif de Paul Biya.
LA PRESSE DES RÉSEAUX
L’auteur de cette publication que je suis fait lui aussi par moments l’objet de menaces de mort ainsi que de filatures des services de renseignements, de mises en garde de certains confrères journalistes, d’exclusions de certains foras whatsapp pour journalistes pour ma liberté de ton, etc. Dans la nuit du 15 au 16 avril 2017, des individus ont cambriolé mon domicile à mon absence et ont emporté mon matériel de travail ainsi que mon ordinateur-portable. Tout ceci parce que je dénonce les violations par Paul Biya et Laurent Esso des droits humains dans le cadre de l’Opération anti-corruption Épervier.
Le régime de Paul Biya a achevé de reprendre la presse privée à son compte lors qu’en septembre 2011, le cabinet civil de la présidence de la République a remis à certains patrons de presse privée (radio, TV, presse écrite) une somme de 400 millions de F CFA en vue d’un traitement favorable au pouvoir en place de la présidentielle d’octobre 2011.
Aujourd’hui, les seules critiques de la presse privée qui vaillent c’est celles qui interviennent dans la cadre des batailles de positionnement au sein du sérail camerounais. Les observateurs étrangers en lisant certains journaux, peuvent croire qu’il existe une réelle liberté de critiquer le pouvoir en place. Alors qu’il s’agit de personnes le plus souvent instrumentalisées par certains barons du régime pour ternir l’image de telle personnalité.
Les anciens ministres et Dg de sociétés publiques aujourd’hui en prison dans le cadre de l’Opération Épervier ont été «canardés» des mois durant par certains journaux avant leur arrestation. Pas parce que ce qu’ils écrivaient étaient forcément exacts mais c’est parce que certains hommes du pouvoir qui les considèrent comme des adversaires politiques les alimentaient en information dans le but de préparer psychologiquement les esprits des Camerounais à l’incarcération de ces personnes.
Les journalistes de médias privés du Cameroun se contentent eux-aussi d’aborder des problématiques liées à l’actualité de manière générale sans critiquer les personnalités de manière individuelle, notamment les membres de la famille Biya, les puissants barons du régime, les membres du lobby militaire et d’affaires français cités plus haut. D’ailleurs, un confrère journaliste et patron de presse privée m’avait dit « j’ai une famille, je ne peux pas risquer ma vie inutilement, ça ne sert à rien ». Comprenne qui pourra !
Article publié le 3/05/2018 sur ma page Facebook
Par Michel Biem Tong, Web journaliste à www.hurinews.com, correspondant du CL2P au Cameroun